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Rubrique Lettre de province

Quand Macron se remémore le blues des colonies !

Non, un mea-culpa lapidaire qui se contente de cinq lignes et d’un seul épisode d’une séculaire période coloniale n’est pas à la mesure de la longue souffrance d’un peuple. Loin d’absoudre une France louvoyant avec un passé sans honneur, cette petite initiative indique bien qu’elle n’est toujours pas prête à affronter politiquement le vis-à-vis quand il vient à lui manquer cette volonté de recourir à sa propre conscience nationale. Ce n’est donc pas une page d’un passé tourmenté concernant deux peuples que l’on a prétendu avoir tournée mais à peine la reconnaissance limitée d’un crime raciste attribué à un haut fonctionnaire quand il fallait avoir le courage et la probité morale d’avouer la compromission de l’État français. C’est dire que l’effet d’annonce escompté par le Président Macron, après son pitoyable dérapage commis deux semaines auparavant, ne risquait pas de faire baisser la tension de ce côté-ci de la Méditerranée.
Il est vrai que ce « petit pas » de l’Élysée a été perçu par les Algériens, certainement, et El-Mouradia, probablement, comme une grossière ruse. Trop indexée à la réactivation des relations ayant été abîmées par les références présidentielles à la période turque, cette cérémonie du 17 Octobre 1961 n’avait-elle pas servi déjà à l’ex-Président Hollande, en 2012, qui en avait fait le même usage que son successeur, cette fois-ci. Une promesse future qui projetait de rouvrir le contentieux mémoriel qui, a-t-on dit, devrait rendre justice aux générations indigènes victimes des holocaustes d’un certain maréchal Saint-Arnaud, lequel édifia sa sulfureuse réputation dans les manuels d’histoire. Sous cet angle, ayant existé par le passé, ne faut-il pas rappeler, en effet, que la France demeure obnubilée par le mythe de sa grandeur impériale en dépit du fait que son rayonnement actuel avait commencé à se réduire 60 années auparavant ; c’est-à-dire au lendemain de la dernière décolonisation concernant l’Algérie.
Cependant, malgré la modestie de son statut parmi les grandes nations, la France n’a eu de cesse d’entretenir la posture de donneuse de leçons au point d’être perçue comme une puissance retardataire manquant de discernement, alors que le temps « béni » des colonies était révolu. Autant dire que la France officielle, celle qui est en mesure de « labelliser » son histoire, n’est, à ce jour, aucunement sortie grande avec ses propres thèses. Car, en la matière, les passifs historiques se recensent d’abord à deux avant de se dénouer d’un commun accord. D’autant plus que « l’héritage » de cet ordre est probablement celui qui exige la plus grande prudence. Or, prendre l’habitude d’imposer des éclairages unilatéraux à chaque page du passé serait dénier au vis-à-vis le droit à une analyse contradictoire. C’est pour cette raison que surgirent cycliquement d’intempestives assertions politico-historiques qui jetèrent le trouble chez « les ennemis complémentaires » comme les avait qualifiés en son temps la subtile Germaine Tillon.
D’ailleurs, malgré la mobilisation des historiens français qui contestaient souvent des initiatives douteuses en soupçonnant les lobbies révisionnistes d’en être les inspirateurs, il était rare que le bon sens investisse clairement les thèses officielles. Comme quoi la publication des travaux de recherches sérieux n’a pas suffi pour corroborer, au sein des décideurs politiques, le juste droit de l’Algérie d’exiger une repentance mémorielle. Alors que la dernière puissance occidentale continue à ne pas assumer par elle-même le poids de son histoire en persistant et signant un énième contrat de dénégation, qu’a-t-on fait de ce côté-ci de la Méditerranée sinon à égrener les souvenirs les plus difficiles à oblitérer par la mémoire et dont les plus courants sont les noms des assassins officiels et des lieux devenus des cimetières en temps de paix.
De citation en citation, nous croisons les noms des soldats perdus qu’étaient Aussaresses et Trinquier sévissant à Alger ainsi que le capitaine Rodier, « gérant » sans état d’âme du centre de torture que devint la « Ferme Ameziane ». Hélas, quand, en dépit des rares voix qui s’étaient de temps à autre élevées pour qualifier les forfaits coloniaux de « crime d’État », la chape de plomb avait vite pris le dessus, l’on justifia cette censure en argumentant que ce genre d’agitation allait à l’encontre de l’intérêt supérieur des « États». C’est de la sorte que furent conclus, au cours des mandats de Bouteflika, des drôles de deals antimémoriels au détriment de la conscience des peuples.
En effet, si en France la majorité du personnel politique se sentait désigné dans la responsabilité de ce qu’avait été la sale guerre d’Algérie au point d’adopter les mensonges comme nouvelle vérité, ici, en Algérie, la question sera confisquée dans le silence et comme argument de riposte. À ce propos, il est significatif qu’au cours des deux décennies du siècle dernier, l’on a rarement posé à la France la question de la reconnaissance mémorielle comme un préalable à une réconciliation apaisée.
L’idée avortée d’un traité d’amitié ne date-t-elle pas d’ailleurs des premières années de la décennie 2000 ? Il est vrai que les présidents successifs se sont peu souciés de faire du lobbying auprès des organisations internationales pour faire valoir le concept de « repentance anticoloniale ». Tout au plus a-t-on exploité l’holocauste qui marqua un siècle durant la colonisation française pour en faire une interpellation légale. C’était, par conséquent, dans le décalage entre la realpolitik d’Alger et les repères concrets des génocides que réside notre incapacité à préserver et entretenir les lieux de l’horreur afin d’en faire un élément concret de ce que fut la guerre d’indépendance ainsi que les sacrifices de l’humanité qui résista tout au long d’un siècle.
Pourquoi donc les Treblinka, Auschwitz et Birkenau n’ont-ils pas leur équivalent dans l’horreur d’un autre peuple que celui des hébreux ? Ils ont pourtant pour adresse « Villa Sezini », « Ferme Ameziane » ou encore les camps de concentration de «Bossuet» (Dhaya, actuellement).
Hélas, l’incompréhensible table rase des lieux de mémoire n’a-t-elle pas fait en sorte que, par «manque de preuves», les partisans de la France coloniale ont eu le beau rôle pour rendre problématique le moindre procès de l’Histoire.
Voilà comment le «sincère» Président d’une France nouvelle allait se saisir de l’aubaine d’une Algérie désertifiée afin de jouer à la girouette !
B. H.

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