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Rubrique Lettre de province

Du délit d’opinion au trépas

Que signifie au juste cette épidémie de «suicidés» contre leur gré qui sévit dans les prisons et n’emporte arbitrairement que des détenus politiques ? Serait-elle organisée sciemment par l’appareil judiciaire et sur la base de mystérieuses directives politiques dans le but de réduire au silence définitif ces témoins encombrants ? En toute état de cause, l’on sait qu’une grève de la faim, décidée volontairement, ne devrait jamais tuer le jeûneur pour peu que la vigilance administrative décide de mettre le prisonnier sous haute surveillance. Or, ce qui interpelle la curiosité de l’opinion, oserons-nous dire, c’est le fait que cette ultime contestation par le biais de la faim n’a, à ce jour, abouti à la mort que chez les prisonniers d’opinion. 
De Tamalt, le blogueur qui s’est éteint en décembre 2016 jusqu’à la disparition de l’emblématique Kamel-Eddine Fekhar, l’on ne peut s’empêcher de relever la similitude des dérapages supposés de l’administration carcérale. De ceux qui portent la signature de la fameuse « répression molle » traditionnellement pratiquée en alternance par les dictatures. S’agissant précisément du blogueur et du militant des droits de l’Homme, leur peine capitale ne s’expliquerait donc que par le fait qu’ils aient utilisé des éléments de langage confinant à la diatribe laquelle aurait fini par déstabiliser la censure elle-même. 
Certes, le temps de la peur et de l’effroi est révolu, emportés comme on le sait par le pari sur la liberté qui se joue à ciel ouvert tous les vendredis. Sauf qu’en arrière-plan, les vieilles méthodes du système sont toujours à l’œuvre. 
Reconnaissables dans la multiplication des filatures policières ou le harcèlement ciblé des leaders potentiels, elles finissent par organiser des incarcérations expéditives. C’est d’ailleurs à partir de ce curieux échantillonnage que l’on inventa le délit d’opinion à partir duquel Fekhar fut accusé de tous les maux alors qu’il était dans son droit et dans son rôle de militant de dénoncer l’ostracisme subi par la population du M’zab, quitte à le faire auprès des médias étrangers. C’est dire qu’il fallait se garder des assurances officielles lorsqu’elles affirmaient qu’aucune répression extralégale ne se pratiquait et que toutes les procédures répondaient au droit. 
Hélas, au moment où ce genre de démentis est repris par la presse publique, des voix officielles décident de faire le ménage ailleurs et vont jusqu’à menacer sans justification les manifestants en leur ordonnant de changer les slogans de la colère ! C’est le comble d’un marché de dupes lorsqu’on décide de maintenir une manifestation et en même temps de la doter de mots d’ordre contraires à son but. Que pouvait-il rester de la plus basique des libertés d’expression, lorsque le marcheur du vendredi n’a plus le droit de dénoncer la gabegie. Ce genre de sommations se déclinant dans les laïus officiels et chez les experts autoproclamés illustre parfaitement leur souci d’inoculer l’autocensure à la contestation. Il est vrai que l’on a vite oublié qu’un arsenal juridique destiné à brider la liberté d’expression est toujours en place. Il consiste en une disposition de loi dont s’est entouré le pouvoir dès 2006 afin de sanctionner, au sens pénal du terme, les auteurs de commentaires hostiles.(1)  C’est pourquoi, au nom du droit de criminaliser tout écrit inamical, l’on n’a jamais cessé d’embastiller des coupables présumés malgré les dénégations de certains juristes estimant que la spécificité de l’ordonnance en question ne doit en aucun cas s’appliquer à l’exercice de la liberté d’opinion qui relève en fait d’autres textes de loi. Et c’est justement le formalisme de l’argumentaire qui suscite le scepticisme en ce sens qu’il laisse la liberté à la magistrature d’interpréter comme elle le désire l’alinéa en question quand bien même son application se révèlerait abusive. Cela veut donc dire qu’il n’existe aucune possibilité de se débarrasser de la toxicité de cette loi alors qu’elle continue à surplomber, comme une épée de Damoclès, les prétendues libertés qui auraient été octroyées à la classe politique et aux communicants mais sous le couvert de conditions draconiennes jamais rendues publiques. 
Rappeler par conséquent que la censure s’exerce de nos jours comme par le passé n’amende guère la condition de la presse ni l’activité politique des partis et des organisations non-gouvernementales. Pis encore, l’incursion tapageuse du pénal en marge du mouvement social n’a-t-elle pas occasionné de terribles dégâts au point de recourir au conditionnement carcéral et pousser certains détenus à des suicides presque « consentis »… Ceci expliquant cela, le martyre du blogueur et du militant des droits de l’Homme vient de sonner à coups répétés comme le tocsin donnant l’alarme à un peuple qui peine à tirer des plans sur la comète des libertés. En effet, à l’illusion magique des premières marches et des premières victoires succède une sorte de désenchantement. Celui qui lui révèle la solitude de son combat après avoir mesuré les limites de la fausse coalition qui lui fut proposée au lendemain des raz-de-marées du 22 février et du 8 mars. C’est qu’à l’épreuve des appels lancés depuis la rue et après quinze semaines, il ne reçut en retour que des mises en garde relatives aux mots d’ordre qui habillent la longue marche. 
Succédant aux éloges, ce genre d’injonctions révélèrent le côté dissuasif de ces parrainages. Ceux qui continuent à tenir en haute suspicion les commentaires de presse ou les discours enflammés et jusqu’à l’art de la caricature dont ils craignent le trait. Peu de choses ont donc changé malgré une destitution présidentielle et des incarcérations à la chaîne. La culture du système tout autant que ses préjugés sont toujours opératoires notamment lorsqu’il s’agit du domaine de la communication. Certes, il est inexact que nous soyons sous un régime ubuesque cependant sous le nôtre l’on persiste encore à traquer les libelles incommodants qui traduisent par leur causticité la réalité que l’on ne veut pas admettre. Et c’est à l’usage de la sanction qu’a toujours servi la loi scélérate que la justice actionne en direction des scribes et des talentueux tribuns. En fait, elle n’exerce ce pouvoir discrétionnaire que pour castrer le verbe afin de mutiler la vérité qu’il énonce. Dans ce registre-là, l’actuel pouvoir intérimaire agit avec les mêmes réflexes que le précédent. C’est pourquoi son inclination à soupçonner tous les éléments de langage qui le concernent, le convainc d’envoyer au cachot leurs auteurs pour ensuite les suicider.
B. H.

(1) L’article 46 de l’ordonnance de 2006 prévoit des peines d’emprisonnement et des amendes pour quiconque aura par «ses écrits ou tout autre acte utilisé ou instrumentalisé la tragédie nationale».

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