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Rubrique A fonds perdus

Législations croisées

La volonté des Etats de contrôler les contenus du numérique touchant à l’ordre interne, quels que soient les lieux de leur émission et leurs supports, les contraint à sortir inévitablement de leurs territoires respectifs, dans une sorte d’extra-territorialités croisées. 
La Toile devient ainsi un espace d’enchevêtrement de droits nationaux. Ce qui était qualifié de «débordements inévitables» dans le cas des satellites à partir des années 1980 deviendrait un droit «incontournable» que s’accorderaient les Etats, à l’instar de ce qui nous vient de l’Inde ?
«Ces dernières semaines, la Haute Cour indienne de Delhi a ajouté un clou dans le cercueil d’internet tel que nous le connaissons actuellement. Le tribunal a rendu une ordonnance enjoignant à Facebook, Twitter et Google de supprimer certains contenus de manière globale, en invoquant le fait que ce contenu était diffamatoire en vertu du droit local en Inde», constate Dan Jerker B. Svantesson, professeur à la Bond University (*). Il revient sur la décision de suppression du contenu des médias sociaux en Inde pour traiter de la technologie de géolocalisation qui peut être utilisée pour bloquer le contenu en ligne dans une zone spécifiée du monde, permettant ainsi de gommer les spécificités des législations nationales.
La décision qui émane d’un pays de la Common Law est associée à une tendance inquiétante de «nivellement par le bas» de la liberté sur internet, parce que le champ de compétence invoqué par les tribunaux est global ou général. Il est exprimé ici une tendance accordant aux Etats le droit d’intervenir sur toutes les plateformes dès lors qu’ils se sentent menacés.
Si une telle approche est adoptée à grande échelle, «cela peut entraîne rune situation dans laquelle le seul contenu qui reste en ligne est celui qui respecte toutes les lois de tous les pays du monde», déplore le commentateur de la décision qui y voit une brique supplémentaire «dans le mur» de séparation.
L’intérêt de la jurisprudence indienne est qu’elle se fonde sur une lecture élargie des autres décisions prises dans ce sens partout ailleurs, en s’inspirant notamment de l'approche canadienne dans l’affaire Equustek, qui a consacré l’ordre donné par la Cour suprême du Canada à Google de supprimer un contenu de manière globale, ou encore une affaire australienne de 2017 dans laquelle la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud a statué que Twitter devait bloquer globalement toute publication future par un utilisateur spécifique.
Dans le même ordre d’idées, le juge indien fait référence à un arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans lequel elle conclut que la directive de l'UE sur le commerce électronique n'empêche pas les tribunaux des pays de l'UE d'ordonner aux sites de médias sociaux de bloquer ou de supprimer des informations à l'échelle mondiale.
Il est alors reproché à la décision de la CJUE d’appuyer la tendance indiquant clairement la position générale contre les ordres globaux comme étant la norme.
Dans l’affaire canadienne opposant deux sociétés commerciales, la juge Fenlon a conclu qu’un préjudice irréparable facilité par le moteur de recherche de Google ne pouvait être réparé à l’intérieur du Canada, que si Google bloquait les résultats de recherche sur tous ses sites Web partout dans le monde. « De sorte, précise-t-elle, que le processus judiciaire ne peut être protégé que si l’injonction empêche les personnes qui effectuent des recherches à partir de quelque pays que ce soit de trouver les sites Web ».
Ce faisant, la magistrate canadienne s’accorde compétence pour dire à Google : ma décision, en l’occurrence mon droit, garde pleine effectivité au-delà de mes frontières territoriales, aspirant ainsi à une extra-territorialité de droit.
Dan Jerker B. Svantesson soutient que la décision est, plus fondamentalement, «une  occasion manquée d'expliquer les technologies de géolocalisation» : «La technologie de géolocalisation peut être utilisée pour bloquer le contenu en ligne dans une zone géographique spécifiée. Cette pratique s’applique à un internet mondial tout en respectant les différences entre les législations. Dans le cas de l’Inde, elle pourrait constituer une alternative à un blocage global. Cependant, plus d'une fois, les tribunaux n'ont pas compris comment cette technologie fonctionne.» La cour a déclaré qu'aucune des plates-formes internet n'avait donné d'explication détaillée sur la manière dont le blocage géographique est effectué.
En conséquence, la cour aurait clairement mal compris l’impact du blocage géographique : «Si seul le géoblocage est autorisé pour l'ensemble du contenu, […] les informations incriminées seraient […] toujours accessibles depuis l'Inde, […] en accédant aux sites Web internationaux de ces plateformes.»
Lorsque le géo-blocage se fait par référence à des noms de domaine, les internautes peuvent en effet utiliser la version du site en question d’un autre pays et accéder au contenu. Cela semble être la situation envisagée par la cour. En revanche, avec la technologie de blocage par géo-localisation, le contenu est adapté à l’emplacement de l’utilisateur, quelle que soit la version du pays où le site est utilisé. «Il est extrêmement regrettable que la cour n’ait pas été contrainte de comprendre cette distinction importante», déplore encore l’auteur de l’étude. Ce qui ne l’empêche pas de souligner certains aspects positifs de la jurisprudence indienne : «Dans sa décision, la cour a clairement reconnu l’importance de la question du champ de compétence et des conséquences des ordonnances globales. La cour a également déployé des efforts considérables pour débattre de la jurisprudence du monde entier. C’est une étape importante si nous voulons une harmonisation globale de la démarche.» L’inconvénient de cette «harmonisation» est qu’elle risque de nous entraîner «dans une direction indésirable, avec des ordres de blocage/suppression globaux effectués en standard».
Le caractère souverainiste des décisions de justice ne fait pas l’ombre d’un doute : en l’espèce, les prévenus qui avaient évoqué des questions de droit international – comme la doctrine de la courtoisie, qui oblige les tribunaux à tenir compte de l’incidence internationale de leurs décisions – se sont vu sèchement éconduire. «Bien que la décision du tribunal indien soit actuellement en appel, il ne fait aucun doute que l’avenir d’internet est sombre en ce qui concerne le champ de compétence » (dixit des juges nationaux).

(*) Dan Jerker B. Svantesson
«India’s social media Content removal order is a nail in the coffin of the internet as we know it», *The Conversation*, 4 novembre 2019,

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