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Rubrique Les choses de la vie

Le pantalon

Cette chronique relate une aventure qui est arrivée à un ami il y a un peu moins de vingt années. Elle décrit des faits authentiques mais les noms et les fonctions ont été changés.
Ce voyage devait être une succession d'agréables moments de détente. Salim avait vraiment envie de repos. Responsable du marketing dans une société privée, il tenait à offrir également ces vacances à sa petite famille. La 307 filait à toute vitesse vers la Tunisie et Mounira, l'épouse de Salim, avait un peu peur de ces gros camions qui semblaient faire la course. À l'arrière, leur petite fille, la huitaine, dormait tranquillement en rêvant à son petit nounours blanc.
À Hammamet, le couple et leur petite fille s’installèrent dans un bel hôtel près de la plage. Le troisième jour, et alors qu'il surgissait comme un bolide des escaliers, il tomba net sur un visage familier. Oui, c'était bien Hami, le boucher du quartier !
Il s'ensuivit une franche rigolade et quelques pots au bar de la piscine. Et c'est ainsi que Salim apprit à ses dépens qu'une nouvelle réglementation obligeait les touristes à payer un droit de circulation pour leurs automobiles au-delà de trois jours de séjour. Cela se passait à Tunis, au niveau de la direction des douanes.
Quelques minutes plus tard, Salim, en short et polo, filait vers la capitale. Il avait juste eu le temps d'avertir Mounira, car il fallait faire vite, les administrations fermant leurs portes à quatorze heures.
Quand il arriva à l’immeuble des douanes, il était onze heures à sa montre. Une douanière en tenue l'invita poliment à présenter son passeport, mais lorsqu'elle vit qu'il était algérien, elle piqua une colère bleue qui transforma son visage en une boule violette. Elle gueulait tellement fort que les vitres tremblaient :
«Que faites-vous là ? Comment êtes-vous rentré ici ? Comment ? Par quelle porte ? Qui vous a laissé passer ? Monsieur, sortez d'ici, s'il vous plaît ! Sortez !»
Salim n'en pouvait plus :
«Mais qu'ai-je donc fait ? Voilà des compatriotes qui sont venus certainement pour le même papier et qui ne subissent pas votre courroux déplacé», dit-il en montrant les cinq Algériens qui ne comprenaient rien à ce qui se passait.
«Monsieur, vous êtes en short ! C'est strictement interdit de circuler dans les bureaux en short !, expliqua enfin la forcenée.
«Ah, bon ! Ce n'était que ça !»
Une fois dehors, il interrogea l'un des douaniers qu'il avait vu tout à l'heure dans le hall : «Où puis-je me procurer un pantalon ? Il se fait tard et je dois avoir ce papier pour circuler et chez vous le short est interdit.»
Le douanier resta perplexe, puis se ravisa :
«Vous voyez ce café en face. On y vend des pantalons !
- Des pantalons dans un café ? Vous êtes sérieux ?
- Oui, je sais ce que je dis ! Vous trouverez ce que vous cherchez au café...»
Et le gars s'engouffra dans une Renault 9 ratatinée de tous les côtés qui disparut dans un bruit infernal. Salim traversa aussitôt la rue et se retrouva devant le café. Il faisait très chaud. On approchait de l'heure du zénith et les artères s'étaient dépeuplées de la grosse foule qui y circulait depuis le matin.
Un gigantesque ventilateur installé au plafond faisait tourner les heures au-dessus d'une douzaine de clients déguenillés qui attendaient certainement que passe la canicule pour aller à leurs occupations.
Salim, dégoulinant de sueur, commanda un express, alluma une cigarette et se mit à réfléchir. Accoudé au comptoir, il pouvait voir son visage dévasté par l'agacement dans la glace blafarde qui lui faisait face. Une drôle d'histoire ! On ne lui avait jamais parlé comme ça ! Pour qui se prenait-elle cette pimbêche qui ressemblait à une jument ?
On lui avait ouvert toutes les portes ; il fut traité avec égard et personne ne s'était révolté contre son short... Au début, on le prenait certainement pour un Français ou un Italien. Mais dès que la dame en tenue apprit qu'il était algérien, tout avait changé... Enfin, c'était leur salade ! Lui, il lui fallait un pantalon pour terminer les formalités.
Il rassembla tout son courage et se pencha sur le barman :
«Dites-moi ! Vous vendez des pantalons ?»
Le fou rire qui fusa du comptoir fut si perçant qu'il réveilla trois clients endormis au fond de l'établissement. Le barman ne s'arrêtait pas de rire. Le serveur, mis au courant, se mit également à rire de toutes ses forces, répétant : «des pantalons ! Des pantalons au lait et bien sucrés ! Elle est bien bonne celle-là !»
Salim aurait voulu tout casser dans ce café misérable. Lui, le directeur du marketing d'une société prestigieuse devenir la risée de ces lascars édentés, sales, affreux et méchants ! Il se maîtrisa et, une fois passée la tempête d'hilarité, il put raconter son histoire.
Visiblement, et de l'avis de ses interlocuteurs, le douanier s'était foutu de sa gueule! Enfin, il fallait une solution. Elle fut proposée par le serveur : «nous ne vendons pas de pantalons, mais nous en louons !
- D'accord, dit Salim. Montrez-moi ces pantalons.
- Il y a un seul pantalon à louer et c'est le mien !»
Salim baissa les yeux et examina le bout de tissu d'un brun douteux qui habillait le serveur. Il n'avait pas le choix. Une fois aux toilettes, il échangea son beau short «Celio» contre le pantalon répugnant du garçon qui lui arrivait aux chevilles.
Une fois dehors, il essaya de se cacher derrière la serviette contenant ses documents, mais comme il n'y avait pas grand monde dehors à cette heure-ci, l'épreuve ne fut pas trop pénible.
De retour dans le bâtiment administratif, il put enfin obtenir ce fameux papier car sa tenue était enfin jugée «correcte».
Une histoire kafkaïenne qu'il aurait du mal à faire croire à ses amis au bled ! De retour au café, il avait hâte de retrouver son short. Au comptoir, où il reprit un second express qu'il avala rapidement en tirant nerveusement sur sa cigarette. Le serveur exigea un dinar pour la location de son pantalon.
Salim, heureux d'avoir réglé ses affaires grâce à cet habit de fortune, lui offrit deux dinars et s'en alla.
Il s'engouffra dans sa voiture et démarra aussitôt.
En repassant devant l'immeuble des douanes, il reconnut la dame du bureau et proposa de l'accompagner en ajoutant d'un air moqueur : «mais je suis en short. Peut-être que cela vous gênerait ?» La dame lui lança un regard venimeux et disparut dans une ruelle. Quatorze heures à la grosse horloge de l’avenue Habib Bourguiba. Il était temps de rejoindre sa petite famille pour le déjeuner.
M. F.

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