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Rubrique Monde

Élection présidentielle en Tunisie aujourd'hui La démocratie en ballotage

Par Brahim Taouchichet
Si le mouvement de Rached Ghennouchi pèse lourd dans la balance des élections, le camp démocrate et progressiste reste en embuscade.
Les dés sont jetés. Des urnes, sortira aujourd’hui l’heureux élu de l’élection présidentielle anticipée. En effet, 6 millions de Tunisiens auront à choisir parmi 26 candidats à l’assaut du palais convoité de Carthage pour le poste laissé vacant par feu Baji Caïd Essébsi (BCS) décédé en juillet dernier à l’âge de 92 ans.
Le disciple du combattant suprême, Habib Bourguiba, aura eu la tâche ardue de rétablir la «stabilité» dans un pays rongé par les luttes sans merci de tendances et partis politiques. C’est donc dans une ambiance survoltée, d’une précampagne électorale où tous les coups étaient permis que les candidats ont tenté de subjuguer un électorat plus enclin à suivre celui qui leur assurera de meilleures conditions d’existence dont l’emploi. Il faut se rendre à l’évidence d’un pays partagé entre les retombées d’une crise économique qui perdure et la revendication de l’approfondissement du processus démocratique en mal de concrétisation surtout avec le retour sur scène des figures du système Ben Ali, marqué par le slogan «Dégage».  

Aux dernières nouvelles, le Président déchu aurait reçu la permission de rentrer au pays, pour des raisons «humanitaires», depuis son exil en Arabie Saoudite. De ce lot de candidats, vus pour nombre d’entre eux, comme des lièvres, prendront la tête du peloton des profils qui se sont imposés dans l’opinion publique tunisienne comme présidentiables potentiels. Nous citerons, notamment, Nabil Karoui (56 ans), en prison pour blanchiment d’argent Abdelfattah Mourou (71 ans), Youcef Chahed (43 ans) ancien Chef de gouvernement et l’énigmatique Moncef Merzouki, président de la République par accident et ouvertement pro-marocain de janvier 2012 à décembre 2014. 
L’autre fait saillant qui restera dans les annales des élections dans les pays arabes est le débat télévisé ayant opposé les candidats, une première. 24 candidats ont en effet pris part à ce show médiatique en l’absence du favori des sondages Nabil Karoui vu comme un danger car ses détracteurs ne veulent pas courir le risque de le voir remporter cette présidentielle et décident donc de lui barrer la route. Il mènera campagne à partir de la prison dans la banlieue de Tunis mais les chances sont nulles à défaut d’une présence physique du chef de Qalb Tounès par l’entremise de sa femme. Bien évidemment cela restera un point noir dans cette élection à la tunisienne qui suscite beaucoup d’espoirs parmi les sympathisants de la «révolution du Jasmin». 
Youcef Chahed, dont l’ambition est de rassembler les courants démocrates et progressistes, fait face à de nombreuses attaques de ses adversaires qui l’accusent, lui, de corruption alors que la lutte contre la corruption il en fait son cheval de bataille à la grande satisfaction des Tunisiens dégoûtés par les turpitudes de leurs gouvernants et assimilés. Le fils de BCS, en particulier, a maille à partir avec lui et l’accuse de harcèlement et de le pourchasser afin de l’empêcher à prétendre se placer dans la course pour le palais de Carthage dont les résidences ont été tout récemment libérées par la famille Essebsi. Il est aussi accusé d’être derrière l’arrestation de Nabil Karoui, ce qu’il rejette non sans ironie. Visage avenant, une barbe soigneusement taillée, en tenue traditionnelle, Abdelfettah Mourou, (40 ans de batonnat) co-fondateur d’Ennahda avec Ghenouchi peut se prévaloir de son long engagement sous Ben Ali —sans quitter le territoire tunisien — son franc-parler qui plaît parce que se posant comme iconoclaste par rapport aux dogmes et discours islamistes. Son mouvement pèse lourd dans les destinées de la Tunisie, ses chances de l’emporter font rager le camp opposé qui le qualifie de leurre quant à ses réelles intentions une fois élu. Seul le candidat Mehdi Jomaa, qui s’est au demeurant retiré de la course, a promis dans son programme, de faire de l’Algérie sa première escale de voyages à l’étranger. C’est que la politique intérieure est prépondérante dans ce scrutin. Pourtant, les défis qui interpellent les politiques tunisiens et par extension la Tunisie sont nombreux, délicats et même d’une extrême urgence dès lors qu’il est question de sécurité et de la menace terroriste qui a endeuillé le pays à de nombreuses reprises. Cela ne manque pas de rappeler, pour la Tunisie, que sa proximité territoriale, pour ne citer que cet aspect géographique, pèse de tout son poids. Des deux côtés de la frontière les dirigeants des deux pays le savent assez. 
La Tunisie d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1970. Aujourd’hui avec ses près de 12 millions d’habitants ; une troisième génération post-indépendance qui partage l’impatience de vivre comme partout ailleurs et qui n’a de cesse de dénoncer, à sa façon, l’incurie de ses dirigeants : engagement dans les rangs des islamistes armés, pour les femmes zaouedj el mout3a au bonheur des émirs, immolation atroce par feu inaugurée par Bouazizi à Kesserine, les harragas, etc. Quels changements va introduire cette présidentielle ? Le plus petit pays du Maghreb poursuivra-t-il sa traditionnelle politique d’équilibrisme dans une aire géographique en pleine mutation voire sous pression ? Peut-on s’attendre à plus que d’une position faite de prudence et d’attentisme face aux questions qui agitent la région ? S’agira-t-il pour la nouvelle équipe de continuer à gérer le capital de sympathie et de compréhension dont le pays bénéficie depuis toujours comme c’est le cas dans les pays du Golfe ? C’est avec son voisin de l’Ouest qu’une implication plus profonde est attendue en dépit de nombreuses entités économiques qui activent de part et d’autre. 
La Tunisie a plus à gagner mais le mieux sans doute dans des partenariats gagnant-gagnant. Pour l’heure, c’est l’accord énergétique stratégique pour la Tunisie qui domine tout le reste, soit 16% du volume de gaz  algérien transporté vers l’Italie via le gazoduc «Transmed» qui rapporte au Trésor tunisien la coquette somme de 473,8 millions de dinars tunisiens (2018). Faut-il rappeler que l’accord date de 1977 et est prolongé à 2029 ! Plusieurs entreprises tunisiennes (au nombre de 100) sont implantées en Algérie contre 39 algériennes en Tunisie. 
L’Algérie est dans l’excédent commercial vis-à-vis de son voisin de l’Est du fait du gaz. Pourtant, depuis ces deux dernières décennies, le produit tunisien qui suscite le plus d’engouement en Algérie est le… tourisme ! Pas besoin de campagnes publicitaires onéreuses pour attirer le touriste algérien sur le territoire tunisien. Qu’on en juge ! Sur les 7 millions de touristes enregistrés l’année dernière 3% sont algériens selon les statistiques de l’Office tunisien du tourisme (OTT) qui ambitionne de porter ce chiffre à près de 3 millions de vacanciers algériens, attirés, il faut le souligner, par la proximité du pays et les prestations abordables. Cette afflux massif n’est toutefois pas sans poser problème pour le commun du Tunisien qui voit venir chez lui «passer du bon temps» ses voisins tandis que lui est à la peine chaque jour que Dieu fait. Résultat des courses, une controverse récurrente quant au très mauvais accueil réservé aux touristes algériens dans des hôtels qui ne veulent pas de ces voisins qui sont pourtant dépensiers à souhait à tel enseigne qu’à plusieurs reprises ils ont sauvé l’année touristique tunisienne et par là, donné un sacré coup de pouce à l’économie tunisienne. Cela les Tunisiens le savent, mais cela n’a pas empêché un candidat au scrutin d’aujourd’hui de déclarer sur une chaine de télé tunisienne que les touristes algériens viennent manger le pain des Tunisiens, paraphrasant peut-être sans le savoir, le sketch sur la xénophobie de l’humoriste, Fernand Raynaud («Je n’aime pas les étrangers, ils viennent manger le pain des Français»). 
Quand bien même cet énergumène s’est déjugé en démentant les propos que l’on lui a prêtés, cela reste symptomatique d’une attitude que nous ne comprenons pas, pour autant, les touristes algériens que l’on sache, ne demandent pas de statut particulier. Ces mêmes touristes, suite aux attentats du musée du Bardo, n’ont pas hésité à braver les attentats en se déplaçant massivement prouvant ainsi leur solidarité avec leurs voisins. Ils l’ont clamé haut et fort et l’ont fait ! Evidemment, ce soutien s’exprime à un plus haut niveau dans la lutte contre le terrorisme qui a pris pour cible la petite Tunisie, faible et sans expérience et surtout surprise dans sa croyance que le terrorisme vient d’ailleurs — suivez mon regard. Doit-on alors s’attendre à une refondation nécessaire et porteuse des relations économiques entre deux pays qui partagent beaucoup de choses en commun ? Il est clair que le candidat qui sortira des urnes ce soir aura à inscrire dans son agenda : l’Algérie.
B. T.

 

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