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Rubrique Lettre de province

Youm El-Ilm ou le récit de l’imam pédagogue

Aussi loin que l’on remonte aux premières années de l’indépendance, l’adoration quasi-mystique de cet imam-là a régulièrement mobilisé des foules de croyants. Ressuscités par de lentes psalmodies coraniques, le moment du deuil datant du 16 avril 1940, les célébrations connurent parfois des pics de la démesure à laquelle d’ailleurs il a été mis un terme au tournant de la décennie 1970. Il est vrai que le parcours de cet exégète hors normes avait très tôt suscité d’autres jugements que religieux tant il est vrai que l’itinéraire du mouvement national ne pouvait pas, à son tour, ne pas rappeler certaines ambiguïtés dont les auteurs furent les «oulémas».
Récupéré saisonnièrement en tant que référence cultuelle d’abord puis culturelle surtout, l’on parvint effectivement à faire du Ben Badis de la foi l’homme qui modifia la pédagogie archaïque en mettant en chantier un système éducatif capable de rivaliser, disait-on, avec les méthodes du colonialiste Jules Ferry ! Malgré le fait que son nom demeura un sujet classique d’exaltation religieuse, il se trouva assez tôt des doctrinaires de mosquées dont la prédication baâthiste s’était longtemps justifiée comme un legs de Ben Badis. C’était pourquoi, en cinq décennies, l’usage de la date du 16 avril connut les pires manipulations.
Un inimaginable viol du grand œuvre que pourtant l’État souhaitait en faire un modèle. D’abord placé sous le signe du «savoir», lorsque la République avait encore des accents socialisants dans ses discours, elle devint, tour à tour, l’alma mater du baâthisme idéologique des mutants du FLN (ces dérisoires «barbe-FLN») lesquels validèrent l’intégrisme armé en se référant à la «pensée» de l’«imam».
Au seuil de la décennie 80, il était indéniable que, de toutes les figures religieuses, celle de Ben Badis fut la plus malmenée par la propagande officielle circulant librement dans tous les lieux de culte. Or, malgré l’image profondément altérée par le croisement des dogmes, qu’a-t-on retenu par la suite qui fut conforme à la personnalité et à son œuvre ? Peu de choses et à peine de vagues fragments d’une existence et d’une pensée définitivement enfouies sous le fatras des apologies de circonstance quand ce n’est pas celle de la critique suspicieuse. En somme, si son patronyme était en soi évocateur, sa mission ou plutôt ses œuvres demeurèrent, au contraire, peu connues du grand public. Au mieux, ne l’avait-on évoqué, par le passé lointain, qu’à partir de quelques stéréotypes. Ceux qui étaient réducteurs par définition et firent en sorte qu’il y eut suffisamment de raisons pour mettre en lumière sa trajectoire et lui épargner les inutiles réquisitoires historiques totalement en décalage avec sa propre existence. Car, en dépit de la controverse sur la place et le rôle de l’association des oulémas dont il fut l’un des fondateurs, il était indéniable de commencer par éviter l’écueil des procès globalisants. Pour ce faire, seule l’économie de la raison exempte cette personnalité de toute culpabilité morale. Et pour cause, son héritage ne s’étalonnait que sur la durée temporelle allant de 1930 à 1940 ! Cela dit, même si l’image première et définitive l’a fixé pour l’éternité dans cette modeste robe d’imam, il n’en demeurait pas moins que, dans sa vie de tous les jours, il était certainement moins un intercesseur de la foi qu’un manager du système éducatif et notamment un homme de plume (directeur de publication des journaux El Bassair et Echiheb).
Devenu une référence aux multiples compétences, il laissera autant de preuves de son militantisme politique aux côtés de Messali Hadj et Ferhat Abbas. De même qu’il fut autant actif et convaincant tout au long de son opposition à l’encontre du maraboutisme et des zaouïas. Homme de religion certes, il exécrait justement l’autisme des ermites prostrés dans la bigoterie. En sa qualité de quêteur de lumière impénitent, n’avait-il pas consacré le versant discret de son inspiration à taquiner la muse poétique.
Mais alors que reste-t-il, de nos jours, de la mythique leçon magistrale de «Youm El-Ilm» ? Rien, si ce n’est le bégaiement de ce blé en herbe peinant à faire la différence dans les calculs et ne sachant capter les beautés autour de soi. Il est vrai qu’au nom d’une grave imposture, le clergé des mosquées a cru légitime d’hériter de Ben Badis. Et pourtant, le souvenir du poète témoin qu’était Malek Haddad est sans partage. Ben Badis venait d’un ailleurs différent par la lumière. «(…) Jamais un homme dans cette ville qui a tant de mémoire et tant de souvenirs ne fut mieux mêlé à sa sensibilité», écrivait-il, et d’ajouter : «Il est entré chez lui (…) dans ces maisons aux portes basses, sous ces voûtes qui soutiennent une espérance incassable sur ces places vivantes où le ciel devient clairière dans l’échoppe feutrée, dans l’école murmurante au fond des ruelles, au fond des cours, au fond de la permanence rassurante de cette ville en vigie sur la plaine (…). Il existe loin des gloires tapageuses et des célébrations surfaites.»
B. H.

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