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Rubrique Tendances

Lignes parallèles

Cette fois-ci, j’ai pu coincer mon « brain-trust » dans mon café habituel. J’ai été content de les retrouver. Punaise, il me faut reconnaître que j’avais vraiment besoin d’entendre leurs commentaires, qui relèvent d’un bon sens paysan. Sans fioriture. Sans intellectualisme. Sans langue de bois. Et avec beaucoup de recul et de dérision. Dans ces moments épiques, il faut savoir décompresser ; pour ça, je vous promets que mes vis-à-vis savent y faire. Après les salamalecs d’usage, ils prennent place autour d’une table, aussi branlante que l’Algérie. Autant dire qu’en termes d’équilibre et de centre de gravité, il faut repasser. On laisse passer. Ce n’est rien. C’est l’Algérie, comme il est coutume de le dire, à tous les niveaux. On fait du social, même avec les tables de café. Quel est le pays qui réussit à accomplir ce miracle ? Hein, dites-le-moi ! «Wech techerbou ?» Deux cafés pour Moustache et Gougou. Un thé pour le chiqueur. Une tisane pour le ventripotent, amateur impénitent de « douara». Un Ben Haroun pour moi. 
«Ihi, ça va ?», demande le ventripotent. J’entends Moustache forcer le chat de gouttière, coincé au fond de sa gorge, à déguerpir. Voilà, c’est fait. Il répond, un brin désabusé : « Si jamais tu rencontres un «sava» au coin  de  la rue, tu me l’envoies, a gma ; ça m’intéresse. J’ai beaucoup de questions à lui poser. Car il s’est fait rare, à titre personnel et à titre collectif. J’ai cru comprendre que « sava » a brûlé la mer vers Fafa. Et qu’il gère un bistrot à Barbès… » 
Le ventripotent n’est pas désarçonné pour autant ; il revient à la charge : « Tu vas couper la chique à notre chiqueur. Tu fais de la philosophie à deux sous. Comme si tu remontais de l’eau avec un tamis ; c’est du kabyle en français, a winnat. Tu peux te permettre une seule réponse : «Oui, «ssavvaaa». Non, «saan’vaa’paaa». Le reste, ya digourdi, c’est de faire de l’esprit pour rien.» Personnellement, je ne pipe mot. J’ouvre grandes mes esgourdes. Je suis là pour écouter. Tâter la température. Puis, je n’ai pas envie de me faire reprendre par l’un ou l’autre de mes compagnons dans cet estaminet du siècle dernier. Je sais que l’un d’eux tentera de me mouiller ; mais, je resterai neutre nchallah. Moustache se force à rire ; je sens un rire à crédit ; car, au fond, il n’a pas vraiment envie de rire ; depuis le 22 février, il n’a plus le cœur à rire. Il tente, tout de même, de se défendre : «Avec toi, j’ai tous les droits, parce que tu es un pote. Je réitère mon souhait ; si jamais, balek, tu as le bonheur de te trouver face à face avec «sava», tu lui donnes mon adresse. Non, mon numéro de portable. 
A défaut de le voir, je connaîtrais le son de sa belle voix. J’ai vainement attendu de le voir ; il est comme la « lune de l’Aïd », qui se fait drôlement désirée. Et si j’ai envie de philosopher, tu ne vas pas m’en empêcher, tout de même… » A ces propos, le garçon de café arrive avec la commande ; je me suis marré quand j’ai vu son petit doigt baigner dans la tasse de thé. Un thé avec le goût de l’auriculaire, ça doit avoir un goût incroyable. Je ne dis rien, de peur de créer un esclandre. Le serveur est une armoire à glace. J’imagine la casse. Entre-temps, le chiqueur passe un doigt à l’intérieur de sa lèvre supérieure et enlève une «refda» volumineuse. Zaâma, sans «smir » ! Juste avant de laper une gorgée son breuvage, il passe son petit doigt sur la manche de son veston. Vous voyez, d’ici, la scène. Puis, il intervient, avec un brin de nervosité, un peu à l’algérienne : «Ssavvaaa et saan’vaa’paaa…» Il y a les deux. Comment n’arrivez-vous pas à les voir ? «Eux», ils sont ssavvaaa. «Nous», on est saan’vaa’paaa. «Eux » font leur boulot. «Nous», on se chamaille, comme des… Parce que le Raïs est parti, vous pensez que ssavvaaa… Non, c’est le contraire ! C’est maintenant que les problèmes commencent. Chaque vendredi, on bat le pavé. Partout en Algérie ! Chaque vendredi, ils se reposent au Club. Et le samedi d’après, ils gèrent. Ou ils font semblant de gérer. J’ai vu des ministres, ils sont ministres n’est-ce pas ? promettre des choses, ici et là. Ou ai-je la berlue ? J’ai même vu le Président par intérim recevoir le ministre des Affaires étrangères ; ça parlait de Libye, ça barde chez eux. Saha, quelle est la solution chez nous ? Combien allons-nous marcher comme ça ? Jusqu’au 4 juillet ? Après cette date ? Toute l’année ? Et l’année d’après ? Rien n’est fait, c’est maintenant que ça commence. » 
Le chiqueur a installé un petit silence ; ce qu’il dit est logique. Que faire maintenant ? Mais je ne me mêle pas de la discussion. Je laisse faire. Comme mes compagnons, je suis sidéré par ce dialogue de sourds entre l’Algérie populaire et l’Algérie officielle. L’une crie à n’en plus pouvoir : «Irouhou gaâ !» L’autre s’accroche et applique le 102 constitutionnel. Allez réconcilier l’irréconciliable ! Gougou, ayant fini de gratter son crâne d’œuf, dans un sursaut, intervient : «Là-haut, ils ont leurs représentants : un Président, un Premier ministre, un chef de l’armée, un Parlement, un Sénat, la police… En bas, il y a un peuple qui n’arrête pas de marcher, comme s’il s’agissait d’un vendredi de défoulement. Juste après la prière collective, le peuple marche. 
Banderoles en l’air. Drapeaux. Slogans. Beaucoup d’humour. De bonhommie. De sagesse. Le peuple défile. Quelque part, ça me rappelle le jour de l’indépendance, un certain 5 Juillet. Le peuple défilait ; le pouvoir s’entredéchirait entre l’intérieur et l’extérieur. Comme deux lignes parallèles ! Il se passe la même chose, aujourd’hui. Car le système est loin d’être fini. Il se renouvèle. Il a de la ressource. Comme un chat qui retombe toujours sur ses pattes. S’il est en équilibre précaire, il saura se redresser. Mais le peuple n’arrive pas à choisir ses représentants. Ses ambassadeurs. L’horizontalité populaire ne donnera rien, je suis désolé. Une révolution doit être pyramidale. Ou elle ne l’est point. » C’est vrai que Gougou a été, dans une autre vie, maire d’une commune algérienne. Et d’un parti d’opposition. Il a su mener sa barque. Même si après un mandat de 5 ans, il s’est retrouvé à l’hôpital. Il ne garde de cette période aucune rancune. Parfois, il ressent un chouia de colère. Contre l’administration wilayale. Contre la gestion des projets sectoriels. Contre le peuple, également, qui n’a pas su reconnaître, au bon moment, la tâche titanesque d’un élu du peuple, abandonné à lui-même. Au sous-développement. A la misère ambiante. Au terrorisme du moment. 
Il est à remarquer que tous les journaux consacrent des pages entières à cette révolution du sourire. Sourire qui se transforme graduellement au rictus populaire. Parfois, je me dis qu’il suffit de changer de date aux journaux ; le reste ne connaît pas d’évolution. En attendant, la Télévision nationale consacre une émission politique au hirak soudanais. Le feu est chez nous ; notre télévision tente de comprendre l’incendie soudanais. Ou comment détourner le regard sur notre  malheur !
Y. M.
 

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