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Rubrique Lettre de province

Francophonie : langue fétiche et drôles de censeurs

Était-il concevable qu’un trio de ministres, aux prérogatives d’ailleurs limitées, décide unilatéralement d’interdire, chacun dans son pré carré, l’usage de la langue française au prétexte invérifiable que son recours s’est révélé inadapté à la communication aussi bien orale qu’écrite ? En soi, l’initiative interpellait à plus d'une raison dès lors qu’une telle décision n’a pu bénéficier d’un arrêté gouvernemental lequel devait engager, voire impliquer consensuellement l’ensemble de l’exécutif. En un mot comme en plusieurs, la presse ne devait, à son tour, qu’agiter le doute quant aux véritables raisons qui animèrent ces « respectables » commis de l’État. De supputations vagues aux estimations vérifiables, les plumes de la presse aboutirent, pour certaines, à une thèse éminemment idéologique. Celle qu’ici et là étaient soulignés les qualificatifs de maladroites « inquisitions linguistiques » dont les répétitions ne seraient pas étrangères au climat diplomatique de la crise franco-algérienne.
C’est dire que le retour cyclique de l’éternel « refoulé historique » qu’animaient auparavant certains cercles renseignaient plutôt sur nos incapacités à assumer avec sérénité l’héritage global de notre passé et notamment les influences qu’il a laissées en guise de legs. En effet, si le débat au sujet de la langue nationale est aussi vieux que le mouvement national ayant libéré physiquement les territoires de la patrie, il n’en demeurait pas moins que ce sont les inachèvements de nos pédagogies qui altérèrent la diffusion du savoir : un médiocre rayonnement qui reflète régulièrement le triste déficit de sa culture et dont la cause a toujours été l’école algérienne où la scolarité massive n’est pas parvenue à accrocher des générations de l’excellence. C’est pourquoi le locuteur algérien s’est toujours retrouvé à mi-chemin d’une double identité linguistique au point qu’il n’a que rarement su transcender la montagne ambiguë des langues. À peine s’il admet verbalement qu’il se débrouille dans les deux idiomes alors que la langue maternelle dont il n’a hérité que par l’oralité n’est, en vérité, qu’un judicieux métissage de la parole, très loin de la langue scripturale. Autrement dit, que l’on a prétendument fait de lui un adoptif de Rabelais ou celui d’El-Djahid ne l’a jamais rendu mieux expressif lorsqu’il s’efforce de baragouiner dans les deux langues. Et puisqu’il est contraint de parler avec les mots qu’il a d’abord entendus de la bouche de sa mère, l’on doit reconnaître qu’il ne descendait, à l’évidence, ni de la francité ni de l’arabité.
Voilà pourquoi ceux qui caricaturent le locuteur algérien et le qualifient tantôt comme un sympathique jongleur qui sabre le français ou comme un sérieux croyant qui, sans le savoir, piétine la parole sacrée du Coran, hésitent, à leur tour, de situer au profit de l’Algérie l’exactitude de ce verbe national qui ne se décline qu’à partir d’une synthèse franco-arabe. Faute donc de croire que la francophonie est une menace pour notre arabité, venons-en à l’essentiel, afin de dénoncer les grandioses fumisteries qui valurent plus d’une déception à la suite de ridicules déploiements.
Hôte de Paris, « l’année de l’Algérie en France » en 2003, n’a-t-elle pas été à l’origine de médiocres prestations lesquelles furent un révélateur de l’indigence culturelle dont l’Algérie n’allait pas se relever. Pour se rattraper de ce gros navet, l’on changea de stratégies en se retournant vers l’Orient pour baptiser simultanément « Alger capitale de la culture arabe » en 2007 puis « Tlemcen capitale de la culture islamique » en 2011. Enfin, pour clore le tout, « Constantine (à nouveau !) capitale de la culture arabe » en 2015. Autant de douloureux échecs dont les coûts financiers étaient énormes qui, de surcroît, ridiculisèrent une Algérie qui allait sombrer dans le pillage jusqu’à la destitution du pouvoir en place. Car, enfin, pourquoi avait-on voulu courtiser une francité et pour quelle bonne raison a-t-on préféré faire des ronds de jambes à cet arabisme linguistique ? N'étant dépositaires exclusifs d’aucune de ces deux cultures, ne pouvions-nous pas insister avec les authenticités de notre savoir-vivre pour justement mettre en lumière les siècles de notre identité ? D’ailleurs, cela fait bien une soixantaine d’années que la langue populaire n’a eu de cesse d’être au centre des débats. Pourtant, ici et là, quelques éclaireurs se sont efforcés de convaincre les dirigeants qu’il n’y a rien de coûteux ou de pernicieux à se pencher sur la berbérité pour en extraire tout ce qui est porteur de sens identitaire d’El-Djazaïr. À ce propos, qui se souvient de ce lettré lumineux qui a laissé la plus magistrale définition de la langue populaire ? Ou encore, qui se rappelle de la conversion de cet homme de théâtre ? De Mazouni à Mustapha Kateb, l’on ne parla que du devenir du grandiose dialectal maternel que l’on a volontairement dévalorisé. « Je remercie ma mère d’avoir arabisé la langue française », insistait Mazouni au moment où Mustapha Kateb se désolait que le théâtre s’appauvrît en spontanéité par la faute de la pesanteur orale de l’arabe, alors que la jactance de la rue s’est toujours logée dans le verbe des yaouled.
Ce n’était pas chez eux une réputation doctrinale mais un constat partagé que le génie de la langue populaire a toujours possédé une « ponctuation » allusive aussi bien par l’oralité que par la gestuelle. Hélas, le chauvinisme « nationalitaire » - comme il se disait avec humour à propos des agitateurs sectaires du parti unique qu’était le FLN - opère cycliquement sur le même thème : celui qui est irrigué par une vieille paranoïa. Or, que la francophonie, jusque-là rejetée pour des raisons sensées, puisse tout de même constituer un apport non négligeable à notre système éducatif ne fera pas de l’Algérie une néo-colonie comme viennent de le laisser entendre les fameux commis, « patriotes » jusqu’à l’excès.
En somme, il s’agissait d’un zèle déplacé lorsqu’on censure une langue en se justifiant de sa méconnaissance chez les concernés alors qu’il aurait suffi de tendre l’oreille à la rue pour écouter dans quelle langue, approximative certes, nos jeunes s’expriment.
B. H.
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