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Rubrique Lettre de province

Vers une révolution sans dividendes notables ?

Il semble bien que l’armée éprouve de la difficulté à interpréter correctement les vœux de la rue ou, peut-être, désire-t-elle sciemment réduire les prétentions des manifestants en leur imposant un réaménagement « soft » des fondamentaux du système sans pour autant laisser de possibilités à une véritable refondation de l’État. En tous cas, quelles que soient les précisions qu’elle s’efforcera d’apporter dans les prochains jours, trop de zones demeureront néanmoins à l’ombre. C’est-à-dire de réels malentendus entre les professions de foi de la caserne et le radicalisme massivement partagé par la population. Pourtant, le désaccord au sujet de la sortie de crise se résume à deux vocables exprimant clairement des objectifs diamétralement opposés. D’une part, la « transition » vers un nouveau régime ou bien la « refondation » de l’État en privilégiant le recours à une constituante, ce qui aura le mérite de « reconstruire sur des bases nouvelles la République ». Or, la hiérarchie militaire semble vouloir à tout prix occulter cette alternative.
C’est ainsi qu’après avoir tiré un certain bénéfice, en matière de popularité, après la déposition anticipée de Bouteflika, elle s’est crue en devoir de ne mettre sur la table que la solution… transitoire, au moment où, justement, la défiance générale traduisait son refus de retrouver à la manœuvre les mêmes institutionnels qui méprisèrent les appels de la rue quelques semaines auparavant. En imposant à la hussarde la fameuse prescription de l’article 102, l’armée vient de provoquer une première fissure dans le deal moral passé avec la « voix du peuple ». Un véritable désenchantement provoqué d’abord par les dérobades du « parrain » et ensuite par le retour officiel au pouvoir d’une brochette d’apparatchiks censés être en mesure de mener à bien les affaires de la République alors que le passif de leur passé se mesurait à l’aune des manipulations de toutes sortes. En clair, la troïka des « 3B », que les manifestations récusaient depuis le 22 février, était bien là mardi dernier après l’insolite investiture du transparent Bensalah, l’archétype même du porteur d’eau en politique, ce qui, en termes moins valorisants, est synonyme de docilité ; autrement dit, son aptitude à se couler dans le moule de toutes les coteries de la complotite sans éprouver de gêne intellectuelle ni de remords moral. D’ailleurs, tout dans sa trajectoire s’organise en fonction des privilèges et son « combat » est exclusivement mobilisé pour ne servir que le prince du moment. Homme des servitudes de toutes sortes, il savait d’instinct que les convictions et les principes en politique relèvent du bavardage alors qu’il est possible de les trahir au profit de gratifiantes fréquentations. C’est dire qu’il a toujours fait partie de la meute des « politiques » disposés à faire « nombre » pour imposer un régime et le leader du moment. Personnage sans relief, il vient pourtant de loin. Car, après avoir été longtemps un obscur tâcheron au service du parti unique, il connaîtra enfin sa première notoriété au milieu des années 1990. 
Sa carrière se dessinera d’ailleurs au moment où il accédera au Conseil national de transition (CNT) créé pour se substituer à une APN dissoute suite à la « démission» de Bendjedid. Depuis, il ne cessera de collectionner les sinécures qu’offrent les appareils législatifs. Passant du perchoir de l’APN à celui du Sénat, il devint, par le hasard de la connivence, le second personnage de l’État dans l’ordre de la préséance. Une ascension qui nous semblait tout à fait formelle en 2002 alors qu’elle vient de faire de cette « improbable » personnalité le chef de l’immense État algérien ! Le voici donc dans le costume d’un « Président sans qualité notable » à qui il sera exigé qu’il remette sur pied une République désincarnée depuis pas moins de 6 années. Ni tribun à forte conviction, ni même un subtil négociateur, il n’est finalement reconnaissable qu’à son inclination à l’obéissance… Mais à qui la doit-il à partir du moment où le poste de chef suprême des armées a disparu avec l’ex-Président ? Or, ce Bensalah, coopté par une Constitution frappée par l’obsolescence depuis longtemps, ne doit se contenter, durant 90 jours, que du formalisme des consultations sans ordre du jour, tant il est vrai qu’il ne sera pas qualifié pour aborder les lancinantes questions que la rue pose encore et surtout de se fendre d’aucune promesse. En effet, de par ce qu’il représente, il sera ce que l’on voudra qu’il soit sauf celui de donner des ordres. Loin de posséder les qualités de modérateur d’un dialogue ou de susciter lui-même la sincérité en toutes circonstances, l’on peut présumer que cette « présidence intérimaire » fonctionnera sûrement avec une « voix off » : celle qui dictera les réponses de derrière le rideau. Un scénario inacceptable dans la mesure où cette présidence sera soumise au contrôle de l’armée avec tout ce que cette option pourrait supposer de suspicions.
En attendant le soir du 4 juillet, quand un nouveau Président sortira des urnes, que restera-t-il à ce moment-là de la grande espérance inscrite des millions de fois dans les mots d’ordre accompagnant les impénitents marcheurs de la République ? Car, pourquoi est-il devenu subitement tabou d’aborder la probabilité de changer non pas « de » politique mais bel et bien de changer « la » politique. C’est justement cette ligne de partage qui fait toujours problème. L’ancien système, dont l’avenir se joue à partir de cette alternative, compte toujours sur le discours prétendument légaliste pour continuer à ne plaider que pour un pacte rénové autour d’un changement « de » politique dans son rapport à la société sans pour autant remettre en question l’architecture même de l’État. C’est d’ailleurs pour cette raison que les approches officielles s’efforcent de désamorcer les revendications visant le système en proposant la solution intermédiaire d’une présidentielle transparente en lieu et place d’une Constituante susceptible de modifier en profondeur la carte d’identité de la République.
Voilà pourquoi l’opération de séduction ayant consisté à faire de l’armée l’alliée inconditionnelle des référendums de la rue est en train de prendre de l’eau.
B. H.

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