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COMPLEXE INTÉGRÉ DE TRANSFORMATION DE PHOSPHATE De mégaprojet à flop monumental

Considéré comme le « projet industriel du siècle », le complexe intégré de transformation de phosphate de Bir-el-Ater est, en fait, un échec cuisant pour les autorités algériennes et pour leurs partenaires chinois. Retour sur un des derniers scandales de l’ère Bouteflika.
Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Lundi 26 novembre 2018. Ahmed Ouyahia est à Bir-el-Ater, cité minière située à 90 kilomètres au sud de la ville de Tébessa, afin de signer un accord de partenariat algéro-chinois pour la transformation du phosphate. Pékin a mis sur la table 6 milliards de dollars pour le développement et l’exploitation de la mine de Bled-el-Hedba, la transformation du phosphate en acide phosphorique, la production d’engrais phosphaté et la transformation du gaz naturel en ammoniac.
L’accord était supposé lier, pour la partie algérienne, la Sonatrach et le duo Manal-Asmidal à un consortium chinois mené par Citic (le groupe qui a réalisé une partie de l’autoroute Est-Ouest) comprenant le Fonds sino-africain de développement et le Fonds de la route de la soie ainsi que le technologue Wengfu.
Le mégaprojet, qui s’étend sur quatre wilayas de l’Est algérien, devait permettre la création de
1 500 emplois directs et hisser l’Algérie au rang de grand producteur mondial d’engrais et d’acide phosphorique. Mais ce lundi 26 novembre, dans l’euphorie générale, personne ne remarque l’absence des dirigeants de Wengfu. Le groupe chinois, qui devait fournir la technologie pour transformer le phosphate, avait refusé de prendre part à la cérémonie de signature de l’accord de partenariat. En clair : le projet est tué dans l’œuf puisque ni la Sonatrach, ni Citic et encore moins Asmidal et Manal ne sont capables de produire un grain de DAP ou une goutte d’acide phosphorique. Les raisons du retrait de Wengfu sont encore très floues. Une source proche du groupe chinois a indiqué, il y a quelques mois, que Wengfu avait refusé de « cautionner un projet peu viable et non-rentable ». Le technologue avait pour objectif de produire des acides la mise en place d’un système d’extraction de l’iode et la production d’acides phosphoriques purifiées utilisées dans l’agroalimentaire et l’industrie automobile, des produits très rentables. Autre point conflictuel : le refus des autres partenaires de valider la réalisation d’un minéroduc, système de transport du phosphate brut par pipeline. La partie algérienne exige le maintien de la nouvelle ligne de chemin de fer. Une aberration pour les ingénieurs de Wengfu, le transport par wagon nécessitant une phase de séchage du phosphate particulièrement énergivore.
Bien sûr, aucun officiel ne prendra la responsabilité d’avouer à l’opinion publique que le projet ne peut être réalisé en l’absence d’une entreprise disposant de la technologie de transformation. En cette période préélectorale, il était important d’entretenir le mensonge afin de donner l’illusion qu’Abdelaziz Bouteflika était préoccupé par l’avenir économique du pays et qu’il pouvait encore briguer un nouveau mandat.
Il faudra attendre le 14 janvier 2019 pour que le P-dg de la Sonatrach avoue, du bout des lèvres, le départ de Wengfu. « Wengfu n’ont pas voulu investir, c’est tout. Ils voulaient entrer avec leur technologie et pas investir, ça ne nous intéressait pas. On veut quelqu’un qui prenne des risques avec nous. Dans notre business, on partage les risques », dira Abdelmoumène Ould Kadour lors d’une visite de travail à Ouargla. Le patron de la Sonatrach s’emmêle les pinceaux en tentant de justifier la sélection d’un remplaçant à Wengfu. « Si si, on en a un. On est en train de négocier, on est en train de choisir. On a presque choisi un .»
En fait, le nouveau technologue ne pouvait être que chinois puisque le crédit a été accordé par l’Algérie par des fonds publics chinois. Sauf que des groupes de ce type ne sont pas nombreux. Citic propose Yunnan Yuntianhua, une entreprise concurrente de Wengfu. Après avoir effectué des recherches, la partie algérienne refuse catégoriquement la proposition : une partie du capital de Yunnan Yuntianhua est possédée par Israel Chemicals…
Puis plus rien. Alger et Pékin ont attendu l’arrivée d’un détenteur de licence qui viendra sauver le projet. En vain. Ces dernières semaines, le ministère des Finances a décidé de clore ce dossier à cause, notamment, du mode de financement qui repose sur une garantie souveraine de l’Etat algérien.
L’investissement de 6 milliards de dollars consenti par les autorités chinoises est, en réalité, une dette. Rien n’a encore été annoncé officiellement mais le complexe intégré de transformation de phosphate est un projet mort-né. Un autre scandale à rajouter au bilan de l’ère Bouteflika.
T. H.

LAMINE CHOUITER, EXPERT DANS LE COMMERCE INTERNATIONAL DE MATIÈRES PREMIÈRES :
«En matière de phosphate, l’Algérie a perdu toute crédibilité»

Entretien réalisé par Tarek Hafid
Spécialiste dans le commerce international de matières premières, Liamine Chouiter dirige Melya Global Services, une société de consulting basée à Dubaï. Selon lui, le complexe intégré de transformation de phosphate de Bir-el-Ater était voué à l’échec avant même son lancement. Liamine Chouiter indique que le plus difficile sera de trouver de nouveaux partenaires pour mettre sur les rails une véritable industrie de transformation du phosphate.
Le Soir d’Algérie : Nous pouvons dire aujourd’hui que le projet de complexe intégré de transformation de phosphate est un échec. Cette situation était-elle prévisible ?
Lamine Chouiter :
C’est un échec programmé. Les concepteurs de ce projet ont vu trop grand. Miser 6 milliards de dollars dans un mégaprojet est un acte inconsidéré. Il faut comprendre que les entreprises chinoises n’ont absolument rien à perdre. C’est un financement de l’Etat chinois placé sous garantie souveraine de l’Etat algérien. Les entreprises chinoises devaient prendre 49% du capital de la société de droit algérien et construire les différents modules. Elles pouvaient gagner de l’argent immédiatement dans la phase de réalisation.
La dette sous garantie souveraine est un mode de financement risqué lorsque les parties ne sont pas fiables. Nous avons déjà eu un précédent. Le partenariat entre China National Petroleum Corporation et la Sonatrach est un exemple flagrant. CNPC avait obtenu deux blocs et en contrepartie elle s’était engagée à construire la raffinerie d’Adrar. La compagnie chinoise a finalement mis en vente ses parts dans cette raffinerie et la Sonatrach a été obligée de les racheter pour la nationaliser. Le projet de transformation de phosphate aurait pu connaître la même issue.
La concrétisation du complexe de transformation de phosphate a capoté à cause de l’incapacité de toutes les parties à trouver un bailleur de licence pour remplacer le groupe Wengfu qui s’est retiré à la dernière minute…
Ne soyons pas naïfs, Wengfu n’a jamais fait part de sa volonté d’investir en Algérie. Le groupe chinois s’est toujours présenté en opérateur technologue. Même au Togo, où il est partenaire avec le groupe israélien Elinito dans un projet de transformation de phosphate, Wengfu n’a fait aucun investissement. De son côté, Citic a accepté de s’engager dans le phosphate car ce groupe ne parvient toujours pas à récupérer le milliard de dollars de garantie déposé lors de la construction de l’autoroute Est-Ouest. Ce groupe a été imposé par Abdeslam Bouchouareb. Mais Citic n’y connaît rien en phosphate, au même titre d’ailleurs que la Sonatrach qui s’est retrouvée chef de file de la partie algérienne alors qu’elle est spécialisée dans les hydrocarbures.
Pourquoi Sonatrach s’est-elle retrouvée dans cette situation ?
Le gouvernement Ouyahia a imposé à la Sonatrach un dossier ficelé. Tout lui a été imposé : les partenaires, le budget, le process. Pour les partenaires étrangers, la Sonatrach est perçue comme un élément de confiance. C’est la seule compagnie qui dispose d’un minimum de compétence et de crédibilité. On aurait tort d’attribuer l’échec du projet de phosphate à la Sonatrach. Je rappelle que cette compagnie gère, dans le cadre du partenariat, deux sociétés de production d’urée et tout se passe plutôt bien.
Sur le plan commercial, le choix d’un partenariat algéro-chinois est également discutable…
C’est un très mauvais choix. La Chine est le premier producteur mondial d’engrais phosphaté et d’acide phosphorique. Vous pensez que les Chinois auraient placé les produits algériens sur leur marché ? Il est évident que non. Bon, disons que la société algéro-chinoise avait pour objectif d’aller sur les marchés africain, européen et latino-américain. Il aurait été très difficile de concurrencer les groupes marocain, tunisien, égyptien, jordanien et israélien ou encore le géant saoudien Ma’aden, qui est troisième producteur mondial. Produire de l’acide phosphorique et des engrais phosphatés est une chose, les commercialiser en est une autre.
Quelle serait la solution pour développer le phosphate algérien ?
Il faut, avant tout, en finir avec ces projets pharaoniques et aller vers le développement d’une industrie extensible en investissant dans des modules de taille moyenne. Il est très important de tisser des partenariats avec des investisseurs venus de pays qui assureront un débouché pour le produit final. C’est notamment le cas de l’Inde dont l’agriculture connaît un fort taux de croissance et qui importe chaque année 6 millions de tonnes de DAP. Ensuite, il faut revoir les modalités de financement. Il n’est pas forcément nécessaire de puiser dans le Trésor public. Un projet peut être bancable si vous parvenez à trouver des débouchés.
Donc il est peu probable que l’Algérie parvienne à transformer son phosphate dans un proche avenir ?
C’est, avant tout, une question de volonté politique. Voilà près de 30 ans que l’Algérie tente de lancer une industrie de transformation du phosphate. Tous les partenariats se sont soldés par des échecs. Il y a eu l’espagnol Fertibéria, le pakistanais Ingro, le géant indien Iffco, le qatari de QPI et son partenaire norvégien Yara puis, l’indonésien Indorama. Ensuite, du temps de Bouchouareb, il y a eu le scandale Radyolla, une entreprise fantôme dirigée par un Saoudien, ainsi que l’affaire du Français Roullier, qui s’était engagé à investir en Algérie et qui reste un des principaux fournisseurs de phosphate alimentaire destiné à l’élevage des ruminants. Maintenant, les autorités se retrouvent avec le dossier Citic-Sonatrach qui s’avère être un projet mort-né. Disons-le franchement : en matière de phosphate, l’Algérie a perdu toute crédibilité. Cette longue série d’échecs fait que plus aucune entreprise sérieuse ne souhaite venir investir dans un pays qui possède, pourtant, les quatrièmes réserves mondiales de phosphate.
La situation est catastrophique : l’Algérie est le seul pays qui vend son phosphate à l’état brut et qui continue à importer des tonnes d’engrais phosphatés pour son agriculture et du phosphate alimentaire pour ses élevages. Nous parvenons à extraire annuellement 1 million de tonnes et cette quantité est vendue à bas prix aux mêmes traders qui se sont enrichis sur le dos de notre pays. Rien n’a changé depuis des années. La volonté politique passe aussi par la création d’un ministère des Mines. Il faut arrêter de ballotter ce secteur entre le département de l’énergie et celui de l’industrie. Idem pour les entreprises du secteur qui sont totalement déstabilisées. Souvenez-vous de Ferphos, cette entreprise était minée par la mauvaise gestion et la corruption et a fini par être dissoute. Elle a été remplacée par Somiphos, sauf que cette nouvelle entité fait face à un manque flagrant de compétences. Prenons également Asmidal, cette entreprise passe, elle aussi, du secteur de l’industrie à celui de l’énergie et elle se retrouve actuellement dans le giron de la Sonatrach. Il est temps de stabiliser le secteur des mines, de former de nouvelles compétences et de se mettre sérieusement au travail.
T. H.

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