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Rubrique A fonds perdus

La raison esclave de nos passions ?

Notre raison est-elle esclave de nos passions  ? La question que se posent deux intellectuels anglais contemporains interpelle fortement, nous Algériens, en ces moments de Hirak et de marches. Ils se la posent à la faveur d’une revisite de la primauté de la pensée logique pure du philosophe David Hume. Ce dernier – il a vécu de 1771 à 1776 – est un important penseur des Lumières écossaises, fondateur de l'empirisme moderne (avec Locke et Berkeley), opposé à Descartes et aux philosophies considérant l'esprit humain d'un point de vue théologico-métaphysique.
Le débat oppose Julian Baggini, un philosophe britannique auteur de nombreux livres relatifs à la philosophie, écrits à destination du grand public, à son compatriote Sir Simon David Jenkins, écrivain et chroniqueur de presse pour The Guardian et The Evening Standard.
Le premier prend partie pour la passion, le second penche plutôt pour la raison.
Pour Julian Baggini, « la raison est finalement subordonnée aux passions » et cela n’a rien de péjoratif.
« David Hume savait déjà au 18e siècle que notre pensée est moins orientée par la logique et la raison qu'on ne le suppose. »
L’expliquer n’autorise cependant pas à le justifier : «C’est une chose d’accepter que la raison soit motivée par l’émotion, c’en est une autre de croire que cela devrait l’être. »
«Rien de ce que nous valorisons ne peut être justifié par la seule raison. Dans un monde de pure logique, il n’y aurait aucune place pour l’amour, l’art, la musique ou la philosophie. La raison ne nous donne aucune raison de vivre. Pour cela, nous avons besoin des «passions».
Non, rétorque Simon Jenkins : « Vous vous plaignez que la raison n'est pas motivante et donc esclave des émotions. Je le vois plutôt comme le cadre de toute activité mentale, et donc une boussole et un carburant pour l’action. Les motifs de notre action sont ancrés dans la psychologie de l'évolution, dans les instincts de survie, les rivalités, les amours et les loyautés. Cela ne fait pas de la raison leur esclave. »
Rappelant les recherches sur l’économie comportementale de Kahneman, lui aussi titulaire du Nobel d’économie pour ses travaux sur le poids des facteurs psychologiques dans la décision économique, il souligne « à quel point la raison est faible dans les décisions économiques (…) et le formalisme de l'économie mathématique si inutile ».
Au plan politique, Simon Jenkins refuse d’associer la « passion livrée à elle-même» à la démocratie et propose de séparer « le sens commun, fiable, du comportement spasmodique, instinctif et irrationnel ».
La passion dont les philosophes adeptes sont légion est à la base du génie « dans l'art et l'architecture, la croyance et l'imagination », mais elle est également le moteur de «presque toutes les violences, guerres et destructions ».
«Le cœur du problème est que vous semblez adhérer à la vieille vision platonicienne selon laquelle la raison et l'émotion sont en conflit, cette passion est l'étalon indiscipliné qui doit être maîtrisé par le pouvoir froid de la rationalité. »
Julian Baggini : « Je conviens que la raison n'est pas une finalité en tant que telle, mais un moyen de parvenir à une destination. Mais je n'accepterai pas que la raison ne joue aucun rôle dans la détermination de la destination. En décidant de la façon dont nous devrions agir, tant dans notre vie personnelle que dans la société en général, nos actions sont constamment soumises à des conflits entre passions et à une évaluation réfléchie de leurs conséquences, bonnes ou mauvaises. »
A ses yeux, nous traversons des moments critiques « où le discours rationnel en politique semble particulièrement vulnérable et où les préjugés tribaux et l’idiotie aveugle sont monnaie courante».
Il refuse toutefois d’abandonner totalement la raison : « J’admets qu’en politique, la passion est l’éléphant et que la raison est simplement son cavalier, pour reprendre la belle phrase du psychologue social Jonathan Haidt.(**) Mais le cavalier est notre meilleur espoir de conduire l’éléphant à des fins vertueuses. »
Simon Jenkins réitère son penchant pour la raison, mais il admet qu'il est « fantasmatique de prétendre qu’elle puisse constituer le fondement premier de nos espoirs, de nos ambitions ou de notre moralité» : « Le sentiment est ce qui nous donne des raisons de nous lever le matin, de faire preuve de compassion et de gentillesse, de nouer des amitiés et même de poursuivre des passions intellectuelles.»
« La raison empêche la passion d'être stupide et lui permet plutôt d'être intelligente. Mais la raison ne peut être son propre maître. Par conséquent, à moins d'être une servante, elle n'a absolument rien à servir. »
Julian Baggini persiste et signe : « Les émotions, les ambitions et la moralité d’un homme sont les préjugés et les instincts fondamentaux d’un autre. Je ne les négligerais jamais, encore moins de nier qu'ils sont souvent le moteur de l'action et de la décision humaines. Ils sont ce que nous avons hérité du règne animal et ils nous ont donné l’aptitude à survivre et à évoluer vers l’humanité.»
«L'émotion a une puissance continue dans le comportement social et le débat public (…) Ce qui me préoccupe, c’est l’idée que la raison, le concept intellectuel qui définit et distingue l’homo sapiens, devrait être considérée comme un cavalier sans direction, serviteur ou esclave d’instincts au plus profond de nous qui «donnent les ordres».»
A. B.

(*) Julian Baggini, Simon Jenkins , Is reason the slave of the passions ? , Prospect agazine, 4 mai 2019,
https://www.prospectmagazine.co.uk/magazine/is-reason-the-slave-of-the-passions-philosophy-hume
(**) Jonathan Haidt est psychologue social et professeur d'éthique à l'université de New York.

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