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Rubrique Reportage

MIGRANTS CLANDESTINS ALGÉRIENS La hantise permanente de l’expulsion

 

Par Omar Haddadou Persécuté par un père violent, le jeune Amine, 20 ans, décide de déjouer un destin familial tragique en sautant nuitamment dans la cale d’un cargo à destination de Marseille. Nous l’avons rencontré en région parisienne, sous l’emprise d’un traumatisme profond, narrant ses tribulations, les larmes aux yeux. L’air vicié de la salle d’attente de la préfecture de Bobigny, en Seine-Saint- Denis, exacerbe la nervosité du jeune Amine venu tôt ce matin faire le pied de grue, dans l’espoir de décrocher le sésame qui lui permettra de régulariser sa situation et faire son trou sur le Vieux- Continent. Une Autorisation provisoire de séjour, le candidat à l’exil y croit dur comme fer. Elle le délivrerait des affres de l’incertitude. «Si je l’obtiens, je mouillerai l’ancre ici. Je ne suis pas le seul à franchir ce pas pour sortir de l’ornière de la précarité sociale. Partir est un engagement que nombre de jeunes Algériens ne choisissent pas ; ils le subissent. J’ai toujours pris les chansons de nos maîtres du chaâbi comme préceptes moralisants. L’exil a fait couler beaucoup d’encre. Le pire est de se complaire dans un fatalisme soporifique bienfaisant qui annihile tout effort de changer la donne», geint le «hittiste», qui veut en finir avec la mal-vie.
La préfecture, passage obligé
Fidèle à cet aphorisme, Amine a décidé de mettre toutes les chances de son côté en jouant la carte d’un cas social avéré, méritant une prise en charge, voire un soutien psychologique. Mais la réalité, celle d’un parcours méandreux, souvent semé de chausse-trappes et de miroirs aux alouettes, dans un pays où les valeurs humanistes sont le ressort du vivre-ensemble, lui traverse sans cesse l’esprit. Pour l’heure, il a les yeux rivés sur le tableau d’affichage de la préfecture et ne peut s’empêcher de piaffer d’impatience. Les heures s’égrènent et son numéro ne s’affiche toujours pas. Une expectative anxiogène qui le contraint à arpenter l’espace dans toute sa longueur. D’un œil envieux, le jeune homme observe ceux qui quittent le guichet du Pôle vie privée et familiale, la mine euphorique, considérant le document officiel avec des yeux écarquillés. Et ceux qui, tout en nage, trépignent derrière le guichet d’un préposé tatillon, un Titan sorti tout droit de l’univers Marvel. Amine a peur. Peur de rater le coche et d’écoper d’une mesure d’éloignement en cas de séjour irrégulier. Une reconduite à la frontière réduirait à néant son rêve vers l’eldorado. «Quelle que soit la réponse, je retenterai le coup. Dans une cale, sur une patera, ana harrague harrague !» Le migrant compulse fébrilement ses documents, vérifie chaque pièce avant de passer à l’épreuve de vérité. Tout y est ! Même la copie de la disposition régissant les droits d’un étranger dont la rétention dépasserait les 45 jours, pour bénéficier, conformément à la législation, d’aides de la part des associations. Pris au creux de la vague dès son jeune âge, Amine a connu les pires descentes aux enfers avec une famille recomposée de 11 enfants, un père violent qui se livrait à des sévices quotidiens et des poussées de fièvre intenables : «Quand il rentrait le soir complètement dans le cirage, mon père nous battait, assénait des coups à ma mère. C’était l’enfer ! J’étais petit et je n’avais qu’une idée en tête : partir.»
Les stratagèmes de la fuite
Le port d’Alger, jadis terrain de jeu de l’enfant, est à quelques encablures, avec des bateaux prêts à lever l’ancre en direction de la rive septentrionale. Une porte vers l’Occident opulent qui n’a de cesse d’attirer le Sud indigent. Amine et ses deux copains ont tracé une feuille de route pour déjouer, la nuit venue, l’attention des vigiles et leurs chiens. «Notre première tentative s’est soldée par un échec. Une fois la grille franchie, les chiens nous ont tout de suite repérés. Impossible de les semer ou de prendre la fuite. Nous avons passé la nuit au poste puis ils nous ont relâchés au lever du jour.» La bande remet ça quelques jours plus tard, à la faveur d’une nuit drue. L’un des fuyards est blessé sérieusement en sautant par-dessus la clôture métallique de l’enceinte portuaire. «Salim avait du sang qui coulait de son genou et de ses mains écorchées. Je l’ai entendu crier. Il manquait de souplesse. Mais il n’avait pas d’autre choix que de suivre ses compagnons. On s’est entendu de nous tapir dans un conteneur et d’attendre sans éveiller le moindre soupçon», glisse-t-il d’un ton éploré. Peine perdue, les harraga sont pris au collet par un dispositif de sécurité nocturne bien structuré, écopant d’une amende à des fins dissuasives et des coups de semonce à l’emporte-pièce. L’aventure consistant à prendre le large ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Quand un jeune Algérien a une revanche à prendre sur les mauvaises passes, la traversée du désert n’est qu’une formalité. Le trio s’accorde un répit de quelques jours en vue d’affiner un plan d’attaque opérant. «On savait les vigiles sur le qui-vive. Ils attendaient notre retour de pied ferme. Tous les points d’accès étaient méthodiquement passés au peigne fin. Certes, le port est un espace vaste, ouvert aux quatre vents, mais tout le monde était conscient qu’on avait fort à faire. Le flair d’un chien n’a rien à voir avec une vidéo surveillance», poursuit Amine. Et d’ajouter : «Notre objectif était de franchir un obstacle sans se faire choper. Ça ne servait à rien de jouer à cache-cache avec des gardiens qui connaissaient la zone comme leur poche. Alors, j’ai conseillé à mes potes d’observer une trêve afin d’étudier attentivement leurs gestes pendant la garde. Une semaine durant, on s’est attelés à les épier, notant tous les détails importants et les maladresses à ne pas commettre.» Les familles des migrants ignorent tout de l’opération de la grande escapade. Des conciliabules se tiennent dans différents cafés du front de mer. Les jeunes se concertent autour de rafraîchissements et de cafés bien corsés. Ils n’ont pas le droit à l’erreur, mesurant l’étendue de l’affront et les qu’en-dira-t-on d’une virulence sans pareille dans les quartiers populaires d’Alger. Les tractations aboutissent finalement à la mise en œuvre d’un stratagème élaboré par Kamel, vendeur de friperie à la sauvette à Bab-El-Oued : «La meilleure stratégie pour s’infiltrer en territoire ennemi, c’est de se fondre parmi ses citoyens » sentencie ce dernier. Nous allons tromper la vigilance des vigiles en enfilant des combinaisons tachées de cambouis, d’ouvriers travaillant dans l’enceinte portuaire, en dessous desquelles nous garderons des tenues de civils pour circuler en ville. Directive adoptée à l’unanimité qui s’avèrera payante. Les veilleurs de nuit n’y verront que du feu. «La traversée, dira Amine, s’est déroulée dans des conditions inhumaines. Le groupe s’est scindé, craignant un coup de filet. On n’a aucune nouvelle de Salim jusqu’à présent. Kamel a pris la tangente vers le sud. J’ai passé une année à errer dehors dont 3 mois à Marseille. Je n’ai pas le temps de tout vous raconter. Excusez-moi, mon numéro s’affiche.»
La fin du rêve
Le rêve d’Amine s’évanouit derrière un guichet à coup de sceau officiel tombé comme un couperet ou d’un simple clic de souris. Sa requête vient d’être déboutée, excluant toute voie de recours. C’est le ciel qui lui tombe sur la tête. Terre d’intégration, la France et les pays du pourtour méditerranéen subissent actuellement l’un des flux migratoires le plus important de leur histoire, avec des demandes d’asile illimitées. Corollaire d’une géopolitique manichéenne empreinte de colonisation expansionniste omnipotente qui se garde, à dessein, d’éteindre les foyers de tension d’un continent africain exsangue, aux ressources énergétiques enviables. Comme si, aujourd’hui, l’Afrique était incapable d’abriter une civilisation.
O. H.

 

 

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