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Rubrique Tendances

Digressions aoûtiennes

La canicule fait son œuvre ; c’est normal, me diriez-vous ; c’est la saison ; c’est le mois d’août, ho ! Puis, il faut bien que l’été passe avec sa chaleur. Ses excès. Et sa vacuité. Cette année, l’Algérie a dépassé les cinquante et un degrés au Sud. En fait, nous avons battu le record mondial de chaleur. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une chaîne satellitaire qui a fait les comptes. Pour une fois qu’on est classé premier, champion du monde en terme de canicule, il y a de quoi pavoiser. Morceli et Boulmerka, c’est du passé ! Ce fut deux arbres gigantesques qui n’ont pas réussi à cacher la forêt de nos déboires. Voilà, cette année, l’Algérie est championne du monde de l’été le plus chaud. On devrait défiler sur l’avenue Larbi-Ben-M’hidi. Au fond de moi, je pavoise. Je goûte à cet exploit. Et j’en suis fier. Et comment ! Dans les pays du Nord, le goudron fond sous l’effet de la chaleur. Pour une fois que les «gens du Nord» vivent, un peu, un tout petit peu, comme nous. Ce n’est pas pour me déplaire, sincèrement. Il n’y a pas besoin de visa ; la chaleur voyage sans visa. Sans bagage. Et sans se cacher. 
Il n’empêche que la canicule n’empêche pas certains politiques d’anticiper sur les élections présidentielles de 2019. Le patron du FLN n’en démord pas ; il a raison ; il est là pour ça. «Le Président est notre candidat», crie-t-il sur tous les toits. A qui veut l’entendre. Le patron du RND, aussi. Plus d’autres partis satellites du pouvoir. Tout ce beau monde, bravant la chaleur d’août, met en avant «leur» candidat ; comme pour montrer aux autres, les politiques qui remettent en cause ce choix, ou qui ne veulent pas entendre d’un cinquième mandat, que les jeux sont faits. Le Président ne dit rien. Il ne se prononce pas encore. Il ne prend même pas la peine de nous écrire. Personnellement, j’ai fait mon deuil de ces élections. Avec ou sans le Président, le cinquième mandat fiha fiha. C’est la meilleure manière de perpétuer le système ; lequel système n’est pas près de lâcher les rênes du pouvoir. Au fait, l’idée du consensus est-elle de l’initiative du FFS ou du MSP ? Puis, comment réaliser ce consensus ? Qui possède la bague de Sidna Souleïmane ? Le FFS ou le MSP ? À moins que le peuple ne dise son mot, pour une fois ! 
La culture est menacée chez nous. Mais la culture ne nourrit pas son monde. Méditons la fable de la cigale et de la fourmi ! C’est vrai, quoi. Dès l’aube, la cigale – cachée dans le feuillage de l’olivier – n’arrête pas de me casser les oreilles. Qu’est-ce qu’elle a à gueuler comme ça à longueur de journée ? Nous dire qu’il va faire chaud ? Ce n’est pas la peine, je le sais. Enfin, nous le savons. Puis, la cigale n’arrête pas de striduler, soulevant un vacarme du tonnerre. Comme disent mes amis de Constantine : «Elle fait un couffin de bruit !» En attendant, la fourmi n’arrête pas de faire des allers-retours, de son château souterrain à la table de réjouissance, pour piquer un bout de pain, un bout de paille, un grain de blé… Je la vois, cette fourmi, dans mon jardin. Qui n’arrête pas de bosser. De suer sang et eau, pour l’avenir. La fourmi n’a pas sur qui compter. Ni Ansej. Ni Cnac. Ni autre tiroir caisse. Puis, elle n’est pas candidate à la harga. Ni à un hypothétique visa. Contrairement à la cigale, la feignasse, qui se satisfait de broyer du chant, sans s’inquiéter de son avenir. Elle doit lorgner du côté de l’Ansej ! Je me demande si la cigale peut chanter à Ouargla. Les adeptes de la bonne écoute sont aux aguets. A croire qu’elle est en territoire conquis, ici, au fond de mon olivier ! 
Justement, à Bel-Abbès, il a fallu le concours des services de police pour que le festival du raï se déroule, presque normalement. Je dis «presque», parce qu’il n’est pas  évident de chanter – surtout le raï – en étant sous pression. De qui ? De ceux qui détournent les événements. Haram, la musique ? Allons donc. La canicule n’est pas bonne conseillère. Les empêcheurs de tourner en rond n’arrêteront pas les tourneurs de tourner. Et les chanteurs de chanter. Qu’ils viennent donc arrêter ce chant caniculaire de «ma» cigale. Et de voir la fourmi à l’œuvre. Les empêcheurs de tourner en rond n’arrêteront pas de désavouer la nature ; le chant vient de là, il vient de la nature. Qu’ils viennent donc arrêter la terre de tourner, elle qui ira jusqu’à son terme, inexorablement. Les empêcheurs de tourner en rond n’arrêteront pas de fustiger le Beau, parce qu’ils ont peur de tout ce qui est beau. Qu’ils viennent donc arrêter la tourterelle de faire son nid. Qu’ils viennent donc arrêter la migration de la cigogne, qui embellit nos arbres. Ils ont peur du Beau, mes frères ! 
Ça y est, la revoilà la statue de Aïn-Fouara ! En attendant qu’un déséquilibré vienne, armé d’un burin et d’un marteau, bavant sur la nudité marbrée de la belle, la défigurer de nouveau. C’est le sort qui attend cette pauvre chose inanimée. Mais qui fait «ruter» certains. En attendant, doit-on mettre un policier, en faction, 24 h sur 24. Juste pour la surveiller. Au cas où elle aurait des envies de prendre la clé des champs. Elle ne risque pas de s’en aller, c’est sûr ! C’est juste du marbre. Du beau marbre. Elle a plus d’un siècle. La vénérable statue ne risque pas d’aller loin, même si elle a la jeunesse éternelle. Elle donne une âme à la ville de Sétif, contrairement aux blocs de béton de l’AADL. Aussi, notre ministre de l’Intérieur doit prendre une décision courageuse et offrir, à la belle, une protection rapprochée. Un grand gaillard, baraqué, qui sait donner du poing et de la tête. Un ninja, c’est ça un ninja ! 
J’ai failli oublier cette info : en Autriche, les chiens portent des chaussons pour se protéger de la chaleur. Des chaussons pour chien ? Et quoi encore ! Pourquoi pas leur mettre des lunettes de soleil ? Une belle paire de Ray Ban pour protéger les mirettes des pauvres choux. Qu’est-ce qu’ils vont inventer ces Occidentaux ! Climatiser les poulaillers, peut-être ? Ou demander l’autorisation au cochon de se faire trucider au fond d’un abattoir ? La chaleur fait fondre le goudron, chez eux ; elle fait fondre les cerveaux, aussi. Prenez les chiens chez nous : ils errent à longueur de journée ; ils boustifaillent dans les poubelles ; et quand ils s’ennuient, ils se font un malin plaisir à mordre quelque gentil mollet… Décidément, août ne me réussit pas plus que juillet. Je le dois à la canicule, au boucan de la cigale, au cinquième mandat, au robinet qui fait la grève de l’eau, à la parabole qui prend un malin plaisir de sauter au bon moment, au dernier roman de Yasmina Khadra qu’il me tarde de lire et à mon genou qui n’arrête pas de gémir.
Y. M.

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