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Rubrique Tendances

Éternel recommencement(3)

Le temps se rafraîchit graduellement. Il est vrai que l’automne s’est fait désirer ; et que l’été devait être jeté comme un squatteur. Il faut reconnaître que les saisons se crispent davantage ; celles-ci vont au-delà de leur limite. J’ai vu quelqu’un arroser son potager ; j’ai été étonné ; le fellah m’explique que la terre a soif, la rosée du matin automnal ne suffit pas. C’est dire que le monde change à une vitesse qui dépasse l’entendement ; puis l’on ne se rend pas compte. L’homme détruit la terre. Et veut coloniser l’espace. Il y a ici quelque chose qui dépasse la logique. 
Ce matin d’un matin ensoleillé, j’ai envahi le centre-ville de Tizi ; ce qui n’est pas dans mes habitudes. Je voulais voir la cité nue, sans la population qui, habituellement, se presse sur des trottoirs gros comme une outre ; ceux-ci n’arrivent plus à contenir le flot des passants et passantes. À force de marcher dessus, jour après jour, ces trottoirs ont perdu leurs carreaux, ont perdu leur couleur et une couche de poussière, grosse comme ça, donne un air grisâtre aux rues de Tizi. Nos trottoirs ont la scoliose. Ils ne sont pas faits pour contenir autant de pieds et de passages. J’ai cru les entendre, ce matin, crier leur désespoir. Personnellement, je ne peux rien faire, sauf constater. De tout temps, les Tizi-Ouziens se sont plaints de leurs trottoirs. Chaque fois, la puissance publique  refait ces trottoirs ; rien n’y fait. Les carreaux changent, mais le trottoir se déglingue au bout d’une saison. Soit le travail est mal fait, soit on est maudit. 
Et ces arbres, qui s’accrochent désespérément à un sol désespérément assoiffé, se penchent pour éviter les marquises des commerces. Ils sont tenaces, ces arbres. Ils évitent tout obstacle. Pourvu qu’ils poussent vers le haut, sans tenir compte d’aucune esthétique. Ceux qui les ont plantés les ont abandonnés à leur triste sort. Ils font pitié à voir. Chaque matin, le commerçant voisin récure son magasin ; l’eau sale est jetée au pied de l’arbre. C’est dire ! Nul ne s’en préoccupe. À la laideur de la grand-rue de Tizi, ces arbres ont imprimé au paysage un effet repoussant. Et les gens vont et viennent, matin et soir, chaque jour, sans ressentir le moindre frémissement au cœur, ni de boule au ventre. Où est la normalité, ici ? Je dois être  seul. Ihi, je ne suis pas normal. Puisque je suis le seul à ressentir de la douleur. Les Algériens ne sont-ils pas capables de prendre soin d’une rue, ya âadjaba ? Nous sommes des bras cassés, à ce point ? A quoi sert l’Assemblée populaire communale ? 
Attendez, je n’ai pas fini. Il n’y a pas que ça. Lors de ma marche forcée au centre-ville, j’ai vérifié un phénomène ; l’Algérien adore s’asseoir. Dès qu’il rentre dans un café maure, il peut passer la matinée à sucer un café, chiquer à n’en plus finir ou se shooter à la sèche. Maintenant, avec la Covid, du moment que la tasse de noir se vend à 40 dinars, l’Algérien se replie sur le moindre espace où il peut poser, allégrement, un tiers de son popotin. Ça peut être la moitié d’une brique. Une pierre sans géométrie (l’Algérien arrive à s’y poser). Un bout de trottoir. Le dixième du seuil d’une boutique close. S’il est en groupe, l’Algérien refait l’Algérie. Ça parle, ça parle, ça parle. C’est incroyable comme ça parle. Un vrai bavard, l’Algérien. S’il est seul, il farfouille une barbe naissante, se gratte les cheveux, fixe un point indistinct, crache sa chique à ses pieds, écrase le mégot sous son talon et laisser filer le temps. 
À sa décharge, il n’y a pas un coin à même de le recevoir. L’Algérien est laissé libre d’errer au fond de lui-même, d’autant plus s’il est retraité. Il a perdu sa garderie d’adulte. L’administration est une immense garderie. Elle les occupe. Il n’y a plus de souk traditionnel, comme celui de Souk Sebt de Tizi. Il n’y a plus de cinéma, dis-je. Il n’y a plus de jardin public, aussi. L’ancienne place de l’église s’est transformée, par la force des choses, en place des retraités. Ceux-ci font des parties de dominos interminables. Sans masque, sans distanciation sociale, il y a là au centre de la ville de petits clusters virulents, à mon sens. Pourvu qu’on ne sort pas un variant algérien ! Le seul jardin public de  Tizi est fermé depuis des lustres ; il a été refait à plusieurs reprises ; à chaque fois, la laideur des lieux s’accentue. Puis, Harouza, présentée comme un jardin d’Eden, n’est qu’un maquis dominant la ville. Alors que Tahar Djaout a hérité d’un square qui n’a de square que de nom ! Que faire dès lors ? Couler davantage et accepter le sort d’une ville qui ne mérite pas de porter le nom de ville. Tizi-Ouzou, le col des genêts, allons donc ! 
Il y a juste quelques semaines, il était tout de même rare, bien que certains énergumènes continuent à tenter le diable, de trouver un « sans masque ». Depuis que la décrue est annoncée, le peuple a jeté le masque, comme si l’immunité collective est effective sur le terrain. Le ratio s’est inversé. Très peu portent le masque. Beaucoup ne le portent plus. Il y a une action à porter sur le terrain ; il faut par exemple relancer une campagne de sensibilisation, à côté de la vaccination tous azimuts. On n’entend plus les autorités sanitaires. Le ronron habituel a repris, en attendant la quatrième vague qui, selon les spécialistes mondiaux, arrivera à coup sûr. Parce que le virus est encore là, présent, menaçant, mortel. Ihi, de grâce, protégez-vous. Et allez vous faire vacciner. On n’en a pas encore fini avec cette pandémie. Arte a passé un documentaire sur la pandémie liée à la grippe espagnole. Ça fait froid dans le dos, avec le recul. Il y eut cinquante millions de morts, à travers le monde. L’Algérie, en ce temps-là, a eu sa part de malheur. À croire que c’est une guerre mondiale. La guerre contre le Covid n’est pas encore achevée. Il ne faut pas remiser l’arme. Il faut être sur ses gardes. 
Les travers sociaux n’en finissent. Certains les appellent des incivilités. C’est juste une question de sémantique. Je vois des choses qu’un être social normal ne ferait pas. Ce matin, un quidam juste en face de moi, sur le  trottoir, enfin le semblant de trottoir, met son pouce sur la narine droite, et de l’autre, il lance vers la chaussée une fusée de morve. Sans smir, il s’essuya calmement ses doigts sur son pantalon. J’ai eu un haut-le-cœur, le vrai, au point de rendre le contenu de mon estomac. Il avait raison le receveur de trolley, dans les années soixante-dix, qui demandait aux usagers d’avancer vers l’arrière. C’est ce que nous faisons depuis.
Malgré cette chute pourrie, je vais néanmoins proposer une citation de Léo Ferré : « Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l’appellerons « bonheur », les mots que vous employez n’étant plus « les mots », mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. Mais… la solitude… »
Y. M.

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