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Rubrique Reportage

Alger-Tizi Ouzou-Boumerdès : Balade historique et touristique Les Français ont fait pire que les Turcs (10e Partie)

Par Mohamed Arezki Himeur
L’itinéraire reliant Tigzirt et Dellys, par le littoral, est tout simplement féerique. Les 26 km séparant les deux cités antiques sont, pour le moment, épargnés par le béton. La balade ne se raconte pas, elle se vit. Un historien et philosophe français avait dit, un jour, que ses compatriotes avaient fait, en seulement 60 ans, plus de dégâts dans les ruines d’Algérie que les Turcs en trois siècles. Les «bienfaits de la colonisation» n’ont épargné aucun domaine.
Tigzirt (ex-Rusuccuru) : Son nom kabyle signifie îlot. Il constitue une bonne protection du port de pêche et de plaisance. Cette ville a été, comme la plupart des cités côtières, un comptoir phénicien, puis une cité romaine édifiée en 147 de notre ère, avant de devenir un municipe après son développement, à partir du IIIe siècle, sous le nom de Rusuccuru. «Après la chute de Carthage, elle tombe sous le contrôle des chefs indigènes de l'intérieur ou des princes numides. Au 1er siècle, elle fait partie du royaume de Bocchus. En 40 après J.-C., Caligula annexe la Maurétanie qui se révolte. Claude rétablit l'ordre, divise le territoire en deux provinces, y établit un peu partout des colonies de vétérans, dont l'une sans doute à Rusuccuru. Les Romains s'installent sur l'acropole un peu à l'écart de la ville indigène et reçoivent des terres tout autour : on distingue encore des traces de centuriation sur les pentes au sud de la ville.»(30) 
Tigzirt a subi maints envahisseurs : Romains, Vandales, Byzantins… C’est la cité de naissance de Sainte-Marcienne, une Berbère, devenue chrétienne, qui fut livrée aux fauves à Césarée, actuel Cherchell, au début de l’ère chrétienne, pour avoir détruit une idole. Le village colonial a vu le jour en 1888. Il a été bâti sur et avec des ruines romaines. Ses vestiges antiques ont intéressé bon nombre d’archéologues et d’historiens. «Tigzirt est un petit centre plein d’avenir, au bas d’une forêt, dans un golfe limpide et toujours calme, sous un ciel toujours clément», écrivait C. Fabre.(31)
C’est l’une des plus belles villes de la wilaya de Tizi-Ouzou. Elle draine beaucoup de monde en toute saison, particulièrement en été. Ses plages, son musée de ruines antiques à ciel ouvert qui surplombe le port et la plage, le jardin et l’espace loisirs et détente pour enfants, implantés sur l’esplanade du port, attirent les résidents et les personnes de passage. 
«On ne quitte pas Tigzirt sans avoir visité les tombeaux qui, vers l’ouest, sont creusés dans tous les rochers du rivage, et se montrent béants et noirs sous le soleil, lavés souvent par les vagues, car la mer a rongé la côte, les blocs de granit sont descendus vers les flots, et bien d’entre eux ont disparu, à cause de cette destruction d’un nouveau genre que les Vandales n’avaient pas prévue et qui complète lentement leur œuvre», déplorait C. Fabre.(32)
«Il est bien difficile de faire exactement la part de chacune des civilisations qui se sont succédé sur ce coin perdu de la côte d’Afrique. Néanmoins, les sépultures phéniciennes sont visibles, les restes des constructions puniques se montrent dans le quartier ouest de la ville. Mais tout disparaîtra bientôt», estimait C. Fabre. Il ne reste pas grand-chose des vestiges évoqués plus haut par cet archéologue. 
Les tombeaux ont disparu et les blocs de granit servent de point d’appui ou de promontoires pour les pêcheurs à la ligne. Tout en tirant la sonnette d’alarme, il avait accusé les colons français de s’être livrés à la dévastation des sites historiques. «Un village français s’élève à deux pas et emploie, pour édifier ses maisons, son école, son église, les pierres des ruines», révélait-il.(33)
Cette méthode a été vue et vécue ailleurs, dans d’autres sites ayant accueilli des villages coloniaux. Elle a été pratiquée par les conquérants turcs et leurs prédécesseurs. «Trois siècles de domination turque ont fait moins de mal aux ruines de l’Algérie que les soixante années de domination française qui viennent de s’écouler», selon Gaston Boissier, historien et philosophe français, auteur de L’Afrique romaine, cité par C. Fabre. M. Boissier était membre de l’Académie française et de plusieurs institutions semblables dans le monde (Russie, Etats-Unis, Suède, etc). On ne peut donc qualifier ses propos amers contre le comportement de ses compatriotes en Algérie d’incongrus ou de farfelus.

Tamda Ouguemoune : On ne peut se rendre à Tigzirt sans faire une «ziara culinaire» du côté de Tamda Ouguemoune. Cette plage d’échouage constitue le clou d’une visite à Tizgirt. Une petite crique située à environ 7 km à l’est de la ville, en contrebas de la route menant vers Béjaïa. Tamda Ouguemoune est pour la wilaya de Tizi Ouzou ce qu’El Djamila (ex-La Madrague) est pour Alger. Le site abrite plusieurs petits restaurants spécialisés dans le poisson.

Dellys (Tedellès) : Cité préhistorique, ancien comptoir phénicien et colonie romaine fondée en l’an 42 avant Jésus-Christ. Mais  elle n’a jamais fait de vagues autour de son histoire et de ses vestiges, nombreux. Des fouilles rapides effectuées depuis la fin du XIXe siècle dans la ville et sa périphérie ont permis la découverte de nombreux objets liés à la période préhistorique : des pointes de flèches, des javelots, des lances, des racloirs, des percuteurs en silex noir, etc. Le Musée national des antiquités situé au parc de la Liberté (ex-de Galland), à Alger, abrite une stèle contenant une inscription néo-punique trouvée dans une ferme, dans la périphérie de la cité. Elle mesure 171 centimètres de haut, 49 de large et 16 d’épaisseur. «La région d’Isser, y compris Dellys, fut gouvernée par Firmus.»(34) Ce prince amazigh, d’«officier de l’armée romaine, il devint ennemi farouche de Rome, et déclara une guerre sans merci contre les Romains, établissant son autorité sur toute la Maurétanie césarienne».(35)
Une épigraphe de l’époque chrétienne, portant le nom de Firmus, avait été trouvée au-dessus de la porte d’un fort à Thénia (ex-Ménerville). L’auteur de la découverte, Camille Viré, avait cependant précisé qu’il ne pouvait affirmer que l’inscription concernait le «personnage historique».(36) Le personnage historique en question, Firmus le révolté, rallia à ses côtés beaucoup de monde. «Les donatistes trouvaient en lui un défenseur contre la persécution ; les nations africaines, un chef pour les conduire à l’indépendance ; enfin, les tribus, chassées de leur pays par une rigueur outrée, aspiraient au plaisir d’une juste vengeance et se flattaient de recouvrer, par sa victoire, leurs héritages paternels et les tombeaux de leurs ancêtres.»(37) 
«Ce qui, outre beaucoup d’autres belles actions, avait extrêmement augmenté l’affection qu’on lui portait, c’est qu’il avait défendu aux habitants des provinces de fournir des vivres à son armée, disant, avec une noble confiance, que les moissons et les amas de blé des ennemis étaient des greniers préparés d’avance à la valeur de ses soldats. De pareilles dispositions furent accueillies avec joie par les propriétaires», selon la même source, qui cite Ammien Marcellin, un historien de l’Antiquité.(38) Comme beaucoup d’autres villes d’Algérie, Dellys est bâtie sur des ruines de différentes civilisations. Comme elles, elle n’a pas livré tous ses secrets, faute de fouilles systématiques et de longue durée, surtout sur d’autres périodes que romaine. Une archéologue italienne, Anna Mascarello, ayant effectué plusieurs visites à Dellys, écrivait en 1972 : «En concluant, je voudrais mettre en évidence combien Dellys, encore inconnue et oubliée du point de vue archéologique, est digne de tout intérêt de la part des autorités compétentes, et lorsque l’on se penchera sur elle, on ne sera pas déçu car cette ville est une mine précieuse en ce domaine, mais qui reste à découvrir.»(39)
Sa casbah, fondée vers le XIe siècle de notre ère, est classée patrimoine culturel national protégé en 2005. Le village colonial a été créé par le maréchal Bugeaud en 1845. Onze ans plus tard (1856), il a été élevé au rang de commune de plein exercice. Il avait même failli devenir, à un certain moment, grâce à son port, la capitale de la Kabylie du Djurjdura. 
«Le maréchal (Bugeaud) avait prémédité l’occupation de la petite ville et du port de Dellys, pour en faire un point de ravitaillement ; il y avait donné rendez-vous, à jour fixe, aux bateaux à vapeur de la marine royale. Bordj-Menaïel, tout proche, occupant un point stratégique, avait servi de grand dépôt central des approvisionnements pour les troupes engagées dans des combats dans les montagnes de Kabylie.»(40) Dellys est réputée pour son poisson. La pêche constitue l’un des plus importants secteurs pourvoyeurs d’emplois. Il abrite aussi de belles plages du côté des Salines (est) et de Takdempt (ouest). 
M. A. H.

Sources :
(30) Les Etudes sociales, trimestriel de la Société d’économie et de sciences sociales, Ecole de Le Play, nouvelle série, n°31-32, septembre 1956, Paris).
(31) Grande-Kabylie, légendes et souvenirs, Césaire Fabre, Librairie Léon Vanier, éditeur, Paris, 1901.
(32) Idem.
(33) Idem.
(34) Manuel pour la réhabilitation de la ville de Dellys, Euromed, programme financé par l’Union europénne 2012.
(35) Idem.

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