Kabylie Story : Kabylie Story
Epilogue : Que sont les racines sans l'arbre ?



Par Arezki Metref

Merzouk est sur les genoux. Apr�s une quinzaine de jours � d�ambuler par monts et par vaux, de jour comme de nuit, le p�riple finit. Les plus belles choses ont un terme. On quitte Tizi-Ouzou en direction d’Alger, en rem�chant cette m�lancolie des d�parts. Tout est all� peut-�tre trop vite, peut-�tre pas assez. Apre, dense, ce voyage est � la fois un p�lerinage et une d�couverte.
P�lerinage � travers ces racines qui ne sont rien sans l’arbre qu’elles plongent dans la terre. D�couverte des transformations que la Kabylie subit, � l’image de toutes les r�gions d’Alg�rie, voire du monde, dans ses singularit�s comme dans ce qu’elle a de commun avec le reste. P�lerinage dans l’authenticit� mill�naire d’une culture qui a surv�cu aux cataclysmes des r�pressions et des amn�sies, aux d�nis et aux impostures. D�couverte d’une contr�e en fusion, synchrone avec une modernit� qui est loin d’�tre un slogan creux, travaill�e par le besoin d’�tre de son temps. Racines. Arbre. Ces deux mots m’ont poursuivi tout au long de ce voyage en Kabylie qui est aussi un voyage � l’int�rieur de moi-m�me. Quand on parcourt le monde dans une effusion avec d’autres cultures, on revient souvent � ces racines que sont un espace g�ographique, une langue, des traditions, une fa�on de dire et de se taire. Que suis-je donc venu chercher en Kabylie ? Rien de concret. Ou plut�t, ceci : ces singularit�s, ces sp�cificit�s, ces particularismes qui tiennent autant de l’Histoire que du pr�sent. J’ai senti les fleurs. Elles avaient le parfum de l’hiver de chez nous : frais et rebelle. J’ai rod� dans les olivaies, mont� les raidillons qui m�nent aux nids d’aigles sur lesquels sont juch�s les villages c�lestes, bu du caf� au go�t d’�ternit� dans des salles sombres et enfum�es mais o� plane comme l’ar�me d’antan, ce temps de la nostalgie d’une Kabylie dress�e sur ses valeurs comme un chevalier sur son cheval. J’ai �cout� les histoires de gens merveilleux de simplicit� et de grandeur anonyme, les l�gendes qui fondent une culture de l’irr�dentisme, interrog� les m�moires vivaces des temps o� l’espoir germait dans chaque geste des hommes simples. Je me suis �merveill� de tant de diversit� dans les paysages, chez les gens, dans les id�es. Je comprends mieux cette singularit� : cet amour farouche de l’ind�pendance. Je connaissais bien s�r la Kabylie, j’en suis. Mais, pour une fois lors de ce voyage, je l’ai vu, dans la continuit�. Je n’avais jamais pris le temps d’entrer dans la peau de l’errant, de mettre mes pas sur ceux de Si Mohend ou M’hend, avec ce ressort � l’�merveillement, cette disposition au partage des sensations et aux coups de cœur. Jusque-l�, je n’avais accost� la Kabylie qu’avec les lunettes du natif de tadart qui ferme les yeux sur tout pourvu que cela s’explique par la tradition ou, � l’autre bout du spectre, muni de ce compas politique qui n’indique rien d’autre que ce � quoi — peut-�tre — la Kabylie veut �chapper : cette surpolitisation qui finit pas faire peur. Je ne voulais pas, pour toutes sortes de raisons, aborder la question politique parce que la Kabylie pol�mique n’est qu’une Kabylie parmi d’autres. Et elle n’�tait pas la mienne. J’ai fini par le faire, sur la fin, sous la pression des �v�nements, dans la tension de l’affrontement avec un r�el retors. J’ai d�, contraint et forc�, toucher donc � cette Kabylie pol�mique qui divise, morcelle, fragmente. J’ai d�, pour un temps, descendre du nuage pour aller dans cette ar�ne o� les gladiateurs ressemblent aux spectateurs dans la d�termination et la force de frappe. Et, in�vitablement, ce qui devait arriver arriva. Comment expliquer cette �nigme r�dhibitoire : pourquoi je m’aventure � avoir un regard sans rendre compte � ce que je regarde ? J’ai parcouru une infime petite partie de la Kabylie plut�t avec un b�ton de sourcier, vibrant � l’approche de l’eau. J’ai vu, en fait, cette chose toute b�te, toute simple mais qui vaut sacr�ment le coup d’oeil : une cr�te � partir d’une autre cr�te. Merzouk est soucieux. On traverse Bordj-Mena�el, dans l’autre sens. Je repense � cette premi�re �tape � laquelle je m’�tais arr�t� une quinzaine de jours plus t�t. Tout est encore � sa place. Dans la voiture, je repense � tous les endroits que je viens de visiter, � toutes les personnes que je viens de rencontrer et, pour certaines, de retrouver, parfois apr�s de longues ann�es d’absence. Je repense aussi � ce que je m’attendais � voir en Kabylie et � ce que j’ai vu, entendu et lu. Depuis la toute premi�re parution, j’ai re�u beaucoup de courriers, de coups de t�l�phone. Des r�actions � chaud, certaines amicales, d’autres v�h�mentes. J’�tais loin de m’imaginer que cela produirait une telle connivence avec certains et une telle passion contraire chez d’autres. Je ne pensais pas que ce qui me remuerait toucherait autant et que beaucoup le diront dans l’imm�diatet�, sans gants. Je tiens � laisser parler ceux qui m’ont suivi de loin, avec nostalgie, avec �motion, d�sapprouvant ou d�non�ant carr�ment les rives que je visite. Que disent-ils, que nous disent-ils de ce que j’ai pu dire ou taire ? R�actions Rachid K., qui fut longtemps enseignant � Bordj Mena�el, me fait ce petit mot : “Merci pour ces br�lures salvatrices dans la grisaille d'Aubervilliers, merci de m'avoir fait visiter Bordj comme si j'y �tais retourn�. Tr�s impatient pour les prochaines immersions.” Idir Abdi me dit qu’au “lieu de commencer par Bordj-Mena�el, vous auriez d� commencer par les zouawa de Bouzar�ah ou par les Kabyles de Corso ou d'El-Harrach ; ces contr�es � l'arriv�e des Fran�ais, c'�taient des Kabyles.... Et d'aller du c�t� de Blida jusqu'� Mostaganem, c'est la Kabylie du Dahra. A l'est, on se dit kabyle jusqu'� la Kroumirie de Tunisie et au-del�.” Mokrane Selhi �crit, lui : “Votre article sur Azazga, ma ville natale, a r�veill� en moi une multitude de doux souvenirs d'enfance; lorsqu'on a la chance d'avoir v�cu son enfance dans cette jolie petite ville provinciale, il est �vident qu'� la simple �vocation du nom d’Azazga, une immense nostalgie vous envahit. (…) Je voudrais vous rassurer sur votre m�moire, car elle ne vous a pas jou� de tour quant � la question du cin�ma. En effet le Radio-Cin� (pour nous le cin�ma de Si Loun�s Djadi) est effectivement mitoyen � l'atelier de notre grand Challal ; mais, pendant la saison d’�t�, en raison des chaleurs caniculaires, Si Loun�s faisait ses s�ances de cin�ma en soir�e, en plein air, dans la cour d'un caf� (aujourd’hui caf� Ch�ar'a) situ� � quelque 300 m�tres de l’�glise, � c�t� du jardin public.” On me reproche de n’�tre pas pass� par tel village, � l’instar de ce lecteur qui signe “Un Kabyle de North Pacific, Western Canada” : “J'ai suivi, d�s le d�but, par le biais de votre journal, Kabylie Story, et votre p�riple � travers la Kabylie. C'�tait bien ce que vous avez fait. Arriv� � Tazmalt, fronti�re avec une r�gion kabyle (sauf pour vous), vous sautez vers la Kabylie maritime. J'avais cru � l'honn�tet� professionnelle, mais h�las... on consid�re encore que la Kabylie se limite � son village, Tizi et B�ja�a. Any way, vous �tes libre d'�crire ce que vous voulez. On ne peut changer nos r�flexes.” Samira m’�crit ceci : “J'ai vraiment appr�ci� votre article sur le village A�t-Zikki, � quand un article sur le village Boudjellil ?” Et le reste � l’avenant. J’aurais voulu avoir une r�ponse satisfaisante � chacune des questions qui m’ont �t� pos�es et � chaque question que je continue de me poser. Il y aurait plus de 4 000 villages en Kabylie. Il est impossible de les visiter tous. Il a fallu choisir, en fonction du temps, des conditions de la r�alisation du voyage, de la m�t�o. Quels qu’aient pu �tre les crit�res de choix, je n’aurais pu visiter qu’une quinzaine de lieux sur ce nombre faramineux. On peut me reprocher de n’avoir pas visit� “son” village. Je peux l’entendre. On peut le d�plorer, aussi. Mais que dire ? Les branches de l’arbre peuvent �tre dissemblables, mais elles ont toutes les m�mes racines. La parole peut �tre diffuse, mais elle se chante dans la langue de la m�re. La Kabylie a de singulier, d’abord ce d�sir de libert�. Cette libert� de parler de la libert� sans aucune imprimatur, pas m�me celle des hommes libres.
A. M.

Kabylie Story en livre
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Pour de plus amples informations, contactez : [email protected]



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2005/01/11/article.php?sid=17957&cid=24