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Rubrique A fonds perdus

La souveraineté numérique est-elle possible ?

«Les infrastructures des réseaux d’information et de communication sont devenues des leviers décisifs dans l’exercice du pouvoir, sur lesquels les gouvernements comptent bien peser de tout leur poids », relève fort à propos le journal en ligne The Conversation.(*)
La Russie, tout comme la Chine ou l’Iran, étendent la sphère de leur souveraineté jusqu’au numérique. Si ces Etats ont toutes les raisons de le faire pour se prémunir des ingérences ou influences étrangères, cela risque, bien évidemment, de les couper du reste du monde.
The Conversation revient en profondeur sur cette problématique. Il rappelle d’abord que « la Russie œuvre depuis 2012 à l’augmentation progressive des contrôles nationaux sur les flux d’information et les infrastructures, dans une atmosphère de méfiance politique croissante à l’égard des mouvements protestataires à l’intérieur du pays et de ses partenaires internationaux à l’extérieur ».(*)
Les juristes s’attarderont, bien entendu, sur le socle légal d’un tel dispositif. Ce dernier a connu trois grands moments.
La loi fédérale n°242-FZ du 21 juillet 2014 relative à l'actualisation de la procédure de traitement des données à caractère personnel dans les réseaux d’information-télécommunication, en vigueur depuis 2016, oblige les entreprises traitant des données de citoyens russes à les stocker sur le territoire national.
La loi fédérale du 29.07.2017 n°276-FZ portant modification de la loi fédérale sur l'information, les technologies de l'information et la protection de l'information encadre l’utilisation des réseaux privés virtuels (VPN), proxys et outils d’anonymisation.
La volonté de contrôle et d’appropriation des l’espace numérique est encore plus affirmée depuis fin février 2019, lorsqu’un projet de loi dit « sur l’isolement du segment russe de l’Internet » a été adopté en première lecture à la Douma dans l’intention déclarée de répondre au « caractère agressif de la stratégie pour la cybersécurité nationale des États-Unis » adoptée en septembre 2018. « Le projet porte principalement sur deux points : le contrôle du système de noms de domaine (DNS, le système d’adressage de l’internet) et le routage du trafic, le mécanisme qui sélectionne des chemins dans le réseau internet pour que les données soient envoyées d’un expéditeur à un ou plusieurs destinataires », rappelleThe Conversation.
Pour y parvenir, le législateur russe préconise, d’une part, la création par la Russie de sa propre version du DNS et, d’autre part, l’obligation pour les fournisseurs d’accès internet (FAI) à montrer qu’ils sont en mesure « de diriger les flux d’information exclusivement vers des points de routage contrôlés par le gouvernement ».
Au titre du premier volet, il faut rappeler qu’aucune des douze entités actuellement responsables des serveurs racines du DNS n’est située sur le territoire russe. Par cette mesure, la Russie veut s’assurer que sa propre version DNS fonctionnera si les liens vers les serveurs situés à l’international sont coupés.
La seconde préconisation – des points de routage sous contrôle étatique – permet de « filtrer le trafic pour que seules les données échangées entre les Russes atteignent leur destination ».
Tel est le socle fondateur de la souveraineté numérique russe en construction et dont on s’assurera de sa vérité sous peu. En effet,un groupe qui réunit les principaux opérateurs télécoms publics et privés (piloté par Natalya Kasperskaya, la co-fondatrice de la célèbre entreprise de sécurité Kaspersky) a décidé de conduire un test – début avril 2019 – afin de couper temporairement l’internet russe du reste du réseau mondialisé et notamment du World Wide Web, pour présenter d’éventuels amendements au projet de loi qui demandait aux FAIs russes d’être en mesure de garantir leur capacité à fonctionner de façon autonome du reste du réseau.
Le dispositif russe recèle d’innombrables implications. Sur le plan technique, l’approche russe diffère de celle de la Chine « qui a pensé et conçu son réseau avec un projet bien précis de gouvernance centralisée en interne ».
La Russie compte plus de 3 000 FAIs, et une infrastructure ramifiée et complexe, avec de nombreuses connexions physiques et économiques avec l’étranger. « Dans ce contexte, est-il précisé, il est très difficile pour les FAI et les autres opérateurs internet de savoir précisément à quel degré et comment ils dépendent d’autres composantes infrastructurelles (points d’échange de trafic, réseaux de distribution de contenu, data centers, etc.) au-delà de leurs frontières », ce qui « pourrait conduire à des problèmes très importants – non seulement pour la Russie elle-même mais également pour le reste du monde ».
Sur le plan économique, une telle infrastructure s’annonce aussi complexe que coûteuse, dans un contexte de réduction de la dépense publique et de lutte contre la corruption.
Au plan politique, le souverainisme numérique comporte, en aval, des risques évidents pour les libertés politiques : « Le système devrait être supervisé et coordonné par l’agence de surveillance des communications de l’État, Roskomnadzor, qui centralise déjà le blocage de milliers de sites web – et notamment des sites d’information critiques. »
L’attitude de la Russie s’apparente à ce qu’un député à la Douma a qualifié de « Brexit numérique » avec tout ce que cela implique comme restrictions pour les simples utilisateurs dans leur connexion avec le reste du monde.
C’est pourquoi « les expérimentations isolationnistes en cours » sont jugées « plus que jamais imprévisibles ». 
A. B.

(*) «Souveraineté numérique : l’internet russe peut-il se couper du reste du monde ? Par The Conversation, 18 mars 2019.
https://theconversation.com/souverainete-numerique-linternet-russe-peut-il-se-couper-du-reste-du-monde-113516

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