Actualit�s : Contribution LA LAICITE EN ALGERIE Une id�e p�renne Par Tarek Mira * 2e partie et fin
A la veille du multipartisme, soit en l�espace d�un quart de si�cle,
l�on a assist� en Alg�rie � un double ph�nom�ne, aussi massif que
contradictoire, le d�voilement puis le revoilement de la femme
alg�rienne. Cette situation d�note jusqu�� la caricature les errements
et les contradictions du pouvoir alg�rien. Son personnel politique a
manqu� d�audace, prisonnier qu�il �tait de la formation et de
l�orientation de ses trois chefs, successivement Ben Bella, Boumediene
et Bendjedid (19). L�id�ologie arabo-musulmane, issue de l�Association
des ul�mas, organisation pr�conisant l�int�gration, a submerg� l�Etat
national souverain, port� sur ses fonts baptismaux par le mouvement
ind�pendantiste radical, d�origine et de pratique la�ques (20). La
perspicacit� et le courage de Bourguiba en Tunisie, instituant un code
du statut personnel le 13 ao�t 1956 qui supprime la polygamie et
favorise l��mancipation de la femme, n�adviendra pas en Alg�rie. Un
premier constat s�impose : arabisme s�culier et islamisme forment les
deux faces d�une m�me m�daille et refusent conjointement la d�mocratie.
Nous risquerons une deuxi�me appr�ciation en soutenant que l�Alg�rie �
le Liban probablement aussi � est le pays le plus apte � conqu�rir la
modernit� parmi les Etats de la Ligue arabe. Cette notion de modernit�,
qui se conjugue avec l�autonomie individuelle si indispensable �
l�accomplissement d�mocratique et la�que, a manqu� de r�ussite politique
et historique au lendemain de l�ind�pendance avec la victoire du groupe
de Tlemcen appuy� par l�arm�e des fronti�res (21).
R�islamisation et r�sistance la�que
Galvanis�s par les infl�chissements du pouvoir et le triomphe de la
�r�volution� iranienne alors que s�ouvre le front afghan, les islamistes
veulent tout le pouvoir. Le souffle de libert� qui a emport� le mur de
Berlin ne se produira pas en Alg�rie. En moins d�un si�cle, les
perspectives se sont renvers�es. L�on est pass� de la modernisation de
l�islam (la Nahda en Orient et les l�Association des ul�mas en Alg�rie)
� l�islamisation de la modernit� chez les salafistes. Sur le plan
�lectoral, les r�sultats ont cr�� un choc terrible. Les premi�res
�ch�ances pluralistes � municipales de juin 1990 et l�gislatives de juin
1991 � ont donn� le FIS largement vainqueur. Ce parti islamo-int�griste
projetait d�instaurer un r�gime totalitaire pire que l�autoritarisme
pr�c�dent. Les pr�mices �taient d�j� annonc�es. Au nom de la
d�nonciation de l�injustice et de la corruption, les int�gristes
imposent leur magist�re moral. Les comportements la�ques sont vis�s
ostensiblement. Beaucoup d��tudiantes ont �t� vitriol�es durant la
mont�e en puissance de ce mouvement (22). Pourchass�es auparavant, les
forces d�mocratiques arrivent avec de grands handicaps sur la sc�ne
multipartiste. La division entre le FFS (Front des forces socialiste) et
le RCD (Rassemblement pour la culture et la d�mocratie) va accentuer cet
�tat de fait. L�interruption du processus �lectoral entre les deux tours
des l�gislatives, le 11 janvier 1992, par l�arm�e rajoutera de la
divergence entre les deux formations. A c�t� de ces dissensions
neutralisantes, la la�cit� est revendiqu�e, pour la premi�re fois,
publiquement, en Alg�rie. Sans doute pour des raisons tactiques, le FFS
parle de s�paration des champs politique et religieux, et essaye de
forger un nouveau concept : �l�Etat civil�. Cette position est moins
mise en avant � partir de la signature de la plate-forme de Sant�Egidio
(23). Quant au RCD, pris dans son combat contre l�an�antissement de la
nation (Oumma contre Patrie) si les islamistes prenaient le pouvoir, il
s�engage � fond pour sauvegarder les virtualit�s d�mocratiques de l�Etat.
La la�cit� est ainsi, par la force des choses, moins discut�e dans les
d�bats publics, mais toujours revendiqu�e en tant que telle. La notion
la�que est au c�ur du noyau identitaire de ce parti. Les communistes,
sous la d�nomination du PAGS (Parti d�avant-garde socialiste) du temps
du parti unique, et du MDS (Mouvement d�mocratique et social)
actuellement, ont longtemps lou� l�islam des pauvres, rappelant au
passage les rapprochements anti-colonialistes entre le PC et les ul�mas.
Ligne populiste, qui rappelle la d�marche du FLN, elle est abandonn�e
discr�tement ces derniers temps. Cette formation est la�que m�me si elle
ne le proclame pas publiquement (24). S'inscrivant dans un projet de
soci�t� d�mocratique et r�publicain, les divergences d'approche de ces
trois formations vis-�-vis de la menace islamiste ont, audel� des
divisions politiques et �lectorales, cr�� incidemment un d�bat mineur
autour des concepts de la d�mocratie et de la R�publique (25).
Aujourd�hui, on arrive en Alg�rie � une situation politique de stabilit�
dans le chaos. Doublement combattu � politiquement par le pouvoir, qui a
restaur� son autocratie, et id�ologiquement par les islamistes � le
projet d�mocratique voit se multiplier devant lui obstacles et
adversaires. Entre les deux p�les antid�mocratiques, les passerelles
sont nombreuses, notamment dans leur refus de la la�cit�. Leur
connivence se d�cline sur maints registres. La participation du MSP
(branche alg�rienne des Fr�res musulmans) au gouvernement depuis d�j�
une d�cennie et, plus r�cemment encore, la mise en place de �La charte
pour la paix et la r�conciliation nationale� sont les manifestations les
plus patentes de cette collaboration (26). Le r�f�rendum sur cette
charte consacre en r�alit� l�autoamnistie : l�impunit� aux terroristes
et le pardon aux forces de l�ordre durant la �sale guerre�, au d�triment
de la v�rit� et de la justice. Immense paradoxe o� l�islam politique est
vaincu mais s�imposant comme force-pivot, et o� l�islam social
s�enracinant davantage dans les m�urs, alors que le combat des femmes en
faveur de l��galit� des droits commence doucement � porter ses fruits.
(27). Est-ce pour autant la fin du s�cularisme ?
En guise de conclusion
A l�image de la trajectoire du Mouvement national et de la construction
de l�Etat souverain, les conceptions la�ques et religieuses ne cessent
de s�entrem�ler, de se confronter et de cr�er entre elles une paix
relative. La mont�e en puissance du camp conservateur et r�actionnaire
(pi�tiste, salafiste et djihadiste) au fur et � mesure du bouleversement
d�mographique, durant au moins trente ans, ne met pas fin � des coutumes
et attitudes la�ques. La baisse du taux de f�condit� jusqu�� menacer le
renouvellement des g�n�rations, gr�ce notamment � la contraception, est
l�une des preuves les plus tangibles de ce ph�nom�ne. Une forte
tradition s�culi�re du pays, une pratique sociale qui se laisse
influencer par l�environnement mondial, une revendication partisane �
drapeau d�ploy� et un fonctionnement institutionnel qui prend en compte,
peu ou prou, les conventions internationales, sont autant d��l�ments qui
maintiennent socialement et politiquent plus qu�une pr�sence la�que. La
la�cit� est finalement une id�e jeune dans le d�bat politique national.
Combattue injustement par les tenants du pouvoir et sournoisement par
les islamistes en tentant de l�assimiler � l�ath�isme, le sort de cette
philosophie est li� � la d�mocratisation des institutions et de la
soci�t� alg�riennes. Dans cette longue et exaltante bataille, les
combattants des Lumi�res ont besoin de plus d�attention, sinon de
solidarit�, de leurs pairs � travers le monde. Consubstantiellement
m�l�s, la d�mocratie, les droits de l�homme et la la�cit� sont
indivisibles id�ologiquement et g�ographiquement.
T. M.
* Secr�taire national aux relations internationales du RCD
(19) Ben Bella a �t� proche des milieux nass�riens. Arabiste, il ne sent
pas loin des th�ses islamistes qu�il �pousera volontiers � sa sortie de
prison l�ann�e 1980. Boumediene est form� � El Azhar. Bendjedid est
moins marqu� que ses pr�d�cesseurs mais se laisse aller au
conservatisme. Son livre de chevet est de Maurice Bucaille : Le coran,
la bible et la science , Ed Seghers, 1976, qui pr�tend d�montrer la
scientificit� et la sup�riorit� du coran. Plusieurs r�pliques ont �t�
formul�es � l�encontre de ce livre. La derni�re, de mani�re partielle, a
�t� donn�e par Fouad Laroui : �De l�islamisme. Une r�futation
personnelle du totalitarisme religieux�. Robert Laffont, 2006, p. 24.
(20) Les rapprochements entre les ul�mas et les modernistes
ind�pendantistes en Afrique du Nord ont �t�, en partie, l��uvre de
l��mir libanais, Chekib Arslane. Ce dernier a rencontr� plusieurs fois
Messali Hadj, � Gen�ve, o� le Levantin a �lu domicile, dans les ann�es
1930. Le Libanais a jou� un r�le d�terminant contre le Dahir berb�re, au
Maroc, en 1931. Il termina sa carri�re comme collaborateur des forces de
l�Axe durant la Seconde Guerre mondiale.
(21) De par sa composante sociologique et son orientation politique, le
groupe de Tizi-Ouzou � compos� des Wilayas II, III, IV, la F�d�ration de
France, les syndicats � et soutenant � bout de bras l�autorit� l�gale du
GPRA (Gouvernement provisoire de la r�publique alg�rienne) �tait plus �
m�me d�aller dans le sens d�une plus nette s�cularisation.
(22) Bien avant le multipartisme, les tentatives de soumission de la
soci�t� avaient d�j� commenc�. C'est ainsi que l'�tudiant Kamal Amzal a
�t� assassin� au campus universitaire de Ben-Aknoun, le 2 novembre 1982,
par des nervis islamistes.
(23) Initi�e par la communaut� la�que de Sant�Egidio, qui pratique une
diplomatie parall�le pour le compte du Vatican, la rencontre de Rome, en
janvier 1995, entre le FIS (Front islamique du salut), le FLN (Front de
lib�ration nationale), le FFS (Front des forces socialistes), le PT
(Parti des travailleurs), le MJN (Mouvement de la jeunesse nationale),
la LADDH (Ligue alg�rienne de d�fense des droits de l�homme), a abouti
sur une plate-forme commune �de sortie de crise�. Elle a re�u une fin de
nonrecevoir de la part du pouvoir et a �t� combattue par d�autres
formations telles que le Hamas (aujourd�hui MSP, Mouvement pour la
soci�t� et la paix), le RCD (Rassemblement pour la culture et la
d�mocratie), le MDS (Mouvement d�mocratique et social), la presque
totalit� de la presse ind�pendante, les associations f�minines et l�Eglise
d�Alg�rie.
(24) Apr�s avoir soutenu l�id�e du multipartisme au lendemain de
l�ind�pendance, le Parti communiste alg�rien s�est rang� ensuite du c�t�
de la r�volution socialiste de Ben Bella malgr� l�interdiction de leur
journal historique Alger r�publicain . D�non�ant le coup d�Etat contre
le pr�sident sortant en 1965, entrant m�me dans une organisation
clandestine �largie (ORP, Organisation pour la r�volution populaire,
avec la gauche du FLN), le PAGS, nouvelle appellation du PC, va se
rapprocher, en 1967, de Boumediene et sa politique anti-imp�rialiste. Du
coup, �a sera la seule formation tol�r�e en ce temps de grisaille
paratotalitaire.
(25) Ce d�bat est r�activ� en France de mani�re approfondie. Il est
principalement le fait de ceux qui consid�rent qu'il y a oubli de la
R�publique. R�gis Debray est celui qui a d�velopp� l'analyse la plus
radicale en opposant de mani�re frontale r�publique et d�mocratie. In
Blandine Kriegel : Propos sur la d�mocratie, essais sur un id�al
politique . Ed Descartes et Cie, 1994, page 14.
(26) L�une des cons�quences de cet accord entre le r�gime et les
radicaux islamistes, groupes arm�s compris, est le retour de l�appel �
la pri�re � la t�l�vision. Quant � Bouteflika, il annonce la
construction de la plus grande mosqu�e du monde � Alger, pr�cis�ment �
Mohammedia, ex-Lavigerie.
(27) L'ordonnance n� 05-02 du 27 f�vrier 2005 modifiant et compl�tant la
loi n�84-11 du 09 juin 1984 portant code de la famille a adouci quelque
peu la l�gislation pr�c�dente. Des concessions mineures ont �t�
conc�d�es, notamment l'�limination du devoir d'ob�issance de la femme
envers l'homme.
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