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Rubrique A fonds perdus

Hors de toute légalité

Shoshana Zuboff, universitaire, auteure du best-seller The Age of Surveillance Capitalism (L’ère du capitalisme de surveillance) ne croit pas que nous ayions réussi à tenir Facebook et Google en laisse, allant jusqu’à penser que nous n’avons même pas essayé de le faire.(*)
Accusant les géants du Net d’utiliser nos données personnelles «non seulement pour anticiper notre comportement mais aussi pour le changer», elle y voit carrément une «attaque contre la démocratie» que nous échouons à contrecarrer.
Rappelant l’appel de Nick Clegg, qui dans un entretien accordé à la BBC à la mi-juillet avait appelé à de nouvelles «règles de conduite» concernant la vie privée, la collecte de données et autres pratiques sociales, soutenant toutefois qu’il n’appartenait pas «aux entreprises privées… d’établir ces règles» mais «aux politiciens démocratiques du monde démocratique de le faire», elle y voit rien de plus qu’une fuite de responsabilité : «La réponse de Facebook serait d’adopter une  ‘’attitude’’, et non pas de ‘’fuir’’, mais de ‘’défendre’’ les nouvelles règles. Pour une entreprise qui a farouchement résisté aux nouvelles lois, le message de Clegg visait à nous persuader que la page était tournée.»
Fuir ses responsabilités, «masquer des faits inavouables». Les géants du numérique font face à l’intrusion et la primauté du droit dans un espace jusque-là livré à leur seule volonté en invoquant la menace factice, toujours selon Nick Clegg, de rendre «presque impossible toute innovation réelle de la technologie», et en invoquant le spectre chinois : «Je peux prédire que… nous serons technologiquement dominés par un pays dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres.»
L’argumentaire technologique pour échapper à toute réglementation était déjà dans la bouche de  l’ancien P-dg de Google, Eric Schmidt, en 2011, lorsqu’il avait averti qu’un excès d’emprise du gouvernement entraverait stupidement l’innovation. Déclarant aller «plus vite que n’importe quel gouvernement», l’ancien patron de Google révélait une vérité qui déplaît aux juristes : les géants du Net ont toujours une longueur d’avance sur le droit, ce dernier peinant à mettre en adéquation les progrès technologiques avec les exigences d’une société démocratique. Bien mieux, la norme juridique donne l’image d’une vieille Mamie qui s’efforce de rattraper de jeunes et hyperactifs adolescents : en 2013, Larry Page, cofondateur de Google, a ainsi carrément accusé «les vieilles institutions comme les lois» d’empêcher la liberté de la société à «vraiment construire de grandes choses».
Pour Shoshana Zuboff, «cette rhétorique est un héritage d’une autre époque quand les barons de l’«âge d’or» des États-Unis de la fin du XIXe siècle, insistaient sur le fait qu’aucune autre loi ne pouvait prévaloir sur la «loi de l’évolution», les «lois du capital» et les «lois de la société industrielle». Comme l’historien David Nasaw l’a exprimé, les millionnaires prêchaient que «la démocratie a ses limites, au-delà desquelles les électeurs et leurs représentants élus n’osent pas s’aventurer, de peur que la calamité économique ne frappe la nation. Le capitalisme de surveillance obéit à une logique économique qui a détourné le numérique à ses propres fins.»
La faible emprise du droit sur les opérateurs du Net les autorise alors à commettre «parfois de terribles erreurs au détriment de notre vie privée».
Shoshana Zuboff invite à distinguer la technologie numérique d’une part, et le capitalisme de surveillance d’autre part : «Le capitalisme de surveillance n’est pas la même chose que la technologie numérique. C’est une logique économique qui a détourné le numérique à ses propres fins. La logique du capitalisme de surveillance commence par une revendication unilatérale, l’expérience humaine privée est une matière première gratuite qu’on peut produire et vendre. Il veut tout savoir de votre promenade dans le parc, de votre navigation en ligne et de vos communications, de votre course pour trouver une place de parking, de la voix que vous écoutez à la table du petit-déjeuner… Ces expériences personnelles sont traduites en données comportementales. Certaines de ces données peuvent être affectées à l’amélioration de produits ou de services, et le reste est valorisé pour sa puissance prédictive. Ces flux de données prédictives sont introduits dans des produits informatiques qui anticipent le comportement humain (…) Enfin, ces produits de prévisions sont vendus à des clients professionnels au sein de marchés qui font commerce de l’avenir humain. »
Google a, le premier, introduit cette logique économique (avant d’être rattrapé par Facebook, Microsoft et Amazon) « par le biais des annonces ciblées en ligne où le «taux de clics» était devenu le premier produit de prévision rencontrant un succès mondial, et les marchés publicitaires ciblés sont devenus les premiers marchés à faire de l’avenir humain leur spécialité».
Les retombées financières de telles pratiques – «conçues pour être indétectables et indéchiffrables» – n’ont pas tardé à apparaître : au cours des premières années de découverte et d’invention, de 2000 à 2004, les revenus de Google ont augmenté de 3.590%.
Ce «capitalisme de surveillance» a élargi son emprise à toute l’économie, « depuis les assurances jusqu’à la distribution, en passant par la finance, la santé, l’éducation et plus encore, sans oublier tous les produits «intelligents» et services «personnalisés».
Les marchés de l’avenir humain rivalisent quant à la qualité des prévisions et au-delà à leur pouvoir «d’ajuster et de conduire nos comportements vers les résultats les plus rentables», dans le passage de la surveillance à l’activation : «L’idée n’est pas seulement de connaître notre comportement, mais aussi de le façonner de manière à transformer les prédictions en garanties. Il ne suffit plus d’automatiser la circulation de l’information à notre sujet ; le but est maintenant de nous automatiser.»
Prospérant hors de toute légalité, le capitalisme de surveillance, par ailleurs qualifié de «capitalisme voyou», mérite qu’on lui oppose une «grande vision réglementaire» et législative, émanant «des guerriers d’une démocratie menacée: législateurs, citoyens et spécialistes, alliés dans la conscience que seule la démocratie peut faire prévaloir les intérêts du peuple».
Les lois sur la protection de la vie privée et la concurrence sont « toutes deux cruciales, mais ni l’une ni l’autre ne sont satisfaisantes ».
Et le droit n’a pas encore dit son dernier mot : «Les capitalistes de surveillance sont riches et puissants, mais ils ne sont pas invulnérables. Ils craignent la loi. Ils craignent les législateurs. Ils craignent les citoyens qui exigent une trajectoire alternative. Ces deux groupes sont liés dans l’œuvre de sauvetage de l’avenir numérique de la démocratie.»
A. B.

(*) Shoshana Zuboff, «It’s not that we’ve failed to rein in Facebook and Google. We’ve not even tried», The Guardian, 2 juillet 2019.
https://amp.theguardian.com/commentisfree/2019/jul/02/facebook-google-data-change-our-behaviour-democracy.

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