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Rubrique Reportage

OULED BOUNOUA (CAP-DJINET), NOUVELLE BASE DE DÉPART DES HARRAGAS Les jeunes parient leur vie en mer pour ne pas mourir socialement

L’oncle de D. Mohamed nous montre l’endroit d’où sont parties les 3 embarcations.
L’oncle de D. Mohamed nous montre l’endroit d’où sont parties les 3 embarcations.

Rétrospective. En mai 2004, nous sommes montés au mont Bouberak, sur les hauteurs du village d’Ouled-Bounoua, dans la commune de Cap-Djinet à l’est de Boumerdès, pour s’enquérir de la prise en charge des familles isolées à la suite du terrible séisme de mai 2003.
Il y a lieu de rappeler que pendant de longues et pénibles années, Bouberak, son piémont et les plaines au pied de la montagne, étaient à la merci des islamistes armés qui avaient semé mort, terreur et destruction. Les quelques familles accrochées aux flancs des montagnes étaient plus surprises par notre visite que par leur marginalisation par les autorités.
Au cours de notre tournée, nous avions rencontré deux jeunes (16 et 20 ans) qui, à leurs dires, n’avaient jamais vu la ville de Boumerdès. Ils gardaient deux vaches. Après une discussion cordiale nous avions ouvert d’emblée les débats sur les problèmes importants qui concernent particulièrement les jeunes. A notre question sur leurs activités quotidiennes et, surtout, leurs préoccupations et désirs en tant que jeunes, le plus âgé lève le bras, pointe son doigt vers l’une des vaches et assena calmement : «Tu vois cette vache. La différence entre moi et elle, c’est qu’elle mange de l’herbe et ne parle pas. Moi je parle.»
Dimanche 21 septembre 2019, nous nous rendons à Ouled Bounoua à la suite du décès de 7 jeunes et la disparition de 6 autres en mer. Nous avons conclu qu’entre 2004 et 2019 la situation des jeunes de cette région, comme pour les jeunes des autres régions du pays, a empiré. Et pour cause, nombre d’entre eux, par centaines, parient désormais leur vie pour se hasarder à traverser clandestinement la mer et tenter d’échapper à l’enfer de la misère sociale, de l’état d’une personne inutile, sans aucune perspective, à la charge des parents sans revenus. Khaled, 33 ans, sans avenir ni travail régulier jure qu’il y a plus de 1 000 jeunes qui ont pris la mer sur des embarcations de fortune à partir de Ouled-Bounoua pour traverser la Méditerranée et débarquer en Espagne. «J’ai la liste de 252 jeunes de notre village qui sont partis.» Mais Youcef ne pouvait pas nous certifier que ces 252 jeunes de son village sont tous arrivés à bon port et qu’ils sont vivants. D’ailleurs lui-même est un harrag «refoulé d’Espagne par Ouyahia». Il fait allusion à la prise en charge par le gouvernement algérien des prix des billets de retour d’Espagne de centaines de harragas. D’après lui, sans l’intrusion politique du gouvernement Ouyahia dans cette affaire, il serait resté en Espagne, car, selon lui, ce pays respectueux des droits humains ne l’aurait pas expulsé. «Je ferai tout pour y retourner», dira-t-il avec détermination.
Khaled parlait devant le père de R. Mohamed, 27 ans, décédé en mer, au large du village de Ouled-Bounoua en début de soirée du mardi 17 septembre.
R. Mohamed est monté dans l’une des trois petites barques qui avaient quitté les rivages de Ouled-Bounoua pour tenter de rejoindre l’Espagne. Dans ce petit groupe qui est venu marquer sa solidarité avec la famille de R. Mohamed, il y avait le père de D. Mohamed 26 ans qui est, quant à lui, porté disparu depuis mardi. «Nous espérons un miracle», dira-t-il avec une grande lassitude dans la voix.
R. Mohamed et D. Mohamed sont deux copains. Le père de R. Mohamed ne se faisait aucune illusion quant à l’avenir des 8 enfants qui lui restent. Calmement il nous avoue : «N’ayant aucun avenir, je crains qu’ils finiront eux aussi par partir pour fuir le chômage, la pauvreté, la promiscuité, l’injustice, la hogra et la corruption.» Il y a de la dignité chez cet homme. Malgré le drame qu’il vit, il garde la tête haute.
R. Mohamed et D. Mohamed sont deux compagnons qui ont rejoint un groupe de 48 jeunes lesquels, à bord de 3 barques, avaient jeté les amarres au début de la soirée du mardi en direction de l’Espagne. Après avoir parcouru 13 km en mer et suite au mauvais temps, deux barques ont fait demi-tour. La troisième a poursuivi son chemin. Après 55 km elle a chaviré. Il y avait à son bord 18 passagers. 7, dont D. Mohamed, sont morts, 6 dont R. Mohamed sont portés disparus, seuls 5 harragas ont été sauvés par les pêcheurs de Cap-Djinet et Dellys.

Victimes d’un système économique qui produit l’incompétence, la léthargie et l’exclusion
Les deux copains R. Mohamed et D. Mohamed auraient pu vivre tranquillement dans leur commune et intégrer un système de production qui leur assurera, ainsi qu’à leurs familles, un meilleur rôle dans la société et un avenir serein. Ils sont natifs d’une commune qui est en possession d’un immense potentiel économique. Avec ses 9 plages totalisant 8 100 mètres linéaires, son port de plaisance payé 3 fois son prix réel, son arrière-pays montagneux elle aurait pu devenir un pôle de tourisme générateur de milliards de fiscalité et créateur de milliers de postes d’emploi. Cap-Djinet – environ 25 000 habitants – est par ailleurs en possession d’un port de pêche pouvant impulser une industrie aquacole en amont. Son piémont est facilement accessible et fertile alors que sa plaine est à considérer comme une terre à haut rendement. A moins de 3 kilomètres du siège communal est implanté un énorme complexe industriel comprenant 2 gigantesques centrales électriques (2x1200 mgt) et une unité de dessalement d’eau de mer (100 000m3/j). 4 ou 5 carrières d’agrégats sont en production. La réalité est amère. Les plages sont sales et à l’abandon. Peu d’embarcations accostent dans le port où les pêcheurs mettent en doute la sécurité. Mis à part la vente de quelques captures étalées le long de la RN24 dans des conditions d’hygiène douteuses, il n’existe aucune unité de transformation.
Quant à l’agriculture, le massacre par le béton a commencé dans la plaine dans les années 1980 et les pilleurs de sable terminent le sale boulot. S’agissant des unités industrielles, le maire, Mohamed Bengriche, nous a avoué qu’il ne sait rien du nombre de postes de travail disponibles de même qu’il ignore les critères de recrutement. Il y a mieux. Avec tout ce potentiel, l’APC se voit, selon son président, rejeter le budget primitif (BP) et budget supplémentaire (BS) de 2018. Le BP de 2019 est également rejeté. Motif, la municipalité qui n’a qu’une recette de 5 milliards annuellement, traîne une ardoise de 27 milliards de centimes «découlant de la mauvaise gestion des précédentes mandatures», nous confie le premier magistrat de Cap-Djinet qui nous a reçus dans son bureau. Selon ce dernier, les entrepreneurs et les commerçants harcèlent quotidiennement, au niveau de la justice, la commune. «Les cantines scolaires sont presque fermées à cause du manque de personnel car on ne peut plus recruter, l’entretien des écoles primaires fait défaut, le manque d’hygiène publique, surtout au sein des unités de santé, est flagrant. Des transporteurs refusent d’assurer le service public dans certaines localités à cause de l’état des routes.»
Au cours de la conversation, il a laissé entendre que le phénomène des harragas est un problème national et qu’il n’a rien à se reprocher en dépit des critiques des amis des disparus et de leurs familles. En clair, incapable de répondre aux cris de détresse de la jeunesse qui, au risque de sa vie, tente désespérément de fuir le pays qui les marginalise. Quant aux responsables des institutions, ils tentent de normaliser le problème.

Arrestation de 3 passeurs
Dans l’après-midi de lundi dernier, une information est tombée. Elle fait état de l’arrestation par les éléments de la Sûreté de la wilaya de Boumerdès de 3 passeurs. Ils seraient impliqués dans l’organisation de la tentative de départ des
3 barques à partir de Ouled-Bounoua et qui malheureusement s’est soldée par la mort ou la disparition en tout de 13 personnes. Selon nos dernières informations, le procureur les a placés sous mandat de dépôt.
Abachi L.

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