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Rubrique Lettre de province

1er Mai : drapeau en berne pour Sidi Saïd

C’est au mouvement social du 22 février que le monde ouvrier doit sa victoire sur le syndicalisme jaune que l’UGTA a exercé sans vergogne durant une quinzaine d’années. Et c’est à ce même « Hirak » qu’il faut également attribuer le coup de grâce qui assomma son secrétaire général après la bronca orchestrée par un carré de syndicalistes ayant occupé le parvis de la « Maison du 1er-Mai » le 17 avril dernier. Vertement interpellé une fois de plus lors des célébrations de la journée du mercredi, il était non seulement sommé de formaliser immédiatement sa démission, mais, en plus, d’exiger des membres du comité exécutif de faire de même. Lui qui, par inutile bravade, « assumait pleinement » (sic) sa passion pour la géniale politique théorisée par le palais et qui, de surcroît, n’hésitait pas à s’afficher avec les oligarques, est désormais qualifié de « syndic de la faillite ». 
Une accusation capitale comme le sont d’ailleurs les peines graves. Celle, entre autres, d’avoir contribué à l’effondrement d’une « union » historique mise sur pied par Aïssat Idir afin de mobiliser la classe ouvrière au profit de la guerre d’indépendance. 
Le malaise chronique qui rongeait cette « centrale » eut pour origine le déraillement idéologique de sa direction au moment où il lui fallait se déterminer par rapport à des orientations économiques essentielles. En se rapprochant progressivement des thèses du pouvoir tout en s’éloignant des doléances sociales, Sidi Saïd et les comparses de l’exécutif finirent par perdre leur autorité d’avocats du salariat pour n’exercer au mieux que le pitoyable rôle de « médiateur ». Encore que leurs médiations étaient la plupart du temps orientées au profit du réformisme libéral, lequel devint, par le biais de Chakib Khelil, ce gourou attitré, le « Coran » économique du bouteflikisme. 
L’instrumentalisation de l’UGTA par le régime l’ayant progressivement discréditée au sein du monde du travail, où pouvait-elle puiser quelques raisons d’affirmer, voire d’imposer son « utilité » si ce n’est dans sa présence formelle lors des tripartites ? Une surréaliste présence qui s’est toujours conclue avec l’adoption de lois antisociales ! À ce sujet, un seul exemple suffit à souligner la cruelle dépendance de l’UGTA vis-à-vis du régime. La séquence historique de 2005 mérite son évocation à plus d’un titre car, non seulement elle préparait le pays à la cession d’un bijou de sa souveraineté (la privatisation de l’exploitation pétrolière), mais, de plus, l’on avait choisi de fêter l’événement un 24 février, date anniversaire du syndicalisme national et symboliquement celui de sa réappropriation des entrailles de la terre algérienne. Ce jour-là, le même Sidi Saïd succédera à la tribune au maître d’œuvre Chakib Khelil pour faire l’éloge d’une loi scélérate. Terrible plaidoirie pour une dangereuse option économique, malgré les mises en garde des travailleurs du secteur, celui-ci a préféré écouter les arguments des sirènes libérales. Certes, cette girouette notoire se ravisera plus tard et jouera même à la claque présidentielle lorsque Bouteflika avouera s’être trompé en ne prenant pas en compte les conséquences graves qu’une dénationalisation occasionnerait aux équilibres du pays. 
Hélas, la question du pétrole ne fut pas la seule à le mettre en cause tout au long de ses mandats. Sur de nombreux sujets, la Maison du 1er-Mai n’a eu de cesse de collectionner les déconvenues. Convertie apparemment au syndicalisme de la « concertation-négociation » qui serait, selon elle, l’antidote au « désordre » face aux risques des débrayages, l’UGTA prétendait faire de son SG le bon samaritain agissant sur le front social. Une curieuse vertu ne servant en vérité que de feuille de vigne pour maquiller sa compromission avec le pouvoir. 
Or, que reste-t-il dorénavant à cette confédération, contemporaine du mouvement national, afin d’éviter le pire que constitue une insupportable faillite. Dans le contexte du moment, cette éventualité n’est plus à exclure car elle vaut comme menace autant pour le syndicalisme que pour les appareils partisans. La recomposition du paysage social et politique étant de l’ordre des mutations, l’on peut d’ores et déjà considérer qu’une page importante du syndicalisme algérien vient de se tourner sous la poussée du mouvement impétueux appelant aux changements pluriels des fondamentaux de ce pays.
S’agissant du versant syndical, certaines bonnes âmes, fidèles à l’UGTA, évoquent avec aplomb un congrès en juin prochain au cours duquel, affirment-elles, celle-ci changera de direction afin d’apaiser le mécontentement du syndiqué basique. Ainsi, l’hypothèse qui fait dire aux derniers orthodoxes de « l’école unioniste » qu’il ne saurait y avoir de syndicalisme algérien sans la présence régulatrice de l’UGTA part du pronostic que rien n’est définitivement joué politiquement malgré l’amplitude des contestations. En effet, si rien n’interdit effectivement de conseiller la prudence afin de rafraîchir l’enthousiasme délirant du petit peuple un tant soit peu naïf, il est par contre hors de propos de considérer le cas de l’UGTA identique aux destins des vieux partis politiques. C’est que Sidi Saïd est coupable d’avoir été 15 années durant (2004-2018), un sous-traitant du pouvoir. Celui qui a mené le syndicalisme au « cabanon des organisations pourries et déshonorées » après avoir passé des pactes préjudiciables à n’importe quelle vocation syndicale. D’une compromission à une autre, puis à la suivante, il hypothéqua le crédit de l’organisation et fut parfois chassé par des concerts de travailleurs le traitant de tous les noms. Au-delà de certaines opérations qu’il effectua par le passé et qui sentaient le soufre, il y a l’argument qui le met en accusation aujourd’hui en lui imputant la responsabilité de la honteuse satellisation politique de l’action syndicale.
Durant dix années, il se consacra à la dénonciation des courants autonomes allant jusqu’à saluer la répression qu’ils subissaient. Or, quel meilleur acte d’accusation est-il possible de dresser à son encontre que celui des autonomes eux-mêmes qui lui reprochaient de les avoir fait fuir du giron UGTA lorsqu’ils découvrirent qu’il prenait personnellement ses ordres auprès du pouvoir politique. Mais alors comment qualifie-t-on cette duplicité à l’origine d’une longévité de carrière incomparable. L’on devine sans peine que le vocable imprononçable dont il est question est sûrement sur toutes les lèvres.
B. H.

 

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