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La démocratie est un chemin de croix !

En dépit de ses insuffisances et autres imperfections évidentes, la Constitution actuelle, à l'image des précédentes, comporte des avancées démocratiques dans le cadre d’un régime présidentialiste. Mais il y a toujours eu un certain hiatus entre le contenu du texte et la réalité, écart traditionnel entre le théorique et le vécu. Chez nous, cet intervalle est plus net qu'en d'autres endroits du monde qui se distinguent par une certaine instabilité constitutionnelle. Signe caractéristique en est, les toilettages récurrents depuis l’Indépendance de la Constitution.  
Dans la pure tradition africaine qui fait de la Constitution un sujet de fréquentes modifications, l’Algérie figure en effet dans le peloton de tête des pays qui révisent régulièrement leur loi fondamentale. Notre pays a donc adopté sa première Constitution en 1963, suspendue deux ans après seulement. Nouvelle mouture en 1976, révisée en 1979 et 1980, changements articulés à la Charte nationale de 1976, elle-même objet de révision idéologique en 1986. Ensuite, Constitution de 1989 qui abandonne la référence à ladite Charte, et qui est remplacée par celle de 1996, elle-même  modifiée en 2002, 2008, 2016 et enfin, de manière substantielle, en 2020. Au total, dix versions constitutionnelles en 58 ans seulement, soit globalement une Constitution tous les un peu moins de six ans ! 
Les textes constitutionnels sont parfois généreux, mais sont donc peu ou prou appliqués. Comme quoi, comme le soulignait le général De Gaulle à propos de la Ve République, la Constitution est une idée, les institutions une pratique et la démocratie une culture. Exemple parmi d’autres de ce différentiel entre théorie et pratique, la manière dont fut traitée en 2018 la demande d'un parti légaliste et républicain, de tenir son congrès à Alger. La requête légale reçoit alors des réponses alambiquées et est l’objet de manœuvres dilatoires des services concernés. Saisie, la justice tranche, à deux reprises, en faveur du parti en question. Le tribunal administratif dans un premier temps et le Conseil d'État dans le second donnent tout le loisir au MDS, avatar organique de l'historique Pags communiste, d'organiser son congrès. Mais l'Administration, dont les voies politiques sont parfois impénétrables comme celles du Seigneur, louvoie pour mieux refuser aux congressistes l'accès à une salle algéroise. «Arguments» avancés : quand ce n'est pas d'obscures raisons de sécurité, on invoque à l'occasion un «coup de téléphone» anonyme mais certainement impérieux comme un oracle divin. Au final, les cadres du MDS ont tenu leur congrès dehors, c'est-à-dire dans la cour extérieure de la salle choisie. 
Où l'on voit bien donc, comment un «coup de fil» anonyme méprise une décision souveraine de la justice et comment une administration, barricadée derrière des portes closes, viole allégrement la Constitution. Celle-là même qui contient un «plus démocratique» et qui a été amendée dans ce sens. L'exemple de l'obstruction mystérieuse faite au MDS, parti pacifique, qui a notamment payé un lourd tribut à la lutte contre l'intégrisme terroriste, montre que les deux ennemis essentiels de la démocratie sont finalement la bureaucratie et la culture autoritariste qui imprègne plus que jamais les esprits. 
La Constitution est une idée, les institutions une pratique, et la démocratie une culture, disait, avec justesse, le général De Gaulle. On ne le rappellera jamais assez. Décidément, l'Administration et les forces politiques indéfinies qui sont derrière ont des raisons politiciennes que la raison démocratique ignorait encore en 2018 et ignorerait encore d’autres années durant ! On n'est pas démocrates du simple fait que les principes démocratiques sont inscrits dans la Constitution. On l'est par nature ou on le devient surtout. Alexis de Tocqueville avait raison de dire que «dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau». Que dire alors d'un pays où les générations actuelles ne sont pas encore assez habituées à la pratique démocratique, que le mouvement du Hirak n’a finalement pas pu élargir substantiellement deux ans après ? 
Certes, la démocratie rêvée «c'est celle du gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple», comme la définissait Abraham Lincoln. Force est de dire qu’on en est encore loin en Algérie comme ailleurs d'ailleurs. «La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes», disait Winston Churchill. Chez nous, on n'est pas encore entrés résolument dans ce «système qui est le moins mauvais de tous les systèmes», mais qui est encore à construire, à petits pas, étape par étape, laborieusement, parfois dans la douleur. Ne jamais l'ignorer enfin, la démocratie est un chemin de croix, un long voyage initiatique. Les élections législatives du 12 juin prochain, qui favoriseront probablement l’émergence d’une Assemblée nationale morcelée, sans majorité cohérente et stable, seront un pas de plus sur le long chemin de l’apprentissage de l’exercice démocratique. 
«Être démocrate, ce serait agir en reconnaissant  que  nous  ne  vivons jamais  dans   une  société  assez démocratique»,  disait   l’enfant  d’El Biar, le philosophe Jacques Derrida. Et comme pour lui répondre en écho, l’ancien secrétaire général des Nations-Unies Boutros-Boutros Ghali a dit : «Si les grands principes de la démocratie sont universels, il n'en reste pas moins que leur application varie considérablement… nous sommes au tout début de la route. Nous avons encore un long chemin à parcourir.»
N. K.

 

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