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Rubrique Société

SUPERSTITION ET SORCELLERIE Les Algériens entre hier et aujourd’hui

Par Sarah Raymouche
Dans le monde entier, la superstition ou la croyance qu’un objet ou un acte peut provoquer de la chance ou la malchance fait partie des us et coutumes, ou en d’autres termes, du folklore. La société algérienne ne fait pas exception, et cela peut prendre parfois des proportions alarmantes.

La superstition, un rite
«Je suis superstitieuse mais cela n’impacte pas ma vie. Ce n’est pas au point de m’enfermer chez moi et de ne parler à personne.» C’est la réponse la plus courante à la question liée à la superstition. Ou encore, «moi, je ne me rends pas chez les saints et marabouts» ! Et pourtant, sans que nous le sachions, la superstition est liée à notre quotidien dès la naissance, comme par exemple : mettre une khamsa (main de Fatma) autour du cou de l’enfant, le henné et autres pratiques de ce genre. « Malgré la religion qui l’interdit, dans ma famille, nous avons toujours été superstitieux. Toute petite, j'ai appris à m’adapter à ces croyances comme si, sans le savoir, lorsqu’on porte un vêtement à l'envers on dit qu'on aura une déception très prochainement. Si une paire de nos chaussures est à l'envers, c'est un malheur qui va arriver. Si un chien hurle la nuit comme un loup, on entendra le décès de quelqu’un. Si le sel tombe par terre, une chamaillerie va se déclencher à la maison. Il ne faut jamais manger de la marmite, on sera le sujet d'une calomnie. Il ne faut jamais remuer les plats sur le feu à l'aide d'un couteau. Interdit d'enjamber une personne allongée. Si on se trompe de nom en voulant appeler quelqu'un, on dit que celui dont on prononce le nom par erreur qu'il est en train de parler de nous. Il ne faut jamais aller à un rendez- vous important avec des habits noirs. Voilà autant de superstitieux que nous côtoyons tous les jours», raconte Nawel, maman de trois enfants. Et d’ajouter : «Avec l’âge, et surtout en réalisant que cela n’a aucune influence sur notre vie réellement, nous le dépassons. Mais, depuis que je suis devenue maman, je ne peux m’empêcher de tout faire pour que mes enfants n’aient rien et soient prémunis de tout. Donc, je me surprends à encore y croire lorsqu’il s’agit d’eux.»
Mais au fait, c’est quoi la superstition ?
A ce sujet, Emmanuèle Gardair, maître de conférences en psychologie sociale, et Nicolas Roussiau, professeur de psychologie sociale, écrivent dans leur livre Dans La superstition aujourd’hui (2014) : «La superstition peut être définie en référence aux croyances s’écartant des normes dominantes dans les communautés religieuses et scientifiques. Il s’agit d’un processus d’adaptation. Elle est présente, y compris chez les individus dotés d’une culture scientifique de base, leurs connaissances étant même susceptibles d’alimenter les croyances aux para-sciences. On peut rencontrer dans certains cas des pratiques religieuses qui s’apparentent à des pratiques superstitieuses. Malgré les avancées de la science, les croyances superstitieuses persistent, s’adaptent et correspondent à une manière spécifique d’appréhender la réalité.»
La superstition à l’ère du numérique
Les avancées technologiques n’ont pas freiné ce type de croyances, mais plutôt les ont exacerbées. Il est aisé de trouver maintenant les connaissances d’astrologie payantes en ligne et même la «rokia» en ligne. A ce sujet, les auteurs de Dans la superstition aujourd’hui notent que «la superstition correspond à une stratégie d’adaptation. Elle doit être comprise comme une croyance en des déterminants externes du destin individuel. Elle repose sur une pensée ‘’vitaliste’’ et sur l’attribution d’une intentionnalité à des déterminants physiques. Dans son fonctionnement, la superstition s’apparente donc à la pensée magique. Mais les croyances superstitieuses nous donnent aussi à voir des productions culturelles dans lesquelles le groupe exprime et développe une part de son identité.» Et d’ajouter : «Les croyances superstitieuses n’ont pas disparu de notre quotidien. Leur forme et leur expression sont modelées par l’environnement culturel, ce qui explique les différences selon les aires géographiques et les périodes historiques examinées. De nos jours, dans les sociétés occidentales, des croyances en l’astrologie, la parapsychologie ou des croyances spirituelles comme le New-Age, retrouvent par exemple de la vigueur, y compris chez des individus dotés d’une culture scientifique de base.»
Pas égaux devant la superstition
Nous ne réagissons pas tous de la même façon devant la superstition, même si nous évoluons dans le même environnement. «La psychologie contribue à comprendre et expliquer ce phénomène de persistance de la superstition à travers les âges. Du côté des explications, les études en psychologie se sont parfois intéressées aux caractéristiques individuelles pour comprendre le recours à la superstition, mais on pourrait considérer que ce qui est en cause, c’est surtout l’insertion sociale des individus. De même, l’impact des déterminants psychologiques, comme la tendance à rechercher des explications externes ou des déterminants liés au type de personnalité comme l’émotivité ou la tendance à éprouver de l’anxiété pourrait être revu à l’aune de l’Histoire de la construction de l’individu. Certaines circonstances semblent favoriser également le recours à la superstition, notamment dans les situations d’incertitude. D’où la propension de quelques professions à conduire à la superstition, ainsi fréquemment observée par exemple chez les marins, les sportifs ou les traders. Avec une approche différente, certains psychologues expliquent la superstition par des restes de pensée enfantine et l’expression d’une recherche de toute-puissance. La persistance de la superstition peut en effet se comprendre par le besoin de contrôler l’environnement, la superstition permettant de fournir une illusion de contrôle», écrivent Emmanuèle Gardair et Nicolas Roussiau. Ces derniers concluent : «Si la superstition n’a pas disparu avec le développement de l’accès à la culture, c’est qu’elle semble résulter de la survivance d’une pensée de type magique chez l’adulte. Différents modes de pensée sont disponibles, certains basés sur l’intuition, le sens commun ou l’expérience et d’autres, sur le raisonnement analytique.
Ce pluralisme épistémique permet le recours à une palette de stratégies de raisonnements parfois qualifiées de biaisées, au regard des critères de la logique formelle mais qui doivent souvent leur raison d’être au fait qu’ils ont été confortés de façon pragmatique. On peut noter en effet que «les superstitieux ne forment pas une minorité idéologique. On est superstitieux selon les moments et les enjeux. Ce n’est pas par nature, si l’on entend par là l’effet des distributions d’un caractère psychologique ou social. Ou plutôt c’est bien «par nature», dans le sens où tout le monde l’est à ses heures : cette rupture en chaque homme n’est pas une rupture entre les hommes».
S. R.

 

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