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Rubrique Les choses de la vie

Faut-il pardonner aux Ottomans leurs crimes(2 et fin)

De nombreux messages me sont parvenus en réaction à la première partie de cette chronique. La majorité approuve le contenu de l’article et apporte même quelques éclairages sur l’occupation ottomane de notre pays et ses méfaits. Deux lettres me reprochent de m’être embarqué dans une vision contraire à la vérité, alimentée par les milieux «néo-colonialistes». L’une est bien argumentée et mérite une réponse. L’autre est insultante car elle s’éloigne du sujet pour m’attaquer personnellement et je préfère ne pas y répondre.
Oui, c’est vrai, cette présence turque n’est pas une colonisation à proprement parler. Ce fut une occupation basée sur la ségrégation, la violence et le mépris vis-à-vis du peuple algérien. D’ailleurs, l’Algérien est resté en marge de toutes les tractations de ce pouvoir maléfique au profit exclusif du sultan ottoman.
Certes, dans les équipages des bateaux pirates, il y avait souvent des matelots locaux mais le seul commandant algérien connu fut le Raïs Hamidou. Avec les frères Barberousse qui s’installaient à Alger, la flotte va se renforcer et les côtes «barbaresques» vont devenir un danger permanent pour la marine marchande européenne et même américaine. Dès l’allégeance de cette fratrie au sultan d’Istanbul, ce sont les Ottomans qui vont dominer cette piraterie dont ils utiliseront parfois la flotte pour leurs opérations en Méditerranée.
Sur un autre plan, et s’il est vrai que la présence des Turcs ne soulevait pas toujours une opposition manifeste, elle ne fut jamais à l’avantage du peuple algérien. «Ils nous ont défendu contre les chrétiens !» La belle affaire ! À quoi bon te défendre trois siècles durant si c’est pour te livrer finalement, armes et bagages, aux mêmes chrétiens. C’est dans la honte et la défaite que les Ottomans abandonnèrent l’Algérie en 1830 et moi, au lieu de rappeler leur entrée triomphale pour chasser les Espagnols, je préfère m’appesantir sur cette lâcheté finale où ils se sont carrément enfuis, chefs et janissaires réunis. Certains nous disent qu’il n’y avait que quelques milliers de janissaires en Algérie (de 2 000 à 3 000) pour réduire la portée de cette véritable occupation militaire. En vérité, leur nombre atteindra 15 000 militaires turcs pour la seule ville d’Alger qui ne dépassait pas 100 000 habitants !
Lorsqu’ils se sont enfuis devant les Français, ils ont même abandonné les Koulouglis, leurs enfants, qu’ils n’ont jamais voulu considérer comme leurs égaux. Les Turcs refusaient de se dissoudre dans la masse des Algériens. À partir du XVe siècle, cette tendance à renforcer l’identité turque du pouvoir local sera plus marquée. Les élites furent choisies parmi les Turcs alors que la porte était fermée aux Algériens d’origine qui ne pouvaient s’occuper que de postes subalternes. 
Les janissaires et leur système fait de deys, beys, pachas, aghas, ont toujours fermé la porte à ces Koulouglis dont le crime fut d’être de mère algérienne ! Les Koulouglis sont restés et furent de bons Algériens qui donnèrent à notre pays des générations de patriotes, défenseurs acharnés de cette terre et des valeurs qu’elle porte. Ils sont connus pour leur amour du travail et leur conscience professionnelle. Aujourd’hui, ce sont des Algériens comme les autres et ceux qui veulent les particulariser se trompent lourdement : ils refusent d’être exploités à des fins qui mettraient en cause leur algérianité. Leurs associations culturelles qui s’intéressent à la culture turque sont un enrichissement pour nous tous et il ne faut pas les voir comme des bastions d’influence étrangère, même si le gouvernement d’Ankara a plus d’un tour dans son sac pour renforcer sa présence au Maghreb.
Les Ottomans n’ont laissé en Algérie aucun projet digne d’intérêt. Ils n’ont pas bâti des écoles pour les autochtones. Ils n’ont jamais cherché à apprendre leur langue aux Algériens. Ils s’en fichaient royalement des populations locales. Ils ont laissé la chorba et la baklawa ! Leurs sbires, caïds, chefs de tribus makhzen, collaborateurs de toutes sortes, se chargeaient de la gestion des affaires. Les janissaires ne sortaient de leurs casernes que pour lever l’impôt. Ceux qui ne pouvaient honorer ce «devoir» étaient sévèrement punis.
À ce propos, j’ai beaucoup aimé une chronique fort intéressante de notre ami Amin Zaoui dont je me permets de citer quelques bribes révélatrices :
«Après trois siècles de colonisation turco-ottomane, les Algériens se demandent aujourd’hui : y a-t-il quelque chose de qualité ou d’exception que la “présence !” turco-ottomane nous a légué en matière de culture, de littérature, de langue, et même d’architecture hors quelques grandes cités ? Citez-moi un seul poète, en arabe, en tamazight ou en turc qui a marqué cette époque ? Citez-moi un seul grand savant dans une des trois langues témoins de cette histoire ? Un historien ? Un faqih moderne ? Un littérateur ?
« Certes, les Turcs-Ottomans nous ont légué des souvenirs sur la pauvreté et les stigmates de l’analphabétisme. Ils ont ramassé les impôts (al-kharaj) en argent, en or, mais aussi en chèvres, en mulets, les caisses de blé, d’orges, des figues sèches… et des petites filles enlevées pour garnir les harems du palais du
sultan ! »(*)
À ceux qui tiennent absolument à blanchir cette occupation, il faut citer le nombre de soulèvements réprimés dans le sang. Et on n’en connaît pas la liste complète. Certains veulent limiter cette contestation à la Kabylie mais c’est une contre-vérité. L’histoire de la relation ottomans-kabyles est embrouillée. Elle est faite d’alliances conjoncturelles (par exemple pour prendre Alger) et d’oppositions armées qui se sont succédé tout au long de la présence ottomane. L’entité «kabyles» recoupe parfois des combattants qui étaient individuellement du côté des Ottomans, avec la conviction que ces derniers allaient les aider à se libérer de l’occupation espagnole. Mais c’est le royaume de Koukou, dirigé par Belkaïd, qui joua un rôle trouble. Tantôt allié des Ottomans dans leurs conquêtes au centre du pays, il les combattit par la suite en se mettant au service des Hafsides de Tunis. Ces épisodes rappellent les transmutations périodiques des rois berbères de l’Antiquité. L’exemple parfait fut le changement continu d’alliances à l’époque des guerres entre Carthage et Rome. Les dirigeants amazighs refusèrent de s’enfermer dans des coalitions stratégiques qui pouvaient limiter leur liberté d’action. Ils avaient toujours préféré agir tactiquement, en fonction de leurs intérêts. Certains y verront une trahison envers leurs partenaires mais quand ces mêmes partenaires ne voient que leurs intérêts, pourquoi en faire le reproche aux Numides ? Cela tenait aussi à la nature du pouvoir de l’époque partagé entre des frères, cousins et proches qui n’avaient pas toujours la même vision. Avec les Turcs, ce ne fut pas, non plus, une ligne de conduite claire. Les soulèvements touchèrent aussi d’autres parties du territoire, notamment les Aurès et le sud du pays où des tribus se soulevèrent contre l’injustice et la répression. Il y eut aussi une insurrection générale en 1603 à laquelle se joignirent même les Koulouglis. Cette révolte contre le pouvoir du dey se solda par plusieurs milliers de morts.
M. F.

(*) http://www.liberte-algerie.com/chronique/harem-du-sultan-entre-orhan-pamuk-et-les-nouveaux-ottomans-351

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