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Rubrique Lettre de province

Tunisie : un État de droit où la citoyenneté est à parité intégrale !

Contrairement à notre voisine, cette modeste Tunisie où tous les débats sont ouverts même ceux qui s’affranchissent des tabous religieux, chez nous persistent trop de lignes rouges interdisant la moindre interpellation dès l’instant où il s’agit d’évoquer les archaïsmes qui continuent à s’opposer à l’intégralité de la parité homme-femme. Et c’est justement cette censure d’Etat se prévalant d’un certain «ordre moral» gravé dans le marbre de la religion qui demeure à ce jour l’explication spécieuse justifiant les interdits. Autant donc admettre que la lutte des Algériennes prendra encore du temps et consumera, hélas, plusieurs générations parmi elles avant d’accéder à un statut identique à celui de leurs cousines de Tunisie. Nation pionnière dans un monde arabe pétrifié par les références à un passé grandiose mais jamais actualisé, elle constitue pourtant un épouvantail pour bon nombre de régimes au lieu de leur servir de modèle. En Algérie, entre autres, n’a-t-on pas entendu souvent nos hommes politiques en charge de hautes responsabilités brocarder ces fameux désordres des «printemps arabes» en leur opposant comme argutie «l’épanouissante stabilité» qui serait la nôtre alors qu’il s’agit d’un immobilisme politique annonciateur de toutes les régressions. C’est précisément à partir de ce «là-bas» mitoyen que nous parviennent les échos d’un surprenant débat doctrinal traitant de l’inégalité successorale entre hommes et femmes !
Initié  par son président de la République «him-self» qui, au nom d’une modernité étonnante de sa part au vu de son âge (96 ans), souhaiterait abroger une règle «économique» vieille de 15 siècles afin de mettre en conformité le droit spécifique avec l’impérative égalité énoncée dans la Constitution de 2014. Bravant les polémiques et l’agitation politico-religieuse, le vieux Caïd Essebsi se révèle sous les traits d’un subtil réformiste tout à fait en mesure de conduire une sorte «d’aggiornamento» qui ferait coïncider la pratique et l’épanouissement de la foi avec son époque. Le défi est en soi exemplaire puisqu’il contraint «les vieux turbans» — selon le légendaire qualificatif désignant la classe politique qui s’opposait à Bourguiba ­— des mosquées à accompagner les évolutions sociétales au lieu de les censurer en mobilisant  les imprécateurs des minbars.  
Le voici par conséquent ce pays et son peuple à l’humilité exemplaire qui fait sa révolution interne tout en restant à la marge de tous les panarabismes rampants et les panislamismes accoucheurs de guerres de religions. Or, malgré sa solitude, il trouve tout de même de l’énergie et de l’intelligence à mener à bien ce changement foncier. Celui qui est déjà  parvenu à faire un pied-de-nez à certains quêteurs de la postérité internationale en obtenant en 2015 le prix Nobel de la paix ! Une consécration mondiale attribuée justement au fameux «Quartet du dialogue national» à l’origine de la ratification d’une nouvelle Constitution et dont l’égérie n’était autre qu’une juriste issue de la société civile : cette Widad Bouchamoui qui sut, en brillante médiatrice, convaincre aussi bien les courants laïques que la galaxie islamiste. Exemplaire en tant que femme de loi, elle est devenue, grâce à son combat, l’icône de l’émancipation juste et sans faille. C’est dire que les politiciens sévissant au sommet des Etats arabes ne peuvent que reconnaître dans l’expérience tunisienne qu’une exception confirmant les échecs d’autres faux printemps. En étant le premier de cordée des révoltes populaires qui, en 2011, s’emparèrent des rues de Tripoli, le Caire et Damas, Tunis devint de fait le laboratoire de ce qui allait advenir dans le futur en sein de ce grand croissant. «Si ça ne prend pas ici ça ne prendra nulle part» était à cette époque la sentence lourde d’inquiétude énoncée par une militante tunisienne. Car malgré «l’ivresse des possibles»,  selon l’intitulé d’un article du monde diplomatique,  l’incertitude était de mise. Seulement la Tunisie est une nation singulière, même dans ce contexte-là. Car à l’ère des indépendances, elle fut pratiquement la seule parmi les républiques  arabes à n’avoir pas reçu comme «dot» une armée pour la guider. En épousant un partisan de la souveraineté certes brillant tribun mais néanmoins autocrate, elle avait longtemps détesté ce Bourguiba narcissique tout en «buvant» sa pédagogie politique, laquelle allait en définitive modeler mentalement ce pays. Au lendemain de 2011, n’est-il pas redevenu, en effet, le repère du républicanisme moderne par ceux-là mêmes qui, jadis, le considéraient comme un mégalomane de la pire extraction. C’est précisément ce changement de mise en perspective du statut du commandeur qui devint une référence à la Tunisie nouvelle. Sans doute que le retour en grâce à la référence du «combattant suprême», comme il aimait se faire appeler, ne se justifiait que par opposition à la médiocrité de son successeur. Cependant, il n’y avait pas que cet aspect de l’histoire qui serait à l’origine de sa popularité posthume. Indiscutablement, Bourguiba fut en son temps parmi les leaders maghrébins le plus soucieux de la problématique du progrès social et notamment des méfaits du maraboutisme religieux qui diffusait une approche surannée de la foi auprès des masses populaires. Leader consensuel  tout au long de la résistance anticoloniale, il se révélera, en effet, comme un brillant moderniste en tant que chef de l’Etat n’hésitant guère à bousculer les credo de l’université islamique de la Zitouna afin de réformer les structures archaïques de la famille et arrimer celle-ci à son époque. Dans  ce domaine, ne fut-il pas le plus audacieux des dirigeants maghrébins en abolissant la polygamie du code de la famille ? Dire par conséquent que la Tunisie actuelle doit en partie à cette culture positive inoculée à la société par un certain autocrate lumineux est tout à fait vrai. En effet, Bourguiba demeure étonnamment actuel sur les questions sociétales bien qu’il faille rappeler qu’il ne fut qu’un dictateur éclairé. Homme du siècle dernier, il était, cependant, porté par le désir de se démarquer des Etats arabes décadents. Il y parvint souvent en s’entourant d’une excellente élite politique dont l’actuel président de la République fit partie en occupant plusieurs ministères. Beji Caïd Essebsi en faisant de la réforme du statut personnel l’objectif de sa mandature illustre parfaitement cette filiation doctrinale qui lui vient de très loin. A l’époque où il n’était qu’un disciple de Bourguiba.
B. H.

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