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Rubrique Lettre de province

Le Soir d’Algérie orphelin de son premier de cordée

Ils étaient poignants ces témoignages de journalistes parus dans les colonnes de « son journal ». Malgré l’émotion compréhensible que suscita sa mort, les évocations de ses collègues ne manquèrent ni d’à-propos ni de vivacité, reléguant à la marge les effets du pathos comme pour exorciser la tentation des oraisons funèbres et leur insincérité. 
En le désignant, à tout bout de champ, comme lorsqu’on se taille une belle tranche de souvenirs sur le dos du camarade momentanément absent, tous ces aveux imprimés finirent par constituer un florilège d’anecdotes qui lui tissèrent, à son insu, un portrait à sa dimension. Rarement surfaits, les multiples messages d’affection des confrères portaient essentiellement sur les qualités humaines et professionnelles du défunt.
Autant dire que l’unanimité sur ces aspects a fini par devenir un motif suffisant pour contraindre l’auteur de cette « lettre de province » à mettre à jour les moments clés qui scellèrent l’amitié qui nous a liés. Cela remonte à l’automne 1988 quand, par l’intermédiaire de l’ami Zoubir Souissi, nous fîmes connaissance. Avenant au premier abord, Fouad nous a paru, à nous les provinciaux en voyage d’information à Alger, comme un efficace porte-parole du mouvement d’émancipation de la presse, lequel allait, hélas, accoucher de l’éphémère MPA. C’est que malgré la gravité des luttes qui se profilaient au lendemain du soulèvement du 5 Octobre, notre hôte ne manquait guère d’humour singulier d’où le calembour n’est jamais absent. Flegmatique comme un British, il possédait le sens de la prudence dans le jugement même lorsque l’urgence appelle à trancher dans le vif. Plus tard, j’allais effectivement découvrir ce qui motivait sa circonspection en toute circonstance. Elle ne tenait en vérité que de sa droiture morale, laquelle allait lui servir au cours de l’exercice complexe du bon samaritain plaidant pour la liberté d’expression. Mais avec les bons « garde-fous », disait-il. 
Bref, Fouad allait devenir la référence dans ce domaine dès lors que, parmi la troïka accoucheuse du Soir (Souissi, Farah, Boughanem), il s’imposera, d’abord comme la cheville ouvrière de la fabrication du journal pour ensuite piloter, avec précaution, une entreprise de presse qui parvint à survivre malgré les pressions et les chantages des institutions de l’Etat. D’ailleurs, en 29 années d’existence, ce quotidien ne s’est jamais séparé de celui qui allait finir par symboliser le parfait militant de l’inimaginable aventure de la presse libre. C’est dire qu’il suffira de se replonger dans l’histoire du journalisme algérien de ce dernier quart de siècle pour qu’aussitôt, l’on soit confronté au fantôme de Boughanem. Premier de cordée comme le fut la naissance du Soir, il avait été partie prenante de toutes les initiatives libertaires. Seulement, il héritera progressivement d’une responsabilité qui allait le surexposer aux avatars que la plupart de ses confrères subissaient sous le long régime de Bouteflika. Il est vrai qu’à cette époque-là, il était difficile de mesurer à l’avance ce qu’il y avait de pernicieux dans les pratiques de la censure version Bouteflika. Sans imposer la stupide chape de plomb des vieilles dictatures, le changement de 1999 n’était pourtant pas une respectable République. Et elle le prouva très tôt quand elle se permit d’instruire simultanément des procès à un directeur de journal nommé Boughanem et à un chroniqueur dont la causticité devint un délit d’opinion. Elle n’en restera pas là puisqu’elle récidivera en embastillant l’auteur d’une philippique, nommé Benchicou. C’était justement à l’ombre d’un système hybride que la tyrannie primaire s’est muée en bâton économique pour châtier « les feuilles » hostiles à leur politique. Face à cette guéguerre de tous les instants, les journaux connaîtront alors l’infortune de leur trésorerie qu’ils ne pouvaient combler qu’en acceptant des deals humiliants pour survivre. Malgré le persistant acharnement, les ressorts d’une bonne partie de la presse indépendante ne se sont pas rompus. Et si au cours des dernières années certains de ces journaux vacillèrent bien plus qu’à leur habitude, c’est parce que l’environnement politique a été investi par un gangstérisme d’Etat se prévalant d’être l’argentier de « la nouvelle communication » adossée au régime. C’est au cœur de cette récession financière quasi-générale que s’apprécièrent les aptitudes de Fouad Boughanem qui fut en mesure de sauver la fiabilité de l’entreprise en introduisant une dose de rigueur dans sa gestion tout en s’imposant personnellement une démarche de négociateur capable d’inoculer à son journal une tonalité soft par rapport aux minima de l’éthique sans toutefois renoncer à l’indépendance de la ligne du journal et, par conséquent, obtempérer au devoir d’informer sans déformer les faits. Un défi pour lequel il s’était engagé solitairement au cours des cinq dernières années apportant la preuve que, même dans un secteur aussi volatile que celui de la communication, il est possible de survivre sans aliéner d’un iota.
Ce pourquoi un journal mérite d’exister. Malgré donc les cycliques campagnes d’intimidation ciblant exclusivement les publications à la notoriété établie auprès du lectorat, il n’a jamais été facile de pousser celles-ci vers la faillite. 
De ses résistances aux complots permanents, la presse papier tire à nouveau une légitimité incontestée que nul oukase ne saurait remettre en question sa présence dans les kiosques.  N’est-ce pas le cas du Soir d’Algérie qui ne doit son quitus à la pérennité qu’à la vigilance de cet irremplaçable pionnier du journalisme de rupture ?
B. H.

 

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