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Rubrique Tendances

Errance intérieure(6)

J’ai été essoré comme une serpillère. «Ils» m’ont mis le cerveau à l’envers. «Ils» ont déboîté mes articulations. «Ils» m’ont demandé des choses, dont j’ignorais jusqu’à l’existence. «Ils» m’ont traité d’espion. De traître à la nation. Et de vendu à nos ennemis. J’ai été vidé, comme une outre. J’ai beau leur dire que je n’ai rien fait, «ils» s’acharnaient sur mes articulations pour que j’accouche, selon leur expression. J’ai beau leur dire que mon sac est vide comme ma chienne de vie, «ils» n’ont eu de cesse de me réveiller à tout moment de la nuit. Puis je ne ressentais plus la douleur. Puis j’avais perdu la notion du temps. Combien de jours ? Je ne sais pas. Un jour, fatigué de pousser un âne mort, «ils» m’ont remis la tête dans un sac, m’ont jeté dans un véhicule et m’ont relâché quelque part dans une contrée improbable.
Et j’ai repris ma marche. Sauf que cette fois-ci, je sais où orienter mes pas. Je vais directement vers mon douar. Ma cambrousse. Je vais soigner mes plaies. Je vais retrouver mes compagnons d’un «temps épique qui n’a plus rien d’épique». Je vais retrouver la masure qui m’a vu naître. Je vais retrouver le ruisseau où j’ai essayé d’apprendre à nager. Je vais revoir la fontaine (tala) où la belle, au regard de clarté lunaire, a ravi mon âme, pour toujours. Je vais m’incliner sur la tombe de ma pauvre mère, morte de trop d’accouchements. Je vais revoir tous mes compagnons. Il y a Ali, malin comme un chacal. Il y a Ramdane, fort comme un bœuf. Et Chabane, le mélomane, qui reprend avec bonheur la poésie mohandienne. Je vais les retrouver, aussi sûr que deux et deux font quatre. Je vais les trouver différents, comme les oliviers de nos montagnes, troncs évidés, noueux, mais solides comme les pentes qui les abritent. Je ne verrai pas ma belle, au regard de tourterelle. C’est comme ça la vie, chez nous.
Je vais éviter les chemins communs. Je ferai en sorte de ne rencontrer aucune âme. Je souhaite me recentrer, m’arrondir et expurger mes mauvaises ondes. Je ne demanderai l’aumône à aucune âme charitable. Je me contenterai de baies, d’herbes comestibles et d’eau de ruisseau. Je dormirai à la belle étoile. Je ne sentirai ni froid ni chaleur. Je n’aurai peur ni du chacal ni du sanglier. Je suis à l’état sauvage. Sincèrement, je plains le chacal qui se trouvera sur mon chemin. J’en ferai de la charpie. Puis, une cuisse de sanglier, ça remonte le moral. J’en ai vraiment besoin, en ce moment. Aucune averse ne ralentira ma course. Aucune chaleur ne viendra à bout de ma volonté de rejoindre les miens. Je sais que les miens m’attendent. Je le sens. Je le veux. «Ils» ont bien tenté de faire de mon errance intérieure un motif d’enlèvement. Et de torture. La victime plaint toujours son bourreau. Car ce dernier s’avilit face à l’innocence. «Eux», là-bas, dans leur bunker doré, pourront à loisir regarder ailleurs, ils n’en sont pas moins impliqués jusqu’au cou. Un jour viendra où de leur tombe des revenants, les martyrs d’abord, les innocents ensuite, exigeront des comptes. Ce jour-là, j’arrêterai mon errance !
Par un beau matin ensoleillé, du haut de la colline aux narcisses, j’aperçus mon village. Resplendissant, mon village brillait de mille feux. J’ai oublié qu’il était si beau. C’est sûr, je reviens changé. Mais je suis de retour, tout de même. S’il a été bâti sur ce pic, c’est pour faire face à l’adversité. Les miens n’ont jamais voulu  vider leur village. Les miens ont fait les quatre coins de la planète, c’est vrai. C’est leur destin !
Sauf qu’ils reviennent toujours. Un jour ou l’autre, ils reviennent dorer leurs vieux os sous un soleil fidèle à sa sagacité. J’ai les larmes aux yeux. J’ai vu des vertes et des pas mûres, je suis blasé à un point inimaginable, je suis revenu de tout et ce village, aujourd’hui, me fend le cœur. Moi, l’errant, je n’aurais jamais dû tenter l’errance sur ces routes improbables de ce pays improbable.
Mes compagnons m’attendaient, comme s’ils étaient avertis de mon arrivée par un quelconque sixième sens. Ramdane la tête d’un retraité de «Fafa». Un béret vissé sur le crâne, des moustaches à la gauloise, il me rappelle Béru, ce héros de San Antonio. Court sur pied, il se dégage de lui une impression de force inouïe. Ali, filiforme, les yeux fureteurs d’un petit chacal, il cultive sa parcelle de terre ingrate, pour arrondir sa modeste retraite d’une entreprise étatique. Chabane, lui, est passé à un stade supérieur ; il a tenté l’aventure de la chanson ; ma foi, ça lui réussit pas mal. Puis, c’est le seul à  rester célibataire. Je ne veux pas demander après ma belle. Je n’ose pas. Je ne veux même pas prononcer son prénom. A-t-elle seulement souvenir de ma gueule ? Que fait-elle, à cette seconde précise ? Quel djinn pourra lui faire porter mon sourire ? Je ne veux pas mentir à mes compagnons. Je leur dis mon regret de n’avoir pas su la protéger. Lâche, je l’ai été. D’abord, d’avoir pris les chemins de l’errance. Ensuite, de n’avoir pas su la cueillir, amoureusement, comme une fleur délicate. Je ne la mérite pas, voilà tout !
Ce soir, il est temps de fêter nos retrouvailles. Je ne sais pas ce que me réservent les trois lascars. On se retrouve tous chez Chabane, il a pour seule famille sa guitare et son chat noir, appelé «Zigzag», allez savoir pourquoi ? Enfin, nous avons mangé. Nous avons bu, jusqu’à l’ivresse totale. C’est la totale, ce soir ! Puis, nous avons fumé du haschich, à nous péter les poumons. On s’est resservi du gros vin. De la vinasse ! On s’en fichait éperdument. On voulait l’ivresse, une non-perception de soi. On voulait se bourrer la gueule, jusqu’à rendre. Puis ce fut le silence total ! Chacun cuvait sa cuite de son côté. Chabane grattait sa guitare, sans arriver à sortir une seule note. Ali, recroquevillé sur lui-même, n’arrêtait pas de mâcher sa clope de haschich. Et Ramdane a les yeux révulsés et souriait bêtement. De la bave coulait sur son menton arrondi.
Quant à moi, j’ai changé de dimension. J’ai rejoin une vie antérieure. Oui, j’ai eu une autre vie, avant de lancer ma carcasse sur des routes improbables d’un pays improbable. J’ai, un jour, fait partie de la Haute. Quelle haute ? La haute administration ! Celle qui dispose du Pouvoir. Oui, je détenais une parcelle de ce pouvoir. J’allume une autre clope. Et je me revois, sapé comme un nouveau marié. Punaise, quelle élégance ! Mais, quel faux-cul, surtout ! Tout ça, pour de la frime ! Mon bureau était immense. Il y avait de quoi accueillir deux familles de mal-logés. Puis, ce frigidaire. Ce salon en cuir marron. Ces portes capitonnées. Ces téléphones, un blanc, un crème et un bleu. Je ne me rappelle plus à quoi ils servaient. A appeler différentes sources, je suppose. «Ddawla», comme on dit dans les chaumières. « Ddawla taê nannek», comme dit un de nos puissants. Et ces plantons, comme des cerbères, qui gardent férocement la porte. Je tire sur ma clope à me faire exploser les tympans. Comme si je voulais sortir mon cerveau des trous de mon nez. Du moins, ce qu’il en reste. Puis, je revois la bande à «Eux», les puissants du moment, chacun avec son tic, son atavisme et sa gloutonnerie. Parce qu’il faut le reconnaître, ça broute fort ! Je ne donnerai pas leurs noms. Je vais juste les nommer par un sobriquet. Il y a Belzébuth. Le sang d’Indien. La tête de chien. L’endormi. Le silencieux. Le fumeur invétéré. J’en dirai plus la prochaine fois. En attendant, je vais terminer mon voyage hallucinatoire.
Y. M.

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