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Rubrique Les choses de la vie

Quand vient le mois de mai...

Quand vient le mois de mai, nos printemps, noyés jusque-là dans la bruine d’un hiver traînard et indolent, ne se raniment que pour subir la tiède moiteur des étés précoces. Ces longues parenthèses faites d’un temps dépaysé, de ciels délavés et chauffés à blanc, de brusques orages, sont également marquées par des tempêtes de sable qui montent jusqu’aux rivages, traînant dans leur sillage le spleen insurmontable des intersaisons. Les printemps qui gazouillent et roucoulent à l’ombre des platanes mangés par la lumière crue de mai, ne sont plus qu’un souvenir. Là-bas, dans le tendre paysage de l’enfance, égarée dans le brouillard de la mémoire, la belle saison continue pourtant de briller comme un phare infatigable. Nous n’en recevons que quelques images qui éclairent ce présent morose et compressé comme un ciel de bourrasque. Mai n’a pas apporté plus de printemps qu’avril ou mars ; juste l’élan audacieux des soleils consumés dans les matinées vacillantes ; juste le trouble d’un vent épuisé, bombé de prétentions et qui peine à soulever quelques nuages de poussière qui bouffent les êtres et les choses et couvrent le sol d’une fine et déplaisante couche de sable ; juste le bond des cœurs serrés par l’hiver et qui se libèrent enfin pour rallumer, à travers les chemins cahoteux de l’adolescence, la flamme chavirante des nouvelles passions.
A sa fête, le printemps est défaillant. Il y a juste l’affiche, imposante, montée sur le fronton des saisons orphelines, qui continue de claquer au vent. Circulez, y a rien à voir. Les gradins sont vides et, sur la scène fouettée par les vents du large, le rideau demeure inexplicablement fermé. Le printemps est encore dans sa loge, en train de s’inventer des couleurs dans la fièvre qui précède les spectacles, maquillé par un habile artiste qui ne sait plus quoi faire pour redonner éclat et grâce à ce visage d’une lividité maladive. Le printemps est souffrant cette année. Il ne jouera pas son rôle habituel. Il sort de la loge, salue le maquilleur et s’en va, par la porte de service, vers son destin. Il n’a l’air de rien. Il est triste comme un hiver, comme une fleur fanée oubliée au bord d’une fenêtre ouverte sur l’absence, comme un parasol debout sous la pluie, sur une plage déserte, comme l’ombre d’un clown qui a subitement perdu le don de faire rire et qui s’en va dans le silence froid d’un crépuscule de décembre… Le printemps est malade de s’être trop frotté aux autres saisons. Il est insignifiant comme les étés de pacotille qui soufflent une fausse joie de vivre sur les rivages inoccupés, comme les soleils de carnaval et les manèges des saisons stériles tournant sans fin dans des parcs vides, comme un cahier qui se prend pour une sieste à l’heure des révisions générales.
Le printemps erre tristement dans les boulevards mal éclairés du soir. Il ne sait pas où aller. Il a froid. Blotti contre l’enceinte incolore du Théâtre, il regarde avec nostalgie les fenêtres illuminées de l’immeuble d’en face… Ses habits lacérés lui donnent l’air d’un vagabond. Au bord du désespoir, il s’accroche pourtant. Il s’est inventé mille rêves  pour ne pas périr dans l’accablement. Il regarde la mer et respire.
Cela fait un Himalaya de siècles qu’il existe ce printemps ; et pourtant, il n’a jamais connu un tel chagrin ! Comme un métronome, il se lève chaque 21 mars pour se coucher un 20 juin ! Et durant ces trois mois, il ne se casse pas trop la tête pour jouer un rôle appris par cœur. Tout ce qu’il a à faire, c’est réveiller la nature et la barbouiller de ce beau vert dont il a le secret. Ensuite, il la parsème de fleurs qui s'habillent de tous les tons de la fête ! Parfois, il se permet même d’inventer de nouvelles couleurs, juste pour faire plaisir à l’abeille qui butine, juste pour aider les mômes de la maternelle à colorer les pages bien grises de leurs premiers carnets, juste pour donner des ailes aux rêves d’amour… C’était ainsi le printemps, et plus encore.
Mais, aujourd’hui, ces belles couleurs ne durent pas bien longtemps. Le climat a perdu la raison, agressé par les pluies acides et les fumées nocives qui montent des cheminées créées par l’homme. Et c’est le printemps qui subit le premier les conséquences de cette inutile débauche d’énergie. Regardez-le, essoufflé, chancelant, ahuri, sur la pente raide qui mène vers les soleils embrasés de juin, l’œil abattu, scrutant les champs encore pâles d’avoir manqué d’eau ces derniers mois, espérant déceler les parcelles jaunies par la chaleur où la moissonneuse viendra bientôt faucher l’orge et le blé. Regardez-le, totalement épuisé, s’appuyant sur la balustrade qui domine le port, rêvant de voyages et d’aventures, mais ne pouvant embarquer dans l’un de ces paquebots de charme qui dorment sur les quais… De peur d’être assassiné par une corporation de tueuses appelées multinationales, de peur d’être poignardé dans le dos par la secte des néolibéraux sans foi, ni loi qui agressent la nature, transpercent la couche d’ozone, exploitent les ouvriers, font les guerres et dominent le monde ! Il a été trahi par ses anciens amis qui ont tout bradé pour quelques dollars !
Tiens, un oiseau bariolé chante encore le printemps ! Sacré optimiste ! Sa belle chanson monte pourtant de la cage qui lui sert de prison. Mais son printemps à lui est peut-être dans son cœur, là où aucune tempête ne viendra en altérer les belles couleurs. Son printemps à lui n’a pas besoin des peintures du ciel et de la nature pour vivre, ni d’hymne grandiloquent pour être célébré ; il vit juste là où il peut pousser et s’épanouir comme un beau rêve inoxydable ! Et si tu es comme l’oiseau, s’il te reste un peu de place dans ton cœur pour y loger le printemps, c’est que tu n’es pas perdu ! Les sous, les affaires, les relations, les voyages, les bagnoles, le béton, les choses bassement matérielles ne peuvent pas tout tuer ! A moins que tu ne sois un servile domestique de ces multinationales qui achètent nos âmes et colonisent nos esprits avec leur invention nommée « mondialisation » ! Je les vois grossir les rangs des beaux modèles de l’économie de marché en marche ! Je les vois rafler les marchés et marcher à pas serrés vers leur faux soleil, un astre bien terne qui ne ressemble à rien…
Alors, l’ami, si vraiment t’as de la place encore, invite le printemps à te refaire et profite de cette retraite imposée par le confinement pour installer le soleil en toi, afin que tu répondes à la voisine qui souffre, au quidam qui te tend la main, aux amis lointains qui ont besoin de toi, à la famille qui espère te voir… Toi, l’ami, qui crois dompter le temps, réveille le printemps au fin fond de toi-même pour te pousser à aimer ton prochain, à soutenir le malade, à aider l’orphelin, à secourir ceux qui attendent ! Toi, l’ami, qui croit être le plus fort, tu n’as que quelques années ou quelques décennies à vivre et ce microbe boursouflé appelé coronavirus nous montre que le fil qui sépare la vie de la mort est si fragile... Le temps ne t’a enfanté que pour te reprendre plus tard, aussi nu et dépourvu de biens qu’à ta naissance ! Alors, laisse le printemps éclater en toi comme un torrent de bien… Laisse la bonté papillonner en toi et tire à bout portant sur la haine, l’avidité et l’indifférence.
Et si tu n’as rien compris, va, cours derrière la vie. Empoche le fric, trahis la veuve et l’orphelin, enchaîne les innocents, opprime les faibles. Tu seras comme ce mois de mai qui court à sa perte, une vulgaire parenthèse entre le vide et le néant, un rien, un minuscule grain de sable dans la grosse tempête qui souffle au lointain… Va, cours à ta perte toi aussi…
M. F.

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