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Rubrique Tendances

Impressions tizi-ouziennes(2)

Je veux me réapproprier ma ville natale. Je suis monté vers le mont du Belloua. Avant, dans une autre vie, du temps où le souffle était ample, le mollet alerte et le défi affiché, nous grimpions comme des chèvres de montagne ces pistes qui mènent vers ces hauteurs. Le deal était de ramasser des glands. Et de visiter le saint patron de la ville où, souvent, nous sommes conviés à un couscous de la « waâda ». Il faut dire que nous avions la jeunesse pour nous. Et que nous n’avions pas devant nous autre chose pour tuer le temps. On se disait : « N’djibou lwaqt ! », façon de perdre du temps pour, doucement, remplir la journée, avant de rejoindre nos domiciles respectifs. Rejaouna, comme on se le disait par défi, est à quelques battements de cœur. Nous grimpions à la rapidité d’abord de la vigueur de nos guiboles, ensuite du paquet de temps que nous allions gaspiller lors de cette randonnée champêtre. 
Aujourd’hui, les années passées, j’utilise un véhicule pour grimper vers ce village, en fait une addition de deux villages, Techt et Lbor. Si je grimpe ces derniers temps, c’est juste pour contempler ma ville natale d’en haut. Et de constater l’explosion urbanistique de ce que fut, le temps d’un rêve, Tizi-Ouzou. Il suffisait d’une demi-heure pour boucler cette ville. À part la grand-rue, il n’y avait pratiquement rien à se mettre sous les mirettes. Bien sûr, il y avait la rue commerçante, dite rue de la Paix. À ce propos, le revendeur de chaussures, Benyoucef, et sa cordonnerie au sous-sol a mis la clé sous le paillasson. C’était un repaire pour nos achats, de très longues années durant. En face, il se trouvait une bijouterie-horlogerie des Dris, dont Youcef, « exilé » à Oran, a su prendre sur lui l’écriture romanesque et nous donner, Les amants de Padovni, une histoire réelle, semble-t-il. Et d’autres textes. Nul ne peut rater le cinéma, aujourd’hui fermé comme tous les cinémas d’Algérie, l’Algeria. Et les nombreux films hindous qui ont tourné la tête à certains rêveurs patentés. « Djanitou a djanijaha ! » Oui, il y avait une épicerie fine. Qui se souvient encore du Primula aux crevettes, un fromage en demi-lune. Une boulangerie de Sidi Méziane qui, durant le mois de jeûne, faisait le pain de « mawniss », comme personne. Puis la boulangerie Boudib. La boulangerie Rezgui. La boulangerie Mesbahi, l’ancêtre selon les anciens. 
Dans cet espace de parole, je ne peux tous les citer. Puis la mémoire me fait défaut. Mais je ne peux pas oublier « Tchiwtchiw », dont les casse-croûtes sont inénarrables. Il ne reste plus rien de mes souvenirs ; ceux-ci m’ordonnent de passer mon chemin et de ne pas insister sur des souvenirs d’adolescent. Je le regrette, du reste. Car je n’ai jamais réellement quitté Tizi-Ouzou, même du temps où la « khobza » m’a appelé ailleurs. Alors que beaucoup d’autres ont préféré lui tourner le dos, définitivement. Ils sont à Alger, Tlemcen, Jijel ou Dellys !
Il est vrai qu’on a changé ma ville. Embouteillage dès le matin. Stationnement incertain. Puis payant, sous la contrainte. Un incessant flux de « gens » erre pour beaucoup, sur des trottoirs impossibles à stabiliser, dont le seul but est de passer et de repasser dans le « billadj ». Le billadj est pris ici comme étant le centre névralgique de la ville. Comme Tizi-Ouzou a changé ! Le rond-point est toujours là ; le pauvre, il ne sait plus à quel point cardinal se vouer. Il fut une guérite de gestion de la circulation automobile ; puis, il fut un sens giratoire, fleuri quand même. Désormais, il est bâti sous forme de jet d’eau, toujours en sens giratoire, mais où l’eau ne risque pas souvent le coup d’œil. Question à un « franc troué » : qui a eu l’idée folle de la trémie ? Il faut lui ériger un monument à la gloire de son génie ! La trémie, malheureusement, ne règle en rien le problème de l’inflation du nombre de bagnoles. Perso, elle me donne le tournis. 
Le jardin public n’est plus ce qu’il était. Il fut cadenassé des années durant. J’ai cru comprendre qu’il a été rouvert au public. Dans ce jardin, il ne reste que des arbres, dont l’allure est sinistre. Il n’y a plus aucune fleur. Rien que de l’herbe sauvage. Au fait, où est donc passée la stèle qui trônait, à l’époque, à l’entrée principale ? Ai-je dit que c’est le seul espace vert du centre vital ? Non. Alors, c’est dit, voilà ! L’ancienne place de l’église est restée en l’état : une place désespérément lugubre, où des retraités de tous âges se retrouvent pour jouer au domino. Attention, c’est une aire sans relief, qui borde la mosquée centrale. Cette plage est livrée à elle-même. Qu’est Tizi-Ouzou devenue ? Une ville qui s’enfume de trop de gaz des voitures. Qui rapetisse de trop de monde. Qui s’enrhume au premier orage. Qui perd jusqu’au sens noble d’une ville. Tizi-Ouzou n’a plus de ville que le nom. Et encore !   Avant, le scoutisme était une institution. Il n’y a plus de groupe El Hillel. Encore heureux, l’Association des anciens scouts perpétue le souvenir d’un temps épique qui n’a plus rien d’épique. Malheureusement, la biologie fait son œuvre. De plus, il n’y a plus de cinémas. Le Mondial (ex-Bousquet) s’est transformé en cinémathèque, qui n’attire guère de monde. J’en ai déjà parlé dans une de mes chroniques précédentes. L’Algeria est définitivement clos, comme certains de mes horizons. Le Studio (ou Le Régent) est une ruine. Autant ne pas parler de cinéma à Tizi-Ouzou ! Il y a bien Le Djurdjura (ex-la salle des fêtes) qui renaît de ses cendres dans un délai qui n’a plus de délai. 
Puis les « houmate » ont toujours leur frontière. Aïn Hallouf a retrouvé sa fontaine d’antan, elle coule sans discontinuité, sans que son eau soit potable. Un kiosque a été érigé, c’est tant mieux. Ça permet quelques parties de palabres ou de dominos. Lalla Saïda n’a pas bougé avec son antique mosquée, sauf que le nom de celle-ci a changé, sans raison convaincante. Pour moi, elle demeure Lalla Saïda où j’ai appris quelques rudiments de la langue arabe. Zellal est une houma qui ferme, si j’ose dire, la marche vers le piedmont du Belloua. Puis, il y a la Carrière. Les Genêts. Le centre-ville. Tabnaâlit et son rossignol, le regretté Samy. Houmet Ljamaâ Zitouna, où est donc Rachid Mesbahi. Le boulevard du Nord et ses interminables parties de foot. Paix à ton âme Mamy ! Aïn Soltane. Loumazert. Les Cadis. Tazouguert. Et j’en oublie. Chacune de ces zones est une « république » en elle-même, avec ses codes et ses façons de faire. Le tout forme une entité solidaire. 
Je sais que l’esprit « houmiste » n’existe plus depuis un certain temps. Ça peut être une bonne chose. Puis, il y a tellement d’écoles, actuellement. Alors qu’auparavant, il n’y avait que l’école Jeanmaire à Aïn Hallouf, dite « école indigène » et l’école en bas, pour le reste de la population. Il y avait bien une école maternelle. Perso, je n’y avais pas eu droit. En tout état de cause, on a changé ma ville. Je n’y retrouve plus les odeurs d’antan ni les camarades de l’époque. Où sont la zalabia de Bouriche, le « créponné » de Johnny ou la « gazouze » de Kabylia ? Où sont les veillées scoutes du 27e jour de Ramadhan ? Où sont les matchs interquartiers ? Où est le civisme ? Où est l’amitié ? Il ne reste dans mon crâne velu de vertige qu’une nostalgie tenace qui tape comme une méchante migraine.
Y. M.

 

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