Placeholder

Rubrique Lettre de province

Ouyahia et l’inutile fonction de Premier ministre

Au moment où, au sein même du gouvernement, les anciennes inimitiés refont surface et prennent parfois des allures de guerre des tranchées, ailleurs, à l’abri du bunker présidentiel, là où s’élaborent en principe les feuilles de route de la gouvernance, l’on se contente de laisser faire et laisser dire alors que la rumeur ne cesse d’enfler. Annonciatrice de l’incurie, celle-ci exaspère à son tour l’opinion qui finit par se demander s’il se trouve toujours à la tête du pays un donneur d’ordre susceptible d’être obéi. C’est que la pesante invisibilité politique que la plupart des commentateurs qualifient déjà de «vacuité institutionnelle» n’est pas étrangère au délitement de la cohérence gouvernementale. Celui qui s’est illustré souvent par les silences et le profil bas d’un Premier ministre au moment où il a été critiqué publiquement par un puissant… subalterne, tout autant que par son incapacité chronique de tenir un Conseil interministériel en l’espace de 15 mois.
La réalité d’un gouvernement fantôme se résumant à ces deux repères, il est difficile, par conséquent, de ne pas se demander si un Premier ministère n’est pas un poste superflu en raison du contexte particulier dans lequel se débat le régime. Autrement formulé, «par qui et par quoi» est-il possible de remplacer ce ministère régalien au cours de cette période de transition lorsqu’il n’est pas du tout évident que l’autorité suprême de l’Etat soit dans les meilleures dispositions pour exercer son droit de nommer ou de se séparer d’un ministre ? C’est que parmi tous les obstacles qui empêchent le pouvoir de fonctionner normalement, il y aurait celui de l’arbitrage clair du président de la République au moment des prises de décision. Or, il n’échappe à personne que les prérogatives présidentielles sont aléatoirement assumées dans beaucoup de cas ou du moins ne sont exercées que par délégation. C’est pourquoi les changements ayant eu lieu tout au long de ce quatrième mandat ont souvent fait l’objet de commentaires obliques parmi les apparatchiks de la majorité présidentielle. Une curieuse liberté de ton laissant entendre que certains choix relevaient plus de la «concession» que de l’autorité indiscutable de Bouteflika. Au cœur de la complotite qui scella le destin d’un certain Tebboune, certaines voix désignèrent rapidement la main d’un carriériste patenté du nom d’Ouyahia. Une hypothèse qui ne manqua pas d’argument en ce sens que ce chef de cabinet de la présidence redevint pour la énième fois le numéro deux de l’exécutif. Seulement nul ne crut par la suite qu’il fut le bénéficiaire d’un compromis auquel allait céder Bouteflika. Certains analystes sont même allés assez loin dans leurs projections en insistant sur le fait que sa nomination  porte réellement le cachet du chef de l’Etat. Laissant ainsi entendre que Bouteflika commençait dès l’an dernier à envisager une succession sans remous à travers ce «dauphin» suffisamment rodé aux codes du système.
Est-ce de la fiction mettant en scène la sagacité présidentielle se préoccupant   de la transmission du régime ou, au contraire, un réel souci du pouvoir convaincu qu’Ouyahia demeure, malgré toutes les suspicions qui lui furent accolées, le personnage le plus affuté pour sa succession ? Peu importe les réponses hasardeuses à cette interrogation, néanmoins il est tout à fait loisible d’expliciter ce long compagnonnage. Car entre Bouteflika et cet infatigable politicien, la «chimie» de la complicité a longtemps été une affaire de cycles. Selon les circonstances, ils se sont retrouvés tantôt en phase et tantôt en fâcherie sans que celle-ci aille jusqu'aux violentes ruptures semblables au clash qui sépara définitivement Benflis et le chef de l’Etat. Ayant appris l’un de l’autre qu’il ne faut jamais insulter l’avenir, ils s’accommodèrent aussi longtemps que les nécessités politiques l’exigeaient avant de connaître des périodes de bouderies que subira seul Ouyahia, lequel réussira le tour de force de ne jamais exposer publiquement ses ressentiments. Une maîtrise de soi qui explique en partie l’inclination du président de la République à mettre cycliquement fin à ses disgrâces et à le rappeler régulièrement au poste de premier de cordée du gouvernement. Et si en 2012, il connut le pire différend avec le Palais après son exclusion de toutes ses hautes fonctions, c’est qu’une rumeur insistante avait convaincu Bouteflika que son Premier ministre avait l’aval de certains réseaux officiels pour se présenter en 2014. Cinq années plus tard, beaucoup de cartes politiques sont passées de main en main avant de convaincre un Palais qui commence à douter d’élever au statut de partenaire cette indestructible personnalité dont les compétences de commis de l’Etat sont indéniables et, bien plus encore, qu’il demeure le plus ancien «collaborateur» de Bouteflika totalisant pas moins de 12 années dans des fonctions ministérielles. Or, si sa qualité de Premier ministre est difficilement contestable de la part de certains membres de ce gouvernement à la dérive, c’est que d’autres considérations alimentent l’hostilité qui lui est vouée dans la perspective d’un 5e mandat et son corollaire qualifié de «plan B». Ce qui, dans l’esprit de ceux qui mènent insidieusement campagne, est déjà interprété comme un «plan O» ! «O» comme Ouyahia, évidemment. Ce serait, par conséquent, à cette fin que l’on exhuma l’odieuse chasse aux sorcières ciblant les cadres d’entreprises qu’un certain  Ouyahia embastilla en 1997 ainsi que le supposé dérapage sémantique qu’il commit le 11 novembre à Paris quand il évoqua nos «morts» pour l’indépendance en oubliant l’usage du vocable «chouhada». Toute cette orchestration de critiques qui ressemblent à des procès ad hominem n’est-elle pas le prélude à une exigence de limogeage ? Mais que devait répondre le Palais alors qu’il est inconvenant d’interpeller de la sorte la présidence de la République quand on est ministre de son gouvernement ? A moins de reconnaître qu’une primature ministérielle est désormais ravalée à des besognes protocolaires et de ce fait inéligible à une quelconque sanctuarisation. Comme quoi, un Premier ministre cela ne sert qu’à accorder des audiences et voyager de temps à autre en tant que messager du Palais. Une humiliante sinécure.
B. H.

 

Placeholder

Multimédia

Plus

Placeholder