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Rubrique Lettre de province

Le combat désespéré des marcheurs et les fetwas des juristes

Il est tout à fait plausible d’imaginer que certains membres du panel aient pu ressentir quelques regrets, si ce n’est de réelles bouffées de mauvaise conscience à la suite du mécontentement exprimé par la plupart des cercles proches des marcheurs anonymes.
Sans doute que les conclusions de la médiation y étaient pour beaucoup dans ce dépit. Un ressentiment justifié par plusieurs aspects, et notamment ceux qui concernaient la flagrante connivence avec les projets des sphères d’influence. Une proximité qui s’illustra surtout à travers des conclusions de son rapport ostensiblement favorable à l’option de l’armée laquelle se résumait, pourtant, dans une vague phraséologie bien plus marquée par l’injonction que par l’argumentaire. En dépit donc du manque évident de raisons pour expliciter cette «nécessité» d’une présidentielle et justifier sa primauté, le panel fit cependant le choix coupable de ne pas exiger de plus amples développements sur la question tout en se gardant prudemment de se pencher à son tour sur les revendications thématiques résumées dans les mots d’ordre des manifestations. Réduisant sciemment la voilure de ses missions, l’instance allait se contenter de passer en revue et à l’oral de «célèbres» inconnus dont la représentativité n’était pas souvent évidente. Ceci, d’ailleurs, ne devait s’expliquer que par le caractère timoré de sa composante vis-à-vis de la censure à laquelle elle souhaitait échapper. C’est ainsi qu’en quelques semaines, l’instrument de la médiation parvint à se convertir en caisse de résonance de l’appareil d’Etat, et c’est pour cette raison que le jury des sages corrigea sa feuille de route en se contentant de quelques opérations de communication aux lieu et place des débats attendus. A l’arrivée des courses, l’opinion apprit que pas moins de 26 partis politiques furent ses hôtes, mais sans préciser de quel rayonnement bénéficie chacun d’eux. 
A ces partillons orphelins d’élus, il faut ajouter les consultations individuelles qui seraient au nombre de 6 000 et pour lesquelles il nous paraît peu probable qu’ils furent tous auditionnés sur procès-verbaux afin d’extraire la «substantifique moelle» de leurs suggestions. Bref, voilà une instance initialement investie de toutes les responsabilités et qui finit par n’exister qu’à travers de folkloriques audiences. Autrement dit, un subterfuge qui allait virer à la pantalonnade et parfois même à de tristes reniements comme ce fut le cas de son président. Une mésaventure humaine aussi courante sous d’autres latitudes et qui ne concerne généralement que ceux qui se font piéger par leurs propres engagements. Aussi, la personnalité la plus en vue après avoir salué avec enthousiasme le Hirak et avoir fait l’éloge du fameux tube de la jeunesse, dédié aux harragas en le proposant lyriquement comme hymne du 22 février, il virera de bord quelques semaines plus tard en décidant de ne mettre la destitution d’un président et les manifestations que sur le compte d’une simple crise politique. Une dédramatisation tout à fait significative de l’engagement qui prévaut au sein de ce panel.
Néanmoins, à son sujet comme pour tant d’autres, il semble tout de même excessif de transformer un impair en faute rédhibitoire. Car l’on doit reconnaître que les hommes politiques ont aussi le droit de changer d’opinion et même… de «chemises». L’on a par contre la latitude de les critiquer lorsque leur virage correspond de façon un peu trop exacte avec l’atmosphère politique du moment. Ce qui semble avoir été le cas de la plupart des travaux de l’instance en question. Définitivement acquises à la thèse spécieuse du sauvetage de l’Etat par l’organisation prioritaire d’une présidentielle, les bribes d’analyses que les juristes essaimèrent au cours des tables rondes médiatiques mettent l’accent sur le désintérêt pour toute autre alternative. Après avoir décidé de faire le black-out sur toutes les formes d’expression du Hirak, l’on retrouve chez eux une inclination à disqualifier la contribution de la rue dans le renversement du régime. Charitables seulement par ruse, ils veulent faire accroire que la population a déjà fait l’essentiel de son travail et qu’elle a, dorénavant, le mérite et le devoir de rentrer chez elle afin de permettre aux structures de l’Etat d’achever la besogne en mobilisant l’électorat en vue du vote. Le voici ce hic tant redouté. L’écueil sur lequel ne cessent de buter des exigences opposées et surtout des démarches antinomiques en termes de principes. 
En effet, lorsque le panel donne un feu vert à des élections immédiates, il est le seul à vouloir attester que l’opinion est consensuellement favorable à la solution des urnes sauf qu’il n’explique pas avec quel échantillon est-il parvenu à ce sondage ? De plus, il ne nous dit pas si le distinguo principal est justement abordé dans la question. 
C’est donc cet exercice d’escamotage qui permet de valider une vraie-fausse adhésion de l’opinion. Etonnement, ce furent de brillants juristes qui décidèrent de jongler avec les interprétations jurisprudentielles afin de valider le seul projet officiel alors que le premier mot d’ordre de la dissidence était l’exigence d’une table rase (Gaâ !). 
A juste titre, il est utile de rembobiner la démarche de ce mouvement. Car si la coagulation de la contestation populaire s’est faite autour du caractère maffieux du régime de Bouteflika, elle n’a pour autant jamais évoqué les modèles du passé. Ni Ben Bella ou Boumediène ni Chadli ou Zeroual ne sont dans le catalogue de l’exemplarité. Et cela signifie clairement que les révoltés du 22 février avaient effectivement décrété qu’ils se mobilisaient pour un autre Etat. Exit donc les nostalgies embellissant à l’excès le passé. Réfutant sans cesse la formule du changement dans la continuité, la rue se réfère avec simplicité aux principes fondateurs du républicanisme. 
Celui qui stipule qu’un président est avant tout dans la servitude constitutionnelle et ne saurait être dans aucune circonstance investi du devoir de l’inspirer voire de la rédiger. Mais à présent, vers quoi s’achemine-t-on si ce n’est à imposer une démarche à rebours ? Celle de plébisciter un président puis lui offrir comme dot la responsabilité de cogiter à sa guise la mère des lois. Une aberration politique dont les conséquences futures seront certainement le lit à d’autres incertitudes. 
B. H.

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