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Rubrique Lettre de province

«Nous sommes tous présidentiables» : la démystification par l’humour

D’abord ravie de l’enthousiasme spontané accompagnant les démarches préliminaires des candidats à la candidature, puis sérieusement préoccupée par l’inépuisable vague d’aspirants, la haute administration a non seulement des soucis à se faire concernant la monumentale gestion de cette centaine de dossiers, mais doit également craindre le ridicule que suscite cette blague à répétition provoquée par une légion d’inconnus en politique. 
Face à la tournure rocambolesque qui la menace, il est fort probable qu’elle ne possède aucune possibilité réglementaire lui permettant de mettre fin à cette procédure. Il est vrai que la banalisation de ce show, habituellement sélectif, en dit long sur l’état d’esprit de la société et les ressentiments qui sont les siens à l’encontre du régime. De ce déficit de sympathie politique tout peut advenir, effectivement, même lorsqu’on a mis en route les scénarios les plus sophistiqués. C’est pourquoi ce contre-scénario a pu faire le buzz cette fois-ci. Car au moment où se mettait en marche la petite campagne de recrutement d’outsiders, l’appareil d’Etat allait se retrouver dans une drôle d’impasse : comment endiguer le trop-plein d’aspirants plus amusants les uns que les autres, sans pour autant fermer le guichet à de profils intéressants ?
Mais alors d’où nous vient cette géniale plaisanterie collective qui, en détournant à peine le mot d’ordre officiel affiché sur les murs, a fini par susciter des vocations douteuses ? Peu importe que celles-ci soient suspectes, en tout cas elles interprètent fidèlement le slogan postulant que ce vote «nous concerne tous» immédiatement complété par «nous sommes tous présidentiables». Un humour ravageur cogité dans les chaumières venait de naître. En soi, cet appel à s’inscrire est d’abord significatif du désenchantement général de la société convaincue qu’il ne lui reste que la dérision — laquelle est, comme on le sait, «la politesse du désespoir» —, pour chahuter les clercs politiques. Dans ce contexte-là, elle viserait essentiellement tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont eu à se mêler de la chose publique et à délibérer au nom de l’intérêt commun sans que leurs professions de foi altèrent leurs appétits personnels. D’ailleurs pas un de nos dirigeants n’a été remarquable par sa transparence, tous cultivèrent un côté obscur au cours de leur exercice du pouvoir. Héritiers d’une suspecte tradition, ils se convainquirent que la responsabilité politique se résumait essentiellement à gérer sa propre carrière. Ce qui en définitive devint la marque de fabrique du régime algérien. A l’évidence donc, la société n’a eu affaire qu’à des princes peu exemplaires, de même qu’elle n’a guère manqué de commis qui ne font leurs aveux que lorsqu’ils sont exclus des privilèges. 
En face de l’élite et son guide, se trouve l’opinion qui, de déception en déconvenue, apprit à se méfier de la politique en général en se forgeant suffisamment de raisons pour ne plus croire en les promesses officielles. Vaccinée contre les inutiles prudences que conseillent habituellement les scrupules, elle s’est alors installée dans une sorte d’amoralité tranquille qui n’est dans les faits que le reflet de ses dirigeants. Car ce qui n’était au départ qu’un simple décalage préjudiciable à la symbiose entre le sommet et la société devint un hiatus mettant en opposition permanente le pouvoir et les couches sociales les plus précaires.
Mais dans les faits, à quoi reconnaît-on cette tare nationale ? La question a cessé d’être du ressort exclusif de la réflexion académique, elle est désormais abordée au détour de n’importe quelle discussion de comptoir. C’est parce qu’elle illustre le désarroi ambiant que se pose sans cesse la même question. Ceci est d’autant plus vrai chez les petites gens qui se plaignent que l’on continue à les confiner à la marge. De cette hostilité recuite à l’encontre de tout ce qui représente l’Etat, l’on en a tiré, ici et là, des conclusions ravageuses dont on retrouve les traces à travers l’incivilité sévissant dans l’espace public. Certes, la démoralisation sociale n’a pas laissé tout de même, indifférent, un pouvoir de plus en plus bunkérisé. 
Ouvrant le robinet financier, il lancera dès 2006 l’immense campagne de 3 millions de logements dont on vient de faire le thème central de sa réussite. Sauf que la satisfaction d’une attente sociale aussi massive ne suffit guère à gommer les retombées désastreuses de la corruption, d’une part, et d’autre part, le discrédit qui entache les activités d’une bonne partie de la classe politique. En effet, lorsqu’une société se forge de nouvelles certitudes dans son rapport avec les strates dirigeantes, que croyons-nous qu’elle fasse si ce n’est qu’elle s’en détourne et cherche par elle-même à se donner les moyens de s’en défendre. Plus grave que le désaccord la séparant du pouvoir, ce sont surtout les échecs qu’elle impute aux structures intermédiaires. Ceci dit, même s’il ne fait pas de doute que Bouteflika demeurera à son poste au soir du 18 avril, sa reconduction, par contre, aura lieu sous le regard dubitatif d’une société qui, depuis quelques quinquennats, n’a plus de rapport avec les urnes. Une juste consolation, car pour avoir essuyé tant de déceptions, l’opinion serait même disposée à ignorer, en effet, la prochaine messe. Bien qu’elle ne doute guère de l’inéluctabilité de la mort du pluralisme politique, elle fonde tout de même un mince espoir dans l’émergence d’une société civile, seul levier citoyen susceptible d’imposer la démocratie directe à la place de la démocratie de représentation qu’incarnent les partis. 
A l’abri donc de toutes les chimères, les algériens savent qu’un autre cycle du sultanisme plébiscitaire sera entamé dans une poignée de jours, ne laissant comme souvenir que la dérisoire légion des recalés ayant fait des rêves insensés. 
B. M.

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