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Rubrique Lettre de province

Constantine : «cauchemar climatisé»(*) et capitulation culturelle

Que faire pour adoucir les soirées caniculaires dans une cité à l’horizon marin inexistant ? Fallait-il rivaliser avec la démesure climatique en dotant le modeste «chez soi» de coûteux appareils de rafraîchissement ou, au contraire, déserter, la nuit venue, le refuge familial et rejoindre la cohorte des vaincus campant sur les places publiques ? A ce sujet, les avis et les comportements sont partagés selon que l’on soit pauvre ou riche. C’est que dans les villes semblables à Constantine, même l’accès au «cauchemar climatisé» n’est pas à la portée de tous. Étonnante capitulation de cette cité qui, récemment encore, sut rendre supportables, à défaut d’être agréables, ses soirées et ses courtes nuits d’été. Même les concerts de malouf, improvisés à ciel ouvert par des mélomanes sans prétention, se font rares. Un manque qui aggrave la ghettoïsation devenue de plus en plus pesante sur le moral des déclassés économiques privés du moindre bain de mer. Sans être un luxe curieusement revendiqué comme un antidote à l’insolence du soleil d’été, cette musique du terroir était sûrement chez elle dans les murs de cette ville. Hormis les instants jouissifs, lorsque de véritables concertistes exécutent quelques noubas, cette grande musique classique a, de tout temps, rythmé les airs maladroitement chantés. Or, face à l’irrémédiable «déclassement» de Cirta, pourquoi donc ceux-là ne seraient-ils plus les dernières frontières avant le désert artistique ? Seulement ne faut-il pas s’en prendre d’abord aux poncifs qui firent de cette ville une métropole majeure des arts, voire de la culture arabe dans sa totalité ? Car rien n’est plus inexact que cette réputation surfaite même si l’on sait que les idées reçues ne survivent que lorsque la paresse intellectuelle s’en mêle. C'est-à-dire là où sévit l’incapacité de se débarrasser des clichés. C’est précisément de ce déficit de regard neuf que la cité en question souffre. Mais pour que la moindre restauration soit encore possible, n’est-il pas préférable de s’en prendre d’abord aux mythes pour ensuite écorcher le narcissisme aveuglant des thuriféraires et mettre à nu la triste désolation que l’on a toujours maquillée ? En effet, il est aisé de recenser les rarissimes espaces dédiés véritablement à la culture et même au divertissement. Dans ce domaine, le «tour du propriétaire», comme il se dit entre promoteurs dans l’immobilier, est vite fait. D’ailleurs, il tient en quelques indications que voici : un conservatoire de  musique qui s’efforce de faire de la résistance, un théâtre où l’on joue lorsque les subventions arrivent, deux centres culturels qui font plutôt office de salles pour meetings politiques, une grandiose cathédrale achetée clé en main pour être baptisée le «Zénith» des indigènes locaux et enfin une cinémathèque dont seule une salle demeure la propriété de l’APC mais qui tombe en ruine après sa fermeture il y a 30 années. 
Le constat est donc effroyable alors que l’on continue de se gausser d’un nostalgique «âge d’or». En vérité, cette cité que l’on avait élevée au rang de «capitale de la culture arabe», il y a de cela tout juste trois années, a de nouveau sombré dans la clochardisation culturelle qui était la sienne avant la dispendieuse mascarade de 2015. Parce qu’initialement on l’avait qualifiée de tous les superlatifs, n’a-t-on pas fini par ignorer que ses atouts du passé ne répondaient guère aux canons culturels du présent ? Ayant vécu, durant quatre décennies, sur un capital de notoriété tout à fait inadapté aux standards artistiques du présent, elle allait se découvrir sans identité véritable. Durant des années, beaucoup a été dit et écrit sur les tristes pesanteurs qui empêchaient sa revitalisation. Et à chaque occasion, l’accent fut mis sur le problème de sa marginalisation au moment où les goûts musicaux notamment ont changé et cela, à la demande des nouvelles générations. 
Ce fut donc à l’origine, un déficit dans l’actualisation des nouveaux modes d’expression qui a rendu aléatoire  toute  politique culturelle décrétée par le sommet de l’Etat lequel n’était guère en mesure d’anticiper sur la demande artistique de la société. C’est ainsi d’ailleurs que l’infernal «huis clos» qui continue à étouffer cette antique cité, allait à son tour rendre inopérante la moindre initiative locale. Réduite, pour cette raison, à ne faire que de l’animation saisonnière (Ramadhan et les vacances scolaires), elle ne devait fatalement que retrouver que le peu enviable statut qui était le sien : celui de «destination secondaire» dans ce domaine. C’est alors, qu’au fil de sa lente agonie, apparurent malheureusement les niches de la médiocrité ainsi que le folklore sous toutes ses formes. Une sous-culture qui affecta notamment les canons esthétiques universels. Mais alors, dirons-nous, que lui réservera dans ces conditions l’avenir ? A cette question, un intellectuel estimait jadis qu’il est nécessaire de «rompre avec l’assistanat complice qui diffuse une curieuse «para-culture» alors que celle-ci ne doit relever au mieux que du divertissement». «Pour ce faire, avait-il ajouté, il est nécessaire de créer les conditions favorables permettant de replacer et de reclasser l’homme de culture selon sa vocation, son talent et son probable rayonnement loin de toute démagogie et copinage. Faute de quoi, tout ne sera que supercherie.» Voilà un diagnostic qui résume l’essentiel. C'est-à-dire comment se pencher au chevet de cette ville ? Or, en dépit pourtant de sa singularité, Constantine n’est cependant pas une île qui aurait échappé à l’imposture culturelle par la grâce d’un improbable isolationnisme. La preuve en est que furent  rares les opportunités qui lui auraient permis d’être prospère en étant seule maîtresse de ses choix culturels.
Vieille dame privée de rêve en dépit de quelques attributs, elle ne se permet de se donner des «airs» qu’au moment où se lèvent, au cœur des nuits brûlantes, quelques accords musicaux s’inspirant du malouf. Une harmonie presque ignorée par les nouvelles générations : cette humanité de cabossés,  victimes de nos échecs, que la canicule chasse continuellement du refuge familial tous les étés de la capitulation.
B. H.

(*) La formule est de Henry Miller, auteur américain de Tropique du cancer.

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