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Rubrique Tendances

De la violence

La violence est une coercition qui peut émaner de l’extérieur de soi, voire de l’intérieur ; elle peut être physique, morale, religieuse, philosophique, culturelle, politique, etc. Elle peut être exercée par un parti, une secte, un groupe d’influence, un gourou, un environnement, etc. La violence fait partie intégrante de la vie de l’humanité ; elle est l’essence même de l’être humain. Si à ses débuts, la violence était guerrière, elle l’est toujours, elle a pris néanmoins d’autres contours au fil de l’histoire de l’humanité. L’Inquisition était une violence ; le système de castes hindoues en est une autre ; le harcèlement à l’école l’est tout autant. Les exemples peuvent se multiplier à l’infini.
Le but de cet espace de parole n’est pas de faire un cours sur la violence ; quoique ça m’aurait tenté ; je veux juste rester à mon niveau ; je veux juste écrire sur ce qui m’entoure immédiatement, et qui fait violence ; du moins sur moi. La violence s’étire entre une simple colère d’un mortel et la grande violence, qui est celle d’un Etat. 
La fois dernière, je devais honorer un rendez-vous ophtalmique à Bordj-Menaïel ;  comme toutes les villes algériennes, ce lieu de vie, paisible à l’époque, s’est transformé en un espace lugubre, principalement après le tremblement de terre de 2003. Dans les années soixante-dix, nous prenions plaisir à nous arrêter à Bordj Menaïel qui pour un café au «Petit montagnard», qui pour une boîte de tartelettes chez Kaïdi ; les week-ends, on prenait plaisir à nous rendre à Bordj pour faire les emplettes, principalement les fruits et légumes ; parce que cette ville est un véritable potager. On peut dire que c’était une chouette petite ville, qui avait son cachet ;  mais écrasée, il faut le dire, par sa proximité d’Alger (la capitale) et Tizi, dont elle dépendait administrativement. 
J’y étais donc la fois dernière. En entrant par le côté nord, j’ai été giflé, d’abord par ce monde fou qui va dans tous les sens ; puis, le côté sombre de ses rues. J’étais écrasé par cette vue. Il y avait trop de monde, trop de voitures qui allaient dans tous les sens, et ces arbres bordant zaâma le trottoir abandonnés à leur triste sort. Cette image, décor d’un film d’angoisse, il ne manquait que cette musique oppressante, m’a renvoyé une violence inouïe, comme un coup de poing au plexus. C’est quoi ça, me suis-je dit ? Une violence urbanistique sans nom ! À croire qu’il n’y avait pas de lumière, ce jour-là. Pourtant, il faisait beau ; et la mer était à portée de regard. Oui, c’est vrai, le sous-développement est une violence du quotidien dans les pays du Tiers-Monde. 
Le Covid a baissé d’intensité ; il continue de tuer, néanmoins. J’ai cru comprendre qu’un sous-variant a fait son apparition en Angleterre. Qu’il est encore plus virulent que le variant d’origine, Delta. Chez nous, la situation s’est calmée au bonheur de la population. Sauf que celle-ci croit savoir que les éléments de précaution, masque et distanciation sociale, ne sont plus nécessaires. Dès lors, je ne vois plus beaucoup de masques, par exemple, dans les rues ; et les gens sont collés entre eux. Cet ultracrépidarianisme, pardon pour cette violence verbale, je peux l’être moi aussi, tout en sauvegardant les droits d’auteur du docteur Ounoughene, est l’apanage de l’Algérien.  Il suffit de refuser de tendre la main, ou le poing, à une connaissance, pour qu’elle se mette à vous expliquer que ce virus est une invention mise au point pour diminuer de la population mondiale, qu’on ne peut jamais s’en prémunir, autant le choper pour être immunisé. C’est à ce niveau que se situe, justement, la violence de celui qui prétend connaître tout au détriment du pauvre ignare que je suis.
Dans ma bagnole, au centre de Tizi, j’ai effleuré une camionnette. Ou le contraire. Chacun de nous prétend que c’est l’autre le fautif. Bref, j’ai été touché au pare-choc arrière. Là n’est pas le problème. Après le choc, je me suis arrêté pour constater si dégât il y a. L’autre conducteur s’arrête en parallèle, et me dit en criant : « Je ne te ferai pas de constat. » Ce conducteur, jeune, baraqué, sûr de ses biscotos, les sourcils en colère, n’attendait qu’une réaction de ma part pour m’en coller une ; il a les moyens de son bellicisme ; puis, je n’aurais jamais pu me défendre. Hé, la scène s’est déroulée devant un trio de policiers. Justement, un de ces agents de l’ordre public intervient bien à propos, m’évitant ainsi une correction. Je m’approche du quidam, lui dit : « Hogra ! » Constatant mon approche pacifique, il jura sur tous les saints de son village qu’il n’était pas pour m’imposer une hogra quelconque. « Et pourquoi donc cette violence verbale ? lui dis-je. La suite relève des scènes quotidiennes de la société algérienne, quand la violence physique dicte sa loi.
J’ai raconté tout cela à l’ami Saïd, tout en sagesse et en réflexion. Il me fallait vider mon sac. Je ne savais plus à quoi m’en tenir. J’avais dans l’intention de rentrer chez moi, de mettre ma tête sous un oreiller et mordre ma main pour ne pas hurler mon désespoir. Il me restait cette solution de me mettre sur un divan auprès de Saïd et de me faire expertiser la caboche. Comme à son habitude, cet ami est toujours (ou presque) suspendu à son FB ; mais de son environnement, il ne perd pas une miette. Je lui raconte la lugubrité d’une cité qui aurait pu être un havre de paix, tous ces «démasqués» qui, bravant le danger du Covid, oublient qu’il mettent autrui sous l’épée du virus. Son écoute est géniale ; ses déductions sont calculées. 
Cette fois-ci, il m’a fait peur ; comme s’il baissait les armes de la vie. Il me donna une réponse pleine de désillusions : « Heureusement que nous sommes d’une génération crépusculaire.» Je ne vais pas faire l’exégète d’une telle affirmation, venant d’un profond dégoût qui, effectivement, touche le troisième âge. J’ai souri, au début. L’ami Saïd dit, tout simplement, que la fin est proche (je parle par euphémisme, la mort si vous voulez) ; par conséquent, autant courber l’échine, ne pas résister, et attendre la délivrance du trépas. Cette violence est faite par soi-même, contre soi-même. J’ai trouvé qu’il avait raison. En France, on aurait été dans des maisons de retraite ; la solidarité familiale joue encore dans notre pays ; pas pour très longtemps. Il arrivera un moment où les vieux, le troisième âge si vous voulez, se verront mettre de côté par la génération d’avant, parce qu’elle ne sert plus à rien. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », ahlil ! Je propose un extrait d’une chanson de Brel qui, aujourd’hui, me donne froid dans le dos, en l’écoutant : «Et s’ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d’argent/Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit je vous attends.»
Y. M.

 

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