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Rubrique Les choses de la vie

Un crime - presque - parfait !

Au moment où le prince héritier d'Arabie Saoudite, installé de fait sur le trône royal, maître absolu de la monarchie saoudienne et chef de guerre ayant à son registre le massacre de milliers de civils au Yémen ; à ce moment précis où il pensait avoir la planète sous ses pieds, son arrogance et son mépris de la vie humaine le poussent à commettre le crime de trop. Il existe, au moment où j'écris ces lignes, un faisceau de preuves sur son implication directe dans la disparition macabre d'un journaliste saoudien trop indépendant à ses yeux. Ce journaliste, du nom de Kashoggi, travaille pour le Washington Post et affiche des positions indépendantes teintées de critiques vis-à-vis de Mohamed Ben Salmane et de sa politique. Cependant, il n'est pas connu comme un activiste virulent ou un membre de mouvements pouvant mettre en danger le pouvoir des Al Saoud. C'est pourquoi on ne comprend pas ce geste aventureux et irréfléchi qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir du jeune prince. S'étant adressé à l'ambassade d'Arabie Saoudite à Washington D.C. pour des questions administratives, le journaliste est dirigé vers le consulat d'Istanbul où il entre le 2 octobre courant pour ne plus ressortir. Sa fiancée, Hatice Cengik qui l'attendait pour les derniers préparatifs de leur mariage qui devait avoir lieu le lendemain, donne l'alerte. Où est-il passé ? Les heures passent et le journaliste ne donne aucun signe de vie. Le temps file et toujours aucune nouvelle de Jamal. Le 5 octobre, le Washington Post paraît avec un espace blanc qui occupait la surface où on avait l'habitude de lire la chronique du disparu. Très vite, la police turque livre des nouvelles inquiétantes largement reprises par la presse locale et celle des Etats-Unis. Puisque Jamal n'est plus ressorti, cela veut dire qu'il a disparu dans ce consulat où il aurait été soit tué, soit détenu pour être dirigé vers un autre endroit. Les premiers détails livrés par la police locale sont effrayants. Jamal Kashoggi aurait été frappé, torturé puis assassiné après avoir été drogué par des piqûres à l'intérieur du consulat. Les réactions des autorités saoudiennes sont fermes : il ne s'est rien passé au consulat et le journaliste est sorti sain et sauf après avoir accompli ses démarches. Dans le monde, et hormis la presse américaine et... qatarie, on ne s'intéresse pas trop à cette affaire qui pourrait être un simple règlement de comptes entre puissances régionales, sur fond de recomposition du Moyen- Orient. Mais la certitude des Turcs qui disent avoir des preuves irréfutables du crime et l'insistance de la presse vont finir par semer le doute. D'ailleurs, les détails livrés au compte-goutte par les Turcs et leur connaissance pointue des événements qui se sont passés à l'intérieur du consulat ont fini par convaincre beaucoup d'observateurs de l'existence d'un système d'écoute sophistiqué au profit du pouvoir d'Ankara. Sauf que ce dernier se mettrait dans une situation de hors-la-loi s'il reconnaissait disposer d'un tel système. D'autres observateurs ajoutent que le journaliste aurait lui-même enregistré le son et les images de son assassinat sur sa montre connectée, une Apple Watch reliée à un Iphone qu'il aurait laissé à l'extérieur, chez sa fiancée. D'autres faits, divulgués dans les jours qui ont suivi la disparition du journaliste, corroborent la version des Turcs. Le jour de son assassinat, deux jets privés atterrissent à l'aéroport d'Istanbul portant des agents des services de l'armée et de la police saoudiennes qui se dirigent aussitôt vers le consulat, après avoir réservé des chambres dans deux hôtels proches. On suppose qu'ils ont été dépêchés pour liquider le journaliste. Les images de la vidéosurveillance extérieure turque montrent un ballet de fourgons Mercedes noirs dont l'une pénètre au consulat quelques instants après l'entrée de Kashoggi. Des détails plus précis encore seront livrés au cours des dernières 24 heures. Le journaliste a été attiré dans un véritable guet-apens. Il a été liquidé après 7 minutes seulement de son entrée dans les locaux de la représentation. Reçu par le consul, il voit surgir aussitôt les membres du commando qui le frappent, le torturent et finissent par lui planter des piqûres dans le corps. Il s'ensuit la mort instantanée de Jamal Kashoggi qui sera rapidement découpé en morceaux. On soupçonne un proche collaborateur de Mohamed Ben Salmane - un homme qui l'accompagne généralement dans ses missions à l'étranger - d'avoir conduit l'opération. Un autre membre de cette équipe de 15 personnes, tous identifiés, a joué un rôle majeur dans cette opération macabre. Il s'agit d'un médecin légiste qui aurait été chargé du démembrement du corps du journaliste. Pendant ce découpage cruel, le dépeceur aurait utilisé des écouteurs pour «écouter de la musique» ! Si le fil des événements qui se sont déroulés à l'intérieur du consulat est maintenant établi, il manque cependant des pièces au puzzle comme il existe des interrogations sur la gestion politique et diplomatique d'une affaire qui aurait dû rester dans son cadre policier et judiciaire. Commençons par le puzzle. Si Kashoggi a été assassiné, où est son corps ? Première piste : la résidence du consulat où s'est rendu le fourgon noir après la fin de l'opération. Aux toutes dernières nouvelles — qui peuvent évoluer jusqu'au moment où vous lirez cette chronique, aujourd’hui jeudi —, les autorités saoudiennes continuent de refuser la fouille de cette résidence après avoir accepté celle du consulat. A signaler que ce n'est qu'après plus de dix jours que les enquêteurs ont pu entrer au consulat ! Question : pourquoi tout ce retard ? On a vu des dizaines de personnes, venues de Riyad, entrer et sortir des locaux de la représentation comme on a vu des quantités énormes de produits nettoyants descendues des véhicules et acheminées à l'intérieur du consulat. On suppose donc que les Saoudiens ont mis à profit ces deux semaines pour effacer toutes les traces du crime en faisant appel à des experts et en utilisant toutes sortes de méthodes. Sur le plan diplomatique, les puissances occidentales ont mis trop longtemps avant de réagir alors que leurs répliques restent teintées de prudence. On remarquera le décalage qui existe entre les protestations des hommes politiques de divers horizons et de la presse et le silence, à peine rompu, de quelques réprobations sur le bout des lèvres, des principaux dirigeants. On a vite compris qu'entre les milliards de dollars que propose MBS et la condamnation d'un crime crapuleux cautionné par les autorités d'un pays membre de l'ONU, le choix est vite fait. Passons sur l'hypocrisie des Européens pour nous arrêter à la position claire et franche de Trump qui a avoué sans ambages qu'il était contre l'arrêt des contrats d'armement avec l'Arabie Saoudite, reconnaissant qu'il ne pouvait abandonner des centaines de milliards de dollars qui iraient à la Chine, Russie ou France s'il devait rompre ces accords ! Il met en exergue le nombre d'emplois créés et l'apport à l'économie nationale de ces milliards ! Même s'il promet des «sanctions», on sait qu'il ne fera rien de bien méchant vis-à-vis d'une famille royale avec laquelle il s'est trop engagé sous l'impulsion de son beau-fils, le très sioniste Jared Kuchner. D'ailleurs, le seul pays qui dit clairement qu'il croit en la version saoudienne de «faits commis par les éléments incontrôlables » est justement Israël... Quant à la Turquie, sa détermination du début pour faire éclater la vérité s'est un peu émoussée après la visite de Mike Pompeo, le secrétaire d'Etat américain... Tractations pour des sous ? Tout est possible avec la versatilité légendaire d'Erdogan. Prions donc pour que ce crime ne reste pas impuni et que les sanctions ne se limitent pas aux sous-fifres ! Enfin, voilà une belle revanche pour ces hommes libres de Aïn-M'lila qui avaient levé un jour pas très lointain, une banderole dont le contenu s'affirme de plus en plus vrai et je n'ai que du mépris pour ceux qui se sont excusés pour cela auprès de gens qui se sont avérés infréquentables ! Je dirais de même de cette diplomatie en roue libre qui a cru un jour utile d'être le seul pays solidaire des Saoudiens lorsqu'ils furent attaqués par le Premier ministre canadien. Et sur quoi SVP ? Sur la question des droits de l'Homme...
M. F.

 

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