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Rubrique Société

SIDA EN ALGÉRIE «Les personnes vulnérables constituent le réservoir principal de l’épidémie»

Créée le 1er mars 1998, l’Association de protection contre le sida (APCS : Hak El Wikaya) a pour mission initiale de répondre à des besoins non satisfaits en matière d’information, d’éducation et de communication, en ce qui concerne le sida en général au grand public, en particulier les personnes en difficulté et vivant dans des conditions précaires et/ou difficiles, nous confie Mme Rahou Faïza, directrice exécutive de l’association.  
Amel Bentolba - Oran (Le Soir) - Obtenant un agrément national en 2014, l’association possède trois sièges dont celui national à Oran, un à Alger et un autre à Béchar. Constituée de médecins, l’activité phare de l’association c’est le dépistage. A cet effet, l’association a créé le premier centre de dépistage fixe en 2006 et le premier centre de dépistage mobile a été mis en place en 2013. 
Celui-ci est gratuit et anonyme, nous précise-t-on. 
C’est grâce à la création de noyaux, des éducateurs pairs, que les campagnes de sensibilisation, d’information et d’orientation ont pu  porter leurs fruits, surtout concernant des catégories de personnes des plus vulnérables : le milieu des homosexuels, celui des «travailleuses du sexe», ainsi que les drogués par intraveineuse, les toxicomanes. «Lorsque nous ciblions les populations vulnérables en général, nous avions rarement des cas positifs suite au dépistage, mais dès lors que nous avons ciblé des populations-clés telles que les catégories sus-citées, là nous avons découvert plusieurs cas positifs», nous dira Mme Rahou. S’ensuit l’accompagnement des malades.
Pour le professeur Taj Eddine, épidémiologue, chef de service au niveau de l’hôpital de Canastel et président de l’APCS, chez la population générale, la prévalence du VIH est faible, elle est de 0,1%. «Cette population vulnérable des trois catégories de population suscitées, c’est elle que nous devons cibler. Au niveau de notre association cela fait 10 ans que nous effectuons le dépistage par le test rapide.»  Pour le professeur Taj Eddine, ce sont ces trois catégories qui sont des réservoirs à virus. «Il faut les prendre en charge et ne pas les dénigrer ou les stigmatiser.»
La question des chiffres a été abordée par le professeur qui nous précise : «Parler de nouveaux cas chaque année est un peu confus car j’en viendrai plutôt à parler de cas que nous n’avions pas encore déceler. Selon l’OMS/sida, nous avons en Algérie près de 30 00 cas de sida et, à ce jour, seuls 12 000 cas ont été dépistés, il nous reste 18 000 à 20 000 cas atteints mais qui ne le savent pas encore.» Toutefois il précisera concernant les cas dépistés à Oran, que chaque année à peu près 300 personnes se révèlent atteintes du virus dans différentes régions sanitaires et, en gros, ils sont près de 1 000 chaque année. «Ce ne sont pas de nouveaux cas mais des cas révélés grâce au dépistage qui se fait de plus en plus.» 
Notre interlocuteur nous apprend  que face à la discrimination envers les malades atteints du sida, un pôle juridique a été mis en place par l’association qu’il préside. «Lorsqu’une information parvient à l’association faisant état qu’un malade atteint du virus, homme ou femme, s’est vu refuser une prise en charge ou a été victime de discrimination, nous avons  recours à la justice. Le plus souvent cela se règle à l’amiable.»  Pour le professeur, le dépistage et la prise en charge des personnes vulnérables sont une nécessité absolue. 

Témoignages de femmes et d’hommes séropositifs et atteints de VIH
Rencontrées lors de l’une de leurs séances de groupes de paroles au sein de l’Association de protection contre le sida (APCS), toutes les femmes à qui nous avons parlé évoquent leur maladie par l’appellation «microbe», seuls les hommes osent timidement prononcer à voix basse le terme sida. 

Elle découvre sa séropositivité à quelques jours de son mariage
En provenance de la wilaya de Mascara, Mme Fatma relate pour nous le jour où on lui a annoncé qu’elle était séropositive. «J’étais en plein préparatifs de mon mariage et l’une des étapes exigeait que je fasse des analyses médicales. Lorsque le médecin m’a appris que j’avais ‘‘ce microbe’’, au début, je n’ai pas bien saisi ; après explication, j’étais effondrée et le monde s’est écroulé autour de moi. Bien évidemment le mariage a été annulé.»  Depuis près de 5 ans, elle prend son traitement et grâce à l’association elle a retrouvé le goût de vivre et a même pu se marier. «L’association m’a présenté un homme, on est marié et nous avons même eu des enfants sains grâce au suivi médical.»  Depuis, nous dira Fatma, elle ne cesse de prodiguer des conseils autour d’elle : «Il ne faut pas attendre que vous ayez des analyses pour une occasion précise pour aller les faire. Osez faire le dépistage précoce, cela peut vous sauver la vie.» 

Son mari lui transmet le virus 
Agée de 42 ans, Mme Kheira, de la wilaya de Mostaganem, prenait également part à ce groupe de parole mixte. Sa séropositivité, elle l’a longtemps ignorée puisqu’elle ne présentait aucun symptôme. Seul son mari était très malade et tous pensaient qu’il souffrait d’une bronchite aiguë jusqu’à ce que son cas s’aggrave et qu’elle perde beaucoup de poids. «Après avoir consulté plusieurs médecins, je l’ai emmenée à l’hôpital Che-Guevara de Mostaganem ; là-bas, ils lui ont fait des analyses à plusieurs reprises sans nous donner les résultats, ils voulaient en être sûrs. Puis ils ont confirmé le diagnostic, il avait ‘‘le microbe’’.»  Aussitôt,  ils ont été dirigés vers la wilaya d’Oran, mais avant cela le médecin qui suivait le cas de son époux l’a convoquée et lui a conseillé vivement d’aller faire des analyses. «Tout ceci s’est passé en 2010. Mes résultats étaient positifs, j’étais porteuse du virus. Au début je n’ai pas pu accepter mon état, j’étais révoltée, car cette maladie du VIH, je n’en entendais parler que dans les feuilletons, à la télé et j’ignorais même que ça existait en Algérie. Je pensais qu’une fois séropositive, j’allais bientôt mourir.»  
Mme Kheira a préféré ne pas parler de sa maladie à ses proches. Son moral était au plus bas jusqu’à ce qu’une amie l’oriente vers l’association où elle a pu retrouver l’espoir. Contaminée par son mari, de par ses écarts avec d’autres femmes, à aucun moment cette brave femme n’a abandonné son mari qui s’est rétabli et se soignent ensemble. Son conseil, elle l’adresse aux jeunes : «Protégez-vous, mettez des préservatifs, ne soyez pas aveuglés par les apparences, ce virus ne se voit pas à l’œil nu. Même lorsque je vais au hammam, je donne des conseils aux jeunes femmes.» 

Son mari reconnaît l’avoir contaminée
Présent, assis juste en face de sa femme Kheira, Mohamed,  56 ans, nous dira de prime abord : «Oui oui, c’est moi qui ai contaminé ma femme et je vais être franc, c’est parce que je la trompait avec d’autres femmes.»  Il nous avouera qu’à aucun moment elle ne l’a laissé tomber. 
Et d’ajouter :  «Nos enfants ne sont pas au courant, à l’exception de notre fils aîné qui vit à l’étranger.» 
Au début, il a eu du mal à admettre qu’il a le sida et qu’il devra vivre avec et prendre un traitement à vie. L’association lui permet de réaliser qu’il n’est pas le seul à être atteint par ce virus. 

Hospitalisée pour une tuberculose, elle apprend qu’elle est porteuse du virus
Originaire de la wilaya de Tiaret, Mme Zohra  a découvert sa séropositivité à l’âge de 37 ans (aujourd’hui âgée de 45 ans) alors qu’elle venait d’être hospitalisée, présentant tous les symptômes de la tuberculose. Après plusieurs examens sanguins, on lui annonce qu’elle est porteuse du virus VIH, qu’elle préfère appeler «microbe» comme la plupart des femmes interrogées. Une sorte de carapace qui les protège de la société qui les juge. 
Divorcée et mère de famille, notre interlocutrice se refuse de nous raconter comment elle a contracté la maladie, se contentant de nous dire qu’elle n’adresse plus la parole à son ex-mari. Elle se remémore avec nous l’année où il y a eu une rupture de stock du traitement qui isole le virus. «En 2013 on ne trouvait plus le traitement et c’était d’autant plus difficile et compliqué pour nous les malades des autres wilayas. Beaucoup cette année-là ont craqué et décidé de ne plus en prendre même lorsqu’il sera disponible et aujourd’hui beaucoup sont morts. D’autres, je ne vous le cache pas, par colère, ont continué à avoir des relations sexuelles en cachant leur maladie à leurs partenaires.»  C’est en 2015 qu’elle intègre l’APCS à Oran qui l’a aidée à obtenir plus facilement le traitement et à l’orienter en cas de complication. Elle déplore le manque de communication et d’information concernant le sida. 

Sa femme meurt du sida sans jamais avoir su qu’elle était contaminée
Son histoire, ou comme nous le dit Fateh âgé de 56 ans, originaire de Ghriss, a commencé en 2011. Alors qu’il était marié et père de deux enfants, sa femme tombe gravement malade, puis elle a commencé maigrir de façon spectaculaire. Hospitalisée à Oran, le médecin remet à Fateh une lettre lui indiquant d’emmener son épouse au plus vite au service infectieux de l’hôpital d’Oran. En chemin, il ouvre ladite enveloppe et lit ces trois lettre qui le marqueront à vie : HIV. «J’ai su que c’était le sida et même le médecin qui traitait ma femme m’a dit que je n’avais pas honte et que ce que j’avais fait à ma femme était très. Il en a même informé ma famille qui m’a rejeté. Plus personne ne voulait de moi.» De par la nature délicate de sa profession il était dans l’obligation d’informer sa hiérarchie et de prendre sa retraite. Il ira de mal en pis, surtout sur le plan psychologique, ce qui lui a valu même des séjours psychiatriques. Aujourd’hui il traite sa maladie et suit un traitement psychiatrique. La culpabilité le ronge. «Je suis responsable de la mort de ma femme et je vais devoir vivre avec.» 
D’autres cas tout aussi touchants que choquants nous ont été relatés durant cette journée de groupes de parole interwilayas qui a eu lieu au siège de l’APCS à Oran. Tel que le cas de cette femme qui s’est marié contrainte par sa situation précaire et découvre que son mari est porteur du virus et de surcroît il le savait et voulait avoir une compagne. Ou encore de cette jeune femme qui a découvert qu’elle était séropositive à quelques jours de son mariage. Son fiancé, très amoureux d’elle, tenait à elle, il l’a épousée et aujourd’hui ils ont des enfants saints. Comme quoi, dans tout malheur il y a ces lueurs d’espoir et d’amour.  
A. B.

P. S. : tous les prénoms ont été changés par respect pour les personnes interrogées 

 

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