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Sorcellerie létale et exorcisme fatal !

Vendredi dernier, à Ichekaven, paisible village de la région de Béjaïa, des habitants en colère ont marché en silence pour dénoncer des pratiques de sorcellerie noire et d’exorcisme diabolique. Une marche blanche pour exiger surtout que justice soit faite pour Manel, 5 ans, et pour sa maman Rahima, 42 ans, assassinées par des proches, en l’espèce des adeptes de la magie noire et des conjurateurs sataniques, quelques jours auparavant. Il s’agit, en l’occurrence, de la énième affaire de maléfice fatal et de désenvoûtement létal, phénomène déjà enraciné dans la société, et qui s’est accru à la faveur de la prolifération du salafisme obscurantiste.  
De tous les ensorceleurs, envoûteurs, désenvoûteurs, féticheurs, nécromants et autres exorcistes désignés en partie par le vocable arabe de « raki », le plus célèbre dans le pays est sans conteste Belahmar, devenu superstar et milliardaire. Cet incroyable charlatan n’entre, certes, pas dans la catégorie des assassins de Manel et de sa mère, présumés vouloir récupérer des organes destinés à un usage de sorcellerie méphistophélique. Lui, mesdames et messieurs, était en quelque sorte un entrepreneur spirituel ! Il avait même des « cliniques » dédiées à son business de chasseur de djinns ! En décembre 2016, à Relizane, un de ses établissements de neutralisation magique des mauvais génies, inauguré ostensiblement en présence de caméras de télés privées algériennes, avait été fermé manu militari, sur décision des autorités nationales. Il a fallu donc une intervention «d'en haut» pour que l'on mette fin momentanément à cette effroyable mascarade. Incroyable tartufferie à laquelle les services compétents de la Wilaya de Relizane s’étaient complaisamment prêtés, puisque des autorisations avaient bel et bien été délivrées à un escroc patenté qui a exercé, au grand jour, des activités paranormales. Son établissement de «rokia» avait pour nom officiel «les bons augures de la guérison». 
Cette «clinique» n'était en fait pas tout à fait nouvelle. Le margoulin, qui avait fait de la naïveté de beaucoup d’Algériens un fonds de commerce lucratif, avec la complicité d'une TV privée et d'autorités locales laxistes, complaisantes et corrompues, avait déjà ouvert en 2009 un établissement de rokia dans la même ville. Commerce qui sera fermé à la suite de la mort suspecte d'une jeune fille de Bordj-Bou-Arréridj «exorcisée» par l'esbroufeur professionnel. À l’époque, l'Exécutif s’était montré résolu à tordre le cou aux rebouteux néfastes et autres faiseurs de miracles religieux qui surfent financièrement sur la détresse physique et morale des gens. Non sans conséquences tragiques, parfois. En 2015, l'imposteur Belahmar avait été auditionné et placé en garde à vue suite au décès de la jeune étudiante de Bordj-Bou-Arréridj. Mais le gros malin s’en était sorti miraculeusement et a rebondi dans le même business de trucideur de djinns à Relizane, avant d’y être tué à coups de couteau en 2019. 
Ce chaman maléfique était un véritable danger public. Son nom évoquait une catégorie de « djinns rouges », supposés être aussi durs à exorciser que leurs homologues « noirs ». Ce zigomar, qui avait, en guise d'attachés de presse spontanés, une télé et un quotidien arabophones de même nom, prétendait exorciser aussi les « djinns jaunes » et les « djinns bleus », réputés plus commodes à extirper des âmes habitées. Hélas ! Belahmar et consorts exorciseurs ont pignon sur rue. Ils possèdent des adresses postales, des numéros de téléphone, des sites internet et des pages Facebook. La demande de leurs services est si forte que ces exorcistes, qui agissent par psalmodie de versets coraniques, par usage de magie noire ou en combinant les deux, ne sont pas, même s'ils pullulent, assez nombreux pour «traiter» tous les envoûtés. En tout cas, ils sont suffisamment influents et crédibles, aux yeux de leurs mandants, pour être ainsi sollicités. Belahmar était le plus emblématique de cette race de sordides aigrefins. Ce cabotin prétendait même posséder une clientèle sélecte de personnalités civiles et militaires. D'avoir même «soigné» des imams, eux aussi, par le démon possédés ! 
Il existe en pratique deux types de rokia : la «char'îya», conforme au Coran, et celle dite «noire» ; autrement dit, illicite au regard du dogme religieux. Elle est pourtant pratiquée à vaste échelle. Au point de faire passer au second plan la rokia soft qui ne recourt pas à la sorcellerie noire. Mais dans les deux cas de figure, on sollicite un «raki» en cas de possession par un djinn, de mauvais œil, d'envoûtement ou d'aliénation par ensorcellement. 
En fait, c'est la «rokia noire», phénomène de grande ampleur, qui pose toujours un grave problème de société. À côté de ce type de rokia, le vaudou passerait pour une séance de luminothérapie ou de relaxation spirituelle ! Dans ce cas, le «raki noir»  use de techniques expéditives mais  néanmoins périlleuses : le supplice des corps. Ceux des personnes qui payent le prix fort pour de véritables séances de sadomasochisme. Coups de pied ou de savate, fouettage à l'aide de ceinturon, et même parfois des frappes à l'aide de barre de fer ! De même que la strangulation, l'électrocution et souvent même des « viols-exorciseurs » de femmes excessivement crédules et parfois emmenées chez  le raki-violeur par sa propre famille ! Pis encore, de nombreux morts chaque année, une trentaine en 2014 ! 
En cas de «maladies mineures» ou dans l'hypothèse où le démon squatteur des âmes est plus coriace que prévu, l'exorciseur use alors de sa salive «bénite» car supposée avoir été purifiée par des incantations religieuses complexes ! Il postillonne donc dans une eau qu'il fait boire ensuite à sa victime expiatoire. Dans sa tête enfiévrée et dans l’esprit des jobards, chaque postillon est béni par les mots « divins » psalmodiés dans sa bouche «coraniquement» sanctifiée. C'est ainsi que la salive toxique se transforme en panacée. Délirium tremens de malades mentaux dans les habits rassurants de rebouteux religieux. Escroquerie de carambouilleurs financièrement comblés et surtout véritables assassins souvent impunis. Espérons donc que les sorciers-tueurs de la petite Manel et de Rahima paieront le juste prix de leur ignoble crime ! 
N. K.

 

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