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Rubrique Lettre de province

Le grand Parlement de la rue et l’incertitude des lendemains

Elles ne peuvent pas être qualifiées de contestations sociales semblables à celles qui soulignent cycliquement la précarité, mal vécue évidemment, des petites gens. Les rues des villes, qu’une vague humaine inonda une première fois le 22 février, ne résonnèrent pas également de slogans syndicaux qui sont autant de sollicitations du monde du travail. Elles furent plutôt investies par l’esprit d’une citoyenneté s’insurgeant contre les incessantes atteintes à la liberté du peuple de choisir seul ses dirigeants et, par voie de conséquence, s’opposer à l’infâme validation des candidatures notoirement inaptes à accéder au magistère de l’Etat. Dans ces agoras urbaines devenues, le temps des grandes colères, autant d’espace de délibérations citoyennes, voire de contre-pouvoirs quasiment institutionnels, l’Algérie ne fait rien d’autre que restaurer une tradition, longtemps oubliée, consistant à refuser les humiliantes procédures politiques faisant peu cas de l’intérêt public. 
L’ample grondement des foules défilant avec un seul mot d’ordre qu’elles répètent en écho ne s’est-il pas transformé aussitôt en un grandiose acte de ferveur patriotique ? Car, dès l’instant où elles prirent à partie les dérives de ces princes qui régentent la République, elles ne se doutaient pas qu’elles étaient en train de leur rappeler que tout pouvoir doit obligatoirement obéir à l’éthique de la responsabilité et à l’indépassable morale de l’Etat. C’est, par conséquent, l’immensité de la communion populaire qui renvoie au souvenir des historiques manifestations du 11 Décembre 1960, lesquelles furent politiquement décisives dans la longue marche vers l’indépendance. En sera-t-il de même cette fois-ci dès lors que se rejoue le destin de la liberté et de la démocratie après leurs confiscations par un régime désormais crépusculaire ? En tout cas, il ne faut jamais exclure le pire pour continuer à espérer le mieux. C’est que, devant l’insupportable opacité régnant au sommet de l’Etat et l’habituelle manipulation caractérisant les procédures visant à la reconduction globale du statu quo, il ne reste d’alternative que l’insurrection républicaine que sous-tend ce symbolique Parlement de la rue qui sera chargé de donner du sens à son massif ultimatum. Celui qui sera dissuasif à l’encontre de la coterie installée au palais et s’exprimant au nom d’un Président depuis déjà six ans et un mandat de trop (2014). D’ailleurs, c’est par le biais du même subterfuge que le clan en question est parvenu à gouverner discrètement le pays et à faire même oublier le problème nodal relatif à l’absence physique du chef de l’Etat et à la vacance institutionnelle de sa fonction. Ce fut justement cette «régence» de l’ombre qui, le 18 janvier, annonça la nouvelle de cette cinquième candidature. 
Assimilée à un coup de force, la décision ne pouvait que fournir le carburant nécessaire à l’occupation populaire de la rue. Symboliquement, l’opinion pouvait-elle faire l’impasse sur cette arrogance alors qu’elle est à nouveau offensée et humiliée dans son amour-propre si elle ne mettait pas un holà à l’infamie dont le palais est l’auteur. En effet, l’appel qui accoucha du mouvement du 22 février puisait sa légitimité de l’illégalité du régime. 
Quand bien même les intimidations et les actes répressifs seront au rendez-vous de la contestation pacifique, elles ne diminueront en rien le désir partagé publiquement de changer l’ordre des choses dans ce pays. Car l’on ne peut oublier qu’au bout de cette confrontation préliminaire, il y aura une campagne électorale qu’il est possible de perturber pour ensuite boycotter activement le vote lui-même. L’hypothèse n’est pas à écarter car, contrairement au juridisme tatillon qui fait accroire qu’il y a du délit dans la volonté de boycotter, l’abstention n’a jamais été une négation de l’arbitrage des urnes, bien au contraire, elle est une lecture en creux d’un projet rejeté. 
Dans des circonstances extrêmes comme celles qui attendent le pays le 18 avril, le recours à cette forme de dissidence ne peut que mettre en lumière le caractère trompeur du vote. Et pour cause, le refus «d’élire» lorsqu’il s’impose en tant que nécessité à la survie des libertés publiques s’avère le seul antidote pour déshabiller un pouvoir installé trop longtemps dans le confort de la falsification des règles et des lois. Mais, nous dira-t-on, si la disqualification du scrutin traduit le désaccord de la société, n’est-il pas impératif que le désaveu devienne un carton rouge sanctionnant le pouvoir. Comment donc parvenir à cette rupture si ce n’est en réinvestissant la rue au lendemain du grand soir ? Cela veut dire que dans l’éventualité d’un reflux de la pression populaire, il est tout à fait possible de revenir à la charge contre le régime en contestant plus tard son arithmétique des urnes, laquelle justifierait à nouveau l’occupation des places publiques. Même si ce scénario est difficile à envisager, il n’est pas exclu que de cycliques manifestations puissent à leur tour déstabiliser le pouvoir. 
Peu importe que la confrontation prenne du temps pourvu que l’objectif demeure le même. Celui qui consistera tôt ou tard à établir un audit exhaustif de 20 années d’une désastreuse gouvernance tant il est vrai que le délitement des institutions est tel, jusqu’à nos jours, qu’il a autorisé le gaspillage des ressources nationales de même qu’il encouragea la prévarication au sein même des institutions de l’Etat.
En évoquant ce côté sombre du régime, l’on comprend mieux les motifs qui, en haut lieu, plaident avec acharnement pour le statu quo. L’appréhension qui fait croire qu’une cinquième reconduction est synonyme de «sursis» pour ses acteurs explique leur difficulté à trouver une voie de sortie. Car ce qui risque d’advenir d’ici jusqu’au soir du vote est de l’ordre des obsessions d’un régime pour qui tout le reste n’est que secondaire. En somme : «il préfère que tout demeure en place et s’il doit tomber que la maison entière croule avec lui. L’ampleur de la catastrophe peut alors le protéger».(1) Cela s’appelle : moi ou le chaos.
B. H.

(1) L’interpellation appartient à Michel Debré, Premier ministre de De Gaule, auteur d’un pamphlet intitulé : Ces princes qui nous gouvernent.

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