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Serge Michel, moudjahid de l'impossible au service de l'Algérie

Nous Algériens, quand bien même pouvions-nous avoir le sens de la reconnaissance et de la gratitude aussi aigu que notre sens de la dignité à fleur de peau, jamais nous ne saurions honorer assez la mémoire de ces moudjahidine algériens, d'origine européenne, chrétiens ou juifs de confession, ou encore tout simplement athées, qui se sont engagés dans l'épique combat libérateur de l'Algérie colonisée. Lutteurs en armes, soldats de l'ombre, porteurs de valises ou militants des droits de l'Homme et leaders d'opinion acquis à la cause d'indépendance algérienne, ils sont légion à avoir été des soldats de l'impossible au service de la sortie du peuple algérien de la longue nuit coloniale.
Parmi eux, mais cependant bien distingué, un certain Serge Michel, Lucien Douchet de sa vraie identité de naissance française. Anarchiste, libertaire, internationaliste, anticolonialiste, militant de l'UDMA et du FLN, spin doctor et plume de grandes figures de l'émancipation de l'Afrique, dont Ferhat Abbès, Patrice Lumumba et Amilcar Cabral. Et par ailleurs compagnon de routes croisées de Frantz Fanon, Che Guevara, Henri Michaux, Kateb Yacine et sa constellation littéraire et artistique qu'il appellait «le pied gauche de la Casbah», Sauveur Galliero, Jean Sénac, Sandro Pertini, Luchino Visconti, Roberto Rossellini, Gillo Pontecorvo, Ali Boumendjel, Yacef Saâdi, Mohamed-Seddiq Benyahya, Commandant Azeddine, Pierre Chaulet, Salah Louanchi, Mohamed Boudia, Aïssa Messaoudi, Reda Malek : l'agenda historique et le carnet d'adresses, exceptionnels à plus d'un titre, sont ceux d'une comète traversant les étoiles scintillantes. Conseiller, speech writer, journaliste, rédacteur en chef, scénariste, romancier, poète, peintre, caricaturiste, formateur, militant, organisateur, le Français de la Seine Saint-Denis, devenu Algérien par choix du cœur et des convictions humanistes, est indéniablement un génie polymorphe et polychrome.
Né en banlieue parisienne ouvrière et pauvre (Seine Saint-Denis, 93) le 22 juillet 1922, mobilisé par le STO nazi en 1943, il s'évade d'Allemagne, à Rostock, passe par Berlin sous les bombes pour rejoindre Rome ville ouverte, et débarque plus tard à Alger début 1950. Il avait quitté la France qui l'avait désanchanté pour réinventer le monde en Afrique sous joug colonial, et en Algérie en pleine ébullition nationaliste. Il débarque alors à Alger où la misère à tous les coins de rue l'ébranle : conteneurs sur le port transformés en logements d'infortune et des corps malingres lovés dans des poubelles, furent les premières images de choc ! Il décrira tout cela dans un roman autobiographique Nour le voilé publié au Seuil en 1982.
Mais c'est incontestablement sa rencontre emblématique avec l'icône politique du Mouvement national algérien Ali Boumendjel qui déterminera son adhésion au mouvement nationaliste modéré. Le brillant avocat, figure du progressisme international et pilier de l'UDMA, le présente alors à son leader Ferhat Abbès qui en fit vite son conseiller et sa plume, et le pilier éditorial de l'organe central du parti «La République algérienne» où il étalera ses talents d'éditorialiste, de dessinateur et de secrétaire de rédaction.
Il sera Serge Michel, contraction patronymique en guise d’hommage à Serge Victor, icône révolutionnaire russe, et à Louise Michel, héroïne de la Commune française de 1871 et grande figure féministe de l'anarchisme. Après le Premier novembre 1954, il entre dans l'action clandestine, et on le retrouve travaillant à la propagande révolutionnaire du FLN en France, en Suisse et en Tunisie. Dans la capitale tunisienne, il sera tour à tour une figure de proue du journal de l'Algérie en lutte Résistance algérienne, publié en arabe et en français et matrice éditoriale du futur El Moudjahid lancé en 1957. Membre de la Commission cinéma du GPRA, on lui doit en même temps que le professeur Pierre Chaulet la création du service cinématographique de l'action psychologique de la Révolution algérienne. Il fut aussi rédacteur et figure vocale de la «Voix de l'Algérie», la radio de la Libération. Il fut également un des principaux artisans de la création de l'agence de presse nationale APS dont il fut le premier rédacteur en chef. Il sera surtout un lien de jonction intelligente entre le GPRA et le MALG et ce qu’on désignait à l'époque comme le «Maghreb circus» regroupant à Tunis le ghota médiatique, intellectuel, politique et artistique, y compris les correspondants de presse étrangers.
À l'indépendance du pays, il sera pleinement impliqué dans sa construction. À titre patriotique symbolique, c'est lui qui, le premier, remplacera le drapeau français au fronton du Palais du gouvernement au lendemain de la proclamation officielle de l'indépendance. Œuvre patriotique marquante, sa participation active d'autre part à la création du premier quotidien national en arabe Echâab, sous la férule charismatique et patriotique de Salah Louanchi. Il organise d'autre part, en 1963, le premier stage de formation aux différentes facettes du journalisme pour ses jeunes confrères algériens dont les futures grandes figures médiatiques que furent Bachir Rezzoug et Kamel Belkacem. Il côtoie dans la foulée l'immense figure artistique, nationaliste et anti-impérialiste Mohamed Boudia, sous l'autorité duquel il lancera le premier quotidien du soir algérien Alger ce soir, dont il sera le rédacteur en chef.
Et comme il avait fait ses premières armes de scénariste dans le cinéma révolutionnaire durant la guerre de Libération à Tunis, l'ami intime de Luchino Visconti, Roberto Rossellini et Gillo Pontecorvo aide l'ancien chef de la Zone autonome d'Alger, Yacef Saâdi, à créer sa société de production cinématographique "Casbah films" dont il sera le conseiller artistique. Et c'est à ce titre qu'il présentera à l'ex-chef militaire de la Casbah Gillo Pontecorvo, le futur réalisateur du chef-d'œuvre universel La Bataille d'Alger. Scénariste à l'office public du cinéma, l'ONCIC, il sera notamment le conseiller artistique de Luchino Visconti sur le tournage de L'Étranger, une adaptation du célèbre roman d'Albert Camus. Il jouera aussi un rôle prépondérant dans la collaboration entre l'Algérie et l'Italie pour la formation de jeunes cinéastes algériens.
Le talent créatif infini de Serge Michel l'amènera par ailleurs à croiser le chemin d'un des principaux négociateurs des Accords d'Évian, Mohamed-Seddik Benyahya alors ministre de l'Information de Houari Boumediène qu'il convaincra d'organiser le premier Festival panafricain d'Alger en 1969, où la culture africaine illuminera les rues, les jours et les nuits de la capitale de ses mille et une expressions artistiques.
Après le Festival panafricain, il quitte Alger en 1969 pour n'y revenir qu'à la mort de Boumediène fin décembre 1978. Cette période d'absence du pays une décennie durant, sera celle de son engagement panafricaniste prononcé aux côtés de Patrice Lumumba et Amilcar Cabral dont il sera, tout comme naguère auprès de Ferhat Abbès, conseiller politique, attaché de presse et plume attitrée, sans oublier son rôle de premier plan dans l'organisation et le développement de la presse au Congo et en Guinée Bissau et Îles du Cap Vert. Ses années d'engagement de militant panafricaniste, c'est l'emblématique Patrice Lumumba qui les résumera en lui disant un jour, «toi, tu as le cœur noir», formule assez imagée mais finalement claire dans la mise en équation militante de Serge Michel.
Fuyant le Congo après le coup d'État réactionnaire du futur dictateur du Zaïre Mobutu Sesse Seko, il revient en France, à Paris précisément où il sera l'ami et le compagnon intellectuel d'Henri Michaux, le célèbre écrivain, philosophe, poète et peintre franco-belge, auteur prolifique et profond de Émergences, résurgences et Épreuves, exorcismes. Mais au lieu d'être le pays de l'exorcisme et de la résurgence, la France accueillera un Serge Michel pas encore revenu de ses rêves révolutionnaires et pas heureux pour un sou de vivre dans une France transformée en «caricature de la social-démocratie allemande», selon sa propre formule désabusée.
Petit Lulu, alias Saint-André, dit Olaf, appelé aussi Monsieur Christian, auto-baptisé Docteur Xavier, avait passé les dernières années de sa vie en Algérie, moudjahid cacochyme survivant avec une bien modeste pension de moins de 5 000 DA. Il sera alors contraint au journalisme alimentaire en Algérie et après en France. Alors directeur de la rédaction de l'hebdomadaire algérien l'Observateur, créé sous la houlette fraternelle du vétéran de la presse algérienne Hocine Mezali, j'ai eu alors l'insigne honneur et le grand bonheur de lui offrir l'occasion de chroniquer dans ce journal naissant, et de pouvoir améliorer son ordinaire culinaire dans l'oasis de Ghardaïa. Il signera de sublimes chroniques, conçues comme des scènes cinématographiques soignées sur l'histoire de la presse algérienne combattante à Tunis durant la guerre d'indépendance.
Dans l’Algérie de la violence terroriste et de l’intolérance religieuse de la décennie 1990, Serge Michel sera donc contraint de vivre d'expédients journalistiques, reclus dans une oasis saharienne, en vase clos, livré à l'ennui et au racisme ordinaire de compatriotes se refusant à l'accepter comme un Algérien à part citoyenne entière. Pire, en 1994, année noire du terrorisme nihiliste, il trouvera un jour son chat égorgé devant la porte de sa maison à Ghardaïa, avec une inscription en rouge à l'entrée, lui rappelant sa condition oubliée et profondément injuste de «gaouri». Le message lugubre bien compris, il reviendra à Paris pour contribuer notamment à fonder, aux côtés de Ahmed Halli, Rabah Mahiout, Hocine Abdeddou et Chérif Ouazzani, Alger Infos international, le seul quotidien algérien lancé en France depuis 1962.
C'est enfin dans l'Essonne, à Chevilly-la rue, qu'il recevra la mort en juin 1997, crevant de spleen, de tristesse et de nostalgie pour son Algérie tant aimée et généreusement servie. Résidant dans un réduit immobilier sur une friche de la SNCF, il téléphonait régulièrement à son grand ami le Commandant Azeddine pour le supplier d'organiser son retour vers la terre algérienne adorée, mais en vain. Il lui disait «ne me laissez pas crever chez les gaouris», selon sa fille, Marie-Joëlle Rupp, journaliste au Monde Diplomatique, romancière, qui n'a connu son père que lors des quatre derniers mois de sa vie, mis à profit pour lui consacrer une tendre et chirurgicale biographie, sous le titre suggestif de Serge Michel, un libertaire dans la colonisation. Un livre dense contre l'oubli et un bel hommage à une trajectoire militante, politique, humaine et intellectuelle époustouflante qui est le parchemin du miracle et de l'impossible révolutionnaires.
Serge Michel sera finalement inhumé au cimetière d'El Alia, à l'Est d'Alger. Il aura eu droit de la part de l'État algérien à des funérailles sobres mais dignes. Mais l'auteur de Nour le voilé, De la Casbah au Congo, du Congo au désert et de La Révolution, lui qui avait laissé en friche un dernier roman sous le titre de Allah m'a tué , aurait mérité beaucoup plus de la patrie reconnaissante. À savoir une rue où un fronton d'édifice officiel en son nom de révolutionnaire qui a fait de l'Algérie la patrie du choix du cœur et des convictions révolutionnaires au service d'une cause juste.
Notre peuple lui aura finalement refusé une paisible assimilation malgré sa médaille de moudjahid numéro 259 délivrée en 1962, sa nationalité algérienne et sa tombe à El Alia. Son internationalisme de base et la culture religieuse assez intolérante en Algérie, en ont décidé autrement.
N. K.

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