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Rubrique Lettre de province

Les marcheurs, le pouvoir et le pari des urnes

Réussira-t-on à convaincre cette fois-ci le peuple de la contestation en l’amenant à choisir la solution des urnes ? Rien n’est moins sûr car, malgré le harcèlement médiatique pour l’amener à croire en la sincérité des promesses de l’actuel pouvoir, il faudra des arguments autrement plus convaincants que les fumeux discours sur la «transparence». 
Souvenons-nous des slogans qui se voulaient positivement engageants et qui finirent par provoquer de réels boycotts. Celui qui interpellait les sceptiques électeurs en chatouillant leur amour-propre exigeant d’eux qu’ils ne «laissent personne décider à leur place». Une injonction qui a fini par susciter des interprétations contraires puisqu’elle donna lieu à des choix inverses qui signifient l’abstention pure et simple. Mais, nous dira-t-on, la dissidence civique qui est citée date de l’époque ancienne et qu’il n’y a pas lieu d’établir des parallèles avec la démarche proposée par le panel. Sauf que l’on ne peut ignorer l’hostilité officielle se traduisant par la traque des militants politiques auxquels il leur est reproché de tenir des discours radicaux. 
En un mot comme en mille, la rue du vendredi affiche clairement son rejet d’une présidentielle actée à partir d’une Constitution obsolète et d’une loi électorale à peine amendée et que l’on vient de présenter comme le gage convaincant d’une future opération à l’abri du trucage. Ah ! la belle affaire dont se chargea auparavant une instance que l’on destinait pour le «dialogue et la médiation» et qui se révéla être discrètement aux ordres. Pour illustrer précisément cette proximité, il suffit de citer une certaine constitutionnaliste qui allait plaider pour une présidentielle en arguant que si l’on ne votait pas le 12 décembre, cela ouvrirait la voie à une dictature ! Une curieuse pédagogie du civisme qui laisse entendre que même un vote infâme vaut mieux que l’abstention. 
Faute donc d’avoir pris la bonne mesure de la colère populaire et surtout de la sagacité politique des marcheurs, les vendeurs du prochain scrutin continuent à essuyer autant de refus aussi longtemps qu’ils persisteront dans leur inexplicable et inexpliqué forcing pour fourguer une parodie de scrutin alors que la population appelait à la refondation de l’État. Même le ministère de l’Intérieur n’est pas à l’abri de la suspicion quand bien même il a été décidé de lui substituer un magique organisme chargé d’assurer « virtuellement » la qualité du prochain vote. 
Aussi bien par l’extraction politique des personnalités qui la composent que par l’importance de ses missions, la nouvelle commission, dite indépendante, est d’ores et déjà disqualifiée dès l’instant où les réseaux sociaux en firent une cible pour décrypter le background de chacun de ses 50 membres puis de démontrer que même une commission de cette envergure sera impuissante à «nettoyer» les listes électorales à elle seule et en 90 jours. CQFD : cela voudra dire que l’araignée bureaucratique du ministère de la Fraude sera tout de même à l’œuvre. Au-delà donc des doutes quant à la fiabilité patriotique d’une présumée solution, l’électorat est loin de renouer avec ce devoir-là aussi longtemps que les sphères d’influence contrôlent le processus. C’est-à-dire qu’il ne souhaite, toujours pas, accorder sa confiance dans un appareil d’État où les primautés sont inversées et qui persiste malgré tout à contrôler la consultation. Sans illusion, l’électeur suppute que même les résultats officiels seront différents de la réalité des urnes. D’ailleurs, la ridicule maladresse des communicants qui s’activent dans les médias n’est-elle pas en train d’achever les derniers scrupules des indécis ? En effet, à force de mettre en avant la garantie de la «transparence» et la «haute probité» du grand allié du «Hirak», ils amplifient la part de l’honnêteté future sans pour autant se référer à de solides précédents. Bref, ils veulent vendre du vent emballé dans des mots, ce qui n’engage que les naïfs disposés à croire en cette monnaie d’échange politique. 
Semblables aux dirigeants d’hier, puisqu’ils étaient leurs compagnons de route, nos gouvernants actuels sont-ils vaccinés contre la tentation de bourrer la boîte magique ? Peu importe qu’ils se soient guéris de ce recours car ce qui cause tant de tort à leur notoriété c’est leur inaptitude à se mettre en phase réelle avec les desiderata d’un peuple. Et plus grave encore, de prétendre être à son écoute en décrétant qu’ils n’ont fait que répondre aux appels de la majorité de la société en décidant de l’agenda.
À deux mois d’un vote qui, depuis deux lustres (2009 et 2014), avait connu une défection massive de l’électorat, rien pourtant ne semble aller dans le sens de la renaissance du civisme. Et pour cause, le plus influent des dirigeants du pays éprouve toujours de la difficulté à analyser correctement la nature du mouvement du 22 février (ce que, d’ailleurs, un juriste qualifie de recherche d’un nouveau paradigme). Ce fut précisément cette incapacité de se projeter dans le passé qui lui permit de privilégier la solution présidentielle, ignorant en cela que le pays et son État exigeaient d’autres fondations identitaires totalement différentes de celles héritées du siècle dernier. Or, comment raviver l’intérêt civique chez les citoyens sans lui évoquer la possibilité d’édifier une nouvelle République avec un matériau idéologique mieux adapté aux réalités du nouveau siècle. Alors que les garanties de stabilité sont minces de nos jours, rien ne doit pourtant justifier cette «dictature» du statu quo dont le nom est le «conservatisme».
Certes, une société défaite et sceptique a de fortes chances d’accoucher de saines révoltes qui déstabilisent l’ordre ancien. Mais encore faut-il que les élites politiques de «plein exercice» sachent à leur tour qu’ils en portent eux-mêmes l’entière responsabilité de ce qui vient d’advenir. C’est pourquoi tous les actes d’accusation délivrés à l’encontre du vis-à-vis finissent toujours par se retourner contre l’accusateur. Et s’il est exact que «nul n’a le droit d’empêcher la marche de l’Algérie», comment ignorer que le mouvement de ce pays est d’abord incarné par les infatigables marcheurs des vendredis et des mardis. N’est-ce pas mon général ?
B. H.

 

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