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Rubrique Tendances

Il n’y a pas pire sourd…

La rue a parlé ; elle a signifié son rejet ; elle a montré sa maturité ; elle a donné une leçon de démocratie. Mais l’Algérie officielle ne change pas son discours d’un iota. Il y a bien sûr la mystification de la continuité de la continuité ; puis, il y a un programme à affiner ; ensuite, il y a – comme promesses électoralistes – des changements en profondeur qui vont se faire si, bien sûr, l’ex-futur-Président est réélu. Comme s’il fallait en douter un seul instant ! Pour ça, l’Algérie officielle est très forte, c’est son sport favori. Et on égrène les millions de logements, l’autoroute Est-Ouest, la réconciliation nationale… Comme s’il s’agissait de cadeaux offerts au pauvre peuple algérien. Comme si ce n’était pas du devoir de l’Algérie officielle de faire ce minimum. Soyons sérieux, arrêtez d’insulter l’intelligence de ce peuple. Les logements, et tout le toutim, c’est votre job. Vous n’avez fait que votre job. Rien d’autre ! Puis, si cela ne suffisait pas, l’Algérie officielle ne fait pas dans la demi-mesure. L’ex-futur-Président est un «envoyé de Dieu». Rien que ça ! Plus c’est gros, mieux ça passe. C’est à croire que ce peuple est tombé de la dernière pluie. Et si cela ne suffisait pas, l’Algérie officielle remet sur le tapis de la fuite en avant l’arbitrage des urnes. Et voilà ! Les urnes ! Le vote ! Comme si l’Algérien a réellement voté, une fois dans sa vie. Je veux bien croire à ces élections, je n’y arrive pas. Tout semble d’ores et déjà truqué. Tout semble relever de la manipulation. Tout semble relever d’un jeu politicien malsain. J’ai beau prendre le problème de tous les côtés, je n’y arrive pas. Je vois d’ici le score de l’ex-futur-Président tourner autour d’une confortable majorité. Les urnes auront parlé ; non, justement. Et dans tout ça, l’Algérie officielle tourne le dos à l’Algérie profonde qui, dans les règles de l’art, a étalé sa classe démocratique vendredi dernier. En attendant, Sellal, sans fonction officielle, se promène au Sud en compagnie d’une délégation celle-là officielle. Et alors ? Il n’y a rien de particulier. Comme dit l’Algérie profonde : «H’na fi h’na !» Il n’y a rien de surprenant. L’administration. Le FLN. Les partis de l’Alliance. L’envoyé de Dieu. L’UGTA. Le FCE. Tout ça dans ça, et ça donne le cinquième mandat. Ah, j’ai failli oublier la mosquée…
Le choix est simple, précise l’Algérie officielle. Ou c’est le cinquième mandat, ou c’est le chaos. Rien que ça ! Ce choix est étroitement lié à l’ancienneté de l’ex-futur-Président. Vingt ans ! Vingt ans ! De règne. De «houkm». De «koursi». Ça donne envie de continuer. Ça donne envie de tenter le diable, de le tirer par la queue et d’aller à contre-sens de l’Histoire des pays civilisés. Il n’y a qu’à faire le compte : Ben Bella, de 62 à 65. Boumediène, de 65 à 78. Chadli, de 78 à 88. Bouteflika, de 99 à 2019, sans compter le rabiot à venir, c’est-à-dire de 2019 à plus… Boumediène a «coup d’étatisé» Ben Bella. Chadli a profité du décès de Boumediène et se fait élire dans des chiffres à l’URSS, du temps de Brejnev. Et Chadli a bénéficié du grade du plus ancien… etc. Et ainsi de suite !
 Tout ça tournait dans ma tête, jusqu’à la migraine. Ce n’est pas tout. J’ai voulu me ressourcer. Je me suis choisi une table dans mon café habituel. Je voulais un thé à la menthe. Et je voulais surtout tâter du doigt la température de ce peuple que l’Algérie semble ignorer. Réellement, le thé était succulent. Bien comme il faut. Pas trop serré. Il flatte légèrement le palais. Puis j’ai laissé glisser mes oreilles vers la table d’à côté. Ça parlait fort, un peu comme chez nous. Ça fumait et ça chiquait, un peu comme chez nous, aussi. Cinq solides gaillards de chez nous coupaient au couteau les récents événements. Je prenais mon plaisir à bout de bras. Comme je venais de me taper un Bukowski, je voulais juste retomber sur mes pieds et éviter le vertige de l’altitude. Tiens, tiens, intéressant ce que dit le moustachu à la casquette grise : «Yakhi, ils ont construit, zaâma, plus de vingt hôpitaux…», dit-il dans un soupir qui en dit long. L’autre qui suce sa clope comme un forcené l’arrête : «Et alors ? Où tu veux en venir ?» Sans se laisser démonter, le «casquetté» répond calmement : «S’il y a autant d’hôpitaux, pourquoi notre Président s’en va à Genève ? Pas pour des soins. Juste pour un contrôle. Je me suis opéré de l’hernie discale, et je fais mes contrôles à l’hôpital du Belloua… Mon ami, celui qui a eu un AVC, je vous en ai déjà parlé, il fait ses contrôles ici. J’aimerais bien me faire visiter par un spécialiste suisse… » Et, il se met à rire jaune. Le «casquetté» ne se laisse pas démonter : «Tu n’es pas Président. Tu n’es qu’un Algérien. Marche ou crève ! Puis il y a encore de la place au cimetière…» Le plus jeune intervient nerveusement : «Justement, il n’y a plus de place au cimetière… Medouha est surchargé. Jette un regard, tu verras que ce cimetière est surpeuplé...» C’est vrai, me dis-je, Medouha, le cimetière de ma ville, est saturé ; il est grand temps d’en ouvrir un autre. C’est vrai, aussi, que la médecine est à deux niveaux, celle des puissants et celle des démunis. J’aimerais dire un mot au ministre de la Santé qui disait que nos hôpitaux sont meilleurs que ceux des USA. Il y eut un court répit, un silence perturbé par les gorgées du thé qui s’insinue dans mon gosier. Le «casquetté» revient à la charge, décidé à avoir le dernier mot : «De toutes les façons, il peut rester à Genève, il n’y aura pas de cinquième mandat. Le peuple a voté vendredi dernier.» Celui qui n’a pas encore dit un mot, la lèvre supérieure enflée d’une boule de chique, tape sur la table, au risque de faire des dégâts, la moustache conquérante ne laisse pas passer la chose telle quelle : «Vous êtes des ‘’t’nouha’’ ! Rester à Genève, rester à Genève… C’est toi qui vas lui interdire de rentrer chez lui, Wallah. Le vote est ficelé. Le 18 n’est qu’une formalité, comme d’habitude. Il fera son cinquième mandat, comme Dieu est grand. Qui va les arrêter ? Toi ? Toi ? Ou toi ? La rue va crier à s’égosiller ; puis, ils feront leurs affaires. Et, hop, ils vont fermer le domino. 
Finissez vos tasses. Et allons nous faire pendre ailleurs !» Le «casquetté» vindicatif refuse d’abdiquer : «Cette fois-ci, c’est la bonne. Ils vont tous prendre leurs valises. Plus de Club-des-Pins. Walou ! Mais avant, il y aura des comptes... Lesquels ? Les comptes, quoi ? L’actif. Et le passif. La prochaine protestation, j’irai marcher. Ici ou ailleurs, j’irai marcher. Je veux dire mon mot, moi aussi…»
J’ai oublié ma tasse de thé. Mon esprit est pris dans cette mélasse. Je me lève et leur dis à haute voix : «Et si on priait Dieu de nous envoyer un autre Président !»
Y. M.

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