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Salut Merzak !

À l'heure de la presse sans Gutenberg, celle de la dématérialisation de l'information et de la dépossession des journalistes de leur monopole sur sa production, avec pour corollaire l'émergence de concurrents anarchiques hors du milieu journalistique prétendant eux aussi bâtir l’opinion publique, rendre hommage à un leader d'opinion issu de la presse papier à l'ancienne, est un exercice d'un charme désuet. D'autant plus suranné qu'il s'agit de faire revivre, le temps d'une chronique éphémère, un confrère distingué, qui fut un grand frère, et qui a connu la presse par les «trois P» : le plomb, le proof et la PAO.
Exercice d'autant plus singulier que les anciens consommateurs de journaux imprimés se font désormais eux-mêmes distributeurs de nouvelles, voire concepteurs et producteurs d’informations abondantes, capables d’écrire, de filmer et de distribuer des contenus parfois à forte valeur ajoutée. S’ensuit donc une pression concurrentielle et délétère pour la qualité de l’information et de la presse en général.
Dans ce contexte marqué par la multiplication des impostures médiatiques dans la sphère numérique, tresser des lauriers postmortem à un honorable confrère, aîné par l'âge et l'expérience professionnelle, c'est, après tout, lui rendre un peu les honneurs dus. C'est convoquer son bon souvenir, et ce n'est en rien le comble !
Le comble d'un journaliste, c'est d'être au bout du compte à l'article de la mort, disait Jules Renard. Merzak Meneceur, mon confrère fraternel de l'agence nationale de presse APS et du quotidien La Tribune, dont il était le correspondant permanent à Paris de 1995 à 2017, était, durant ses derniers mois de vie, de plus en plus à l'article de la mort. Il est parti ensuite dans l'ailleurs des mots imprimés et des vocables en ligne. La mort l'a rattrapé un de ces matins tristement gris dont Paris a le secret, à l'âge de 71 ans. Étape de vie où beaucoup de journalistes de par le monde pianotent encore sur leurs claviers, avec, chevillée au cœur, la passion du métier toujours intacte et, au bout des doigts impatients, la rage de faire crépiter encore le clavier d'ordinateur !
Lumineux fils de la Casbah d'Alger où il est né le 16 août 1947, au numéro huit de la deuxième Impasse Bologhine, Merzak est décédé des suites d'une «longue maladie», comme on l'écrit souvent pour ne pas nommer l'innommable. En fait, un mal pernicieux que l'on désigne par des formules euphémiques, des circonvolutions pudiques, des raccourcis allusifs et abscons, comme si on voulait conjurer le mauvais sort pour l'autre considérablement affaibli, ou s'en prémunir soi-même. Et c'est ainsi que l'on s'exprime le plus souvent quand il s'agit du satané crabe, ce mal du siècle qui se décline avec mille et une facettes et de mille et une manières ! Khouna Merzak est finalement mort d'une tumeur maligne au cerveau qui était à son stade quatre, l'ultime, le plus pernicieux, le plus dangereux, celui qui lui fut finalement fatal un dimanche 11 novembre de 2018. Jour où le crabe s'est arrangé pour que la faucheuse vienne lui dire bonjour.
Pourtant, à l'hôpital parisien Gustave-Rousset où il a été initialement admis, comme à l'hôpital Jeanne-Garnier où il est décédé, Merzak se plaisait à me répéter cette citation d'Hèracles disant que «si tu n'espères pas l'inespéré, tu ne parviendras pas à le trouver». Pendant d'interminables minutes, de longues heures, des jours longs et particulièrement lents, de laborieuses semaines et d'interminables mois, il faisait vaillamment des bras d'honneur au cancer et à la mort. Avec une puissante volonté de survivre, une admirable rage de vivre et une extraordinaire capacité de résilience, il avait espéré l'inespéré qui tardait cependant à venir, mais auquel il croyait encore, jusqu'au moment où, à bout de force, il est entré dans l'antichambre de l'ailleurs, avant d'y être ce jour funeste de novembre.
Footballeur de talent à l'USMA d'Alger où il a joué un temps chez les seniors, et où sa carrière de jeune prodige fut brisée, pour d'obscures raisons, par un certain coach Maouche, Mohamed de son prénom, Merzak aimait le football des artistes, les arts de la table gourmande, la magie de la bonne treille et la sape façon Brummel. Il a donc vécu dans l'élégance, celle de la mise soignée et de sa belle âme d'Algérois de bonne famille.
Merzak était diplômé de l'École de journalisme et de sciences politiques d'Alger, et élève assidu de l'EPHE-Sorbonne, l'École pratique des hautes études de Paris. Journaliste de l'agence nationale de presse APS, de l'hebdomadaire Révolution Africaine et du quotidien La Tribune, d'autre part gérant d'entreprise de communication et d'édition à Alger et éditeur de livres à Paris, il aimait dire de lui-même, à la suite de Gérard de Nerval : «Je suis un fainéant, bohème, journaliste qui dîne d'un bon mot étalé sur son pain.» Un pain blanc qu'il a mangé sa vie digne et prolifique durant, et qu'il consommera éternellement au paradis des «ouled el houma», des ouled familiya et des journalistes intègres, cultivés et classieux.
«Il y a deux sortes de journalistes : ceux qui s’intéressent à ce qui intéresse le public ; et ceux qui intéressent le public à ce qui les intéresse — et ce sont les grands», disait Gilbert Cesbron dans Journal sans date II. Merzak Meneceur jouait dans les deux catégories.
Saha Merzak, et à bientôt, kho !
N. K.

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