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Rubrique Lettre de province

Presse : In memoriam de Hamid Bouacida, écrivain et journaliste

Célébrer la journée internationale de la Presse en ne la consacrant qu’au rite des hommages a été, nous semble-t-il, une louable initiative à mettre sur le compte de certains confrères décidés à témoigner de leur tristesse et surtout de leur admiration à un confrère qui s’en est allé, il y a peu. A la différence des cérémonies de souvenir, qui ne sont d’ailleurs que des évocations ponctuelles pour exorciser l’oubli, celle qui s’est tenue dans les locaux d’El Watan s’est révélée riche en échanges entre les membres de la corporation et les amis du défunt. Même si, à certains moments, les discussions achopperont sur l’éternelle question de la liberté d’expression, le débat revenait aussi vite sur le sujet central. Celui qui consistait pour chacun à évoquer le défunt.
C’est ainsi que, durant 3 heures d’horloge, les avis et les souvenirs se succédèrent sans le moindre souci d’un quelconque ordre du jour, si ce n’est celui de parler de ce «Hamid Bouacida» n’ayant laissé indifférent aucun des présents. Devisant en toute liberté, l’assistance parviendra tout de même à portraiturer l’ami disparu en se référant, pour certains, à ses postures dans la vie, quand d’autres exhumèrent de mémoire quelques florilèges de ses écrits.
En définitive, c’était à partir de ce melting-pot oral qu’allaient se redessiner les contours de ce… conteur éblouissant. Un authentique orfèvre de la narration que le jury du prix Mohamed Dib allait consacrer en 2006. Seulement, bien avant que ne lui fut accordée cette reconnaissance d’homme de lettres, Bouacida avait déjà investi d’autres territoires de l’écriture. Celle du labeur journalistique susceptible de lui offrir quelques revenus pour survivre. Bien qu’il ne fît jamais cas de ce qui lui semblait n’être qu’un ennuyeux ersatz à la vocation d’écrivain, on le vit, très tôt, glisser vers un genre de journalisme singulier dont se méfie surtout la bien-pensance : celui de la satire. Et c’est parce qu’il détestait par-dessus tout le «toc» et le faux – semblant qu’il a fini par s’investir dans la causticité de la dérision afin de décrire le malaise qui ronge le pays. Amoureux des mots et de la langue en général, il s’était toujours accordé du plaisir à multiplier les calembours. Or, c’est de cette solide proximité entre la connaissance exacte du sens des mots et l’acuité de ses propres observations que naquirent sous sa plume de portraits merveilleusement suggestifs. Ceux qu’il caricaturera dans les années 1990 et qu’il publiera dans cette irremplaçable «feuille» satirique s’appelant El Gantra. Mais qui se souvient encore de ce périodique plein de mordant dont il fut le maître d’œuvre ? Peu de lecteurs, assurément. Souvenons-nous que c’était la décapante tonalité des écrits publiés par ce bi-hebdo qui lui valu rapidement un succès d’estime. C'est-à-dire le respect et l’adhésion d’un lectorat peu nombreux pour permettre à la «feuille» de survivre. En dépit de ses difficultés matérielles, il deviendra tout de même la référence pour tous ceux qui cultivaient encore le goût pour le texte au vitriol et la dérision assassine. Une nostalgie presque littéraire qui s’effacera avec le temps après sa disparition. Or, le talentueux amuseur qu’il se contentait d’être ne se doutait pas que ses calembours datant de cette époque allaient devenir des quasi-prophéties à présent. Car un quart de siècle après la mort de son journal, Bouacida ne pouvait pas se douter qu’il avait été subtilement plus clairvoyant que tous les faux diagnostics des maîtres ès optimismes.
Ayant fait de son journal une sorte de laboratoire pour une nouvelle écriture affranchie à la fois du rigorisme de la syntaxe et de la rigidité dont l’usage des vocables, il s’était même permis, en ce temps-là, de jongler avec la sonorité des mots jusqu’à s’autoriser à réduire le terme «écrire» afin de ne garder que les deux dernières syllabes que sont «ri-re». Même si ce recours à la «contorsion» des mots n’était pas du goût de tout le monde, cependant elle signalait chez Bouacida un désir de s’éloigner des formes verbales classiques pour doter la satire d’un verlan qui lui appartiendrait. Vaste projet qu’il ne put mener à son terme. Mieux encore, il fut, à une certaine période, l’auteur d’un curieux «manifeste» de l’écriture par lequel il revendiquait la liberté de mettre en symbiose tous les genres afférents à la satire. A savoir l’humour et sa langue approximative, les calembours, et ses détournements douteux ainsi que la polémique et le trait féroce sans oublier les loufoqueries avec leurs «diagonales du fou».
Parce qu’écrire serait d’abord l’attribut du scribe, Bouacida se voulait, pour cette raison, le notaire de sa ville et jamais son procureur. En somme, son témoin attitré, surtout quand elle va mal. Revenu des tromperies politiques et vacciné contre les choléras idéologiques dès les années prodigieuses d’El Gantra, cet auteur-là était déjà un électron libre exerçant dans une presse bridée de toutes parts par les présupposés des doctrinaires. En somme, il ne pouvait être qu’une plume perdue pour les embrigadements mais heureusement récupérée par l’hygiène intellectuelle que représente la dérision. Celle dont il en fera son credo au prétexte que l’on ne devrait pas ajouter au marasme et au décervelage ambiant une louche de solennité dans la littérature des journaux. Car, disait-il, de nos jours, l’humour ne devrait pas être l’apanage des esprits supérieurs mais doit être la thérapie appliquée à toute la société. Pour sa défense, il ajoutera une magistrale plaidoirie évoquant la terrible topographie de sa cité «(…) Parce que, écrivait-il, les boulevards de ma ville sont devenus de longs corridors que traversent ces passants pareils aux figurants de quelque sombre mélodrame. Avenue de la tristesse. Rue du stress. Place de l’inquiétude. Passage à vide. Impasse de l’impasse… Parce que (également) devant les étales des commerçants déambulent tous les jours ces mines déconfites qui font leur marché de la mort. Epicerie-guillotine. Boucherie abattoir. Quatre saisons en enfer.»
Telle était la marque de fabrique de ce prosateur à l’humilité légendaire et sachant, par avance, qu’il ne combattait pas à armes égales.
B. H.

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