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ELLE «DEVRAIT» FOURNIR 50% DES PRODUITS HALIEUTIQUES EN 2020 Espoirs et déboires de l’aquaculture algérienne

Enquête réalisée par Abachi L.
Les Algériens et les Algériennes attendront encore très longtemps avant de consommer un petit peu plus de poisson blanc et crustacés que les habitants de quelques pays pauvres du tiers monde. La grande majorité des Algériens et Algériennes est, d’ores et déjà, totalement exclue de cette consommation au vu des prix pratiqués et de la rareté de ces produits sur le marché algérien.
Dans leurs plans successifs, bidouillés dans l’urgence, visant à faire face à la pénurie, les autorités du pays claironnent à qui veut les entendre que le développement de l’aquaculture est la seule alternative pour combler le déficit chronique que connaît le pays en matière de captation de la population animalière marine. Bien mieux, ces autorités sont sûres qu’il est possible de produire, en captivité, l’équivalent de ce qui est pêché actuellement, soit quelque chose comme 100 000 tonnes/an.
Cette idée a été lancée en 2001. Mais elle a complètement échoué. En 2015, elle a été remise au goût du jour pour permettre, selon ses concepteurs, d’une part, de combler le déficit du pays en produits de la mer et d’autre part, d’augmenter la ration des protéines d’origine marine des citoyens.
En la matière, l’Algérie est à classer parmi les pays africains pauvres et sans accès à la mer. Et pour cause, la consommation des Algériens – 4,5 kg par année par personne – ne représente que 45% de la moyenne annuelle africaine qui est de 10 kg par personne et par année. En clair, les producteurs et importateurs nationaux devront mettre encore 5,5 kg par année et par Algérien sur le marché national, s’ils veulent voir le pays rattraper la moyenne africaine. C’est impossible avant peut-être une dizaine d’années, voire beaucoup plus.
Explication : à en croire les statistiques du ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, cette institution a estimé la consommation des Algériens, en 2000, à seulement 3,63 kg/an/habitant. Il est évident qu’en 18 ans (2000 à 2018), celle-ci n’a évolué positivement que de 0,87 kg/an/habitant pour l’arrêter comme on l’a vu plus haut, à 4,5 kg.
A noter que le schéma directeur pour la pêche et l’aquaculture à l’horizon 2025 l’a arrêté à 6,5 kg/an/personne. Quand on la compare à la moyenne mondiale qui est, selon les statistiques de la FAO, de 20 kg par personne par année, celle des Algériens n’équivaut actuellement qu’à 22% de cette moyenne mondiale. L’écart est immense. Il se calcule annuellement par de centaines de milliers de tonnes. Il y a effectivement un énorme déficit à combler. Ce qui fait certainement de l’Algérie un marché annuel de 130 à 150 millions de dollars, uniquement dans le secteur de l’aquaculture.
D’après le schéma directeur cité plus haut, ce chiffre d’affaires (CA) sera de 13,2 milliards de dinars chaque année à partir de 2025. De plus, cette production envisagée est porteuse de perspectives pour fonder une économie nouvelle autour du secteur en question. En résumé, les pouvoirs publics veulent réduire le déficit, améliorer la consommation de la population et créer une industrie de l’aquaculture et si possible de la valeur ajoutée dans cette filière. Mais leur politique courante ne donne pas satisfaction et n’ouvre pas encore de grandes perspectives économiques de la filière au regard de l’énorme potentiel existant et étalé sur 1 280 km de rivage avec en sus un grand nombre de sites utiles à l’élevage des animaux marins.
Démonstration : en 2015, la Direction du développement de l’aquaculture du ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche a lancé un plan de développement à l’horizon 2020, intitulé «opportunités d’investissement en aquaculture». Par le biais de ce plan, les autorités assurent qu’une production de 100 000 tonnes par année sera atteinte ainsi que la création de 10 000 postes de travail.
600 projets sont prévus. Allant dans le détail, ce plan – dont le coût global d’investissement est évalué à 58 milliards de dinars –, prévoit 190 projets en aquaculture marine – 3 types d’élevage – pour une production arrêtée à 82 300 tonnes annuellement.
Dans le secteur de l’aquaculture en eau douce, il est également prévu 175 projets pour 4 types d’élevage pour une production de 15 500 tonnes. A cela s’ajoutent 132 projets intégrés à l’agriculture. Deux ans et demi sont déjà consommés et la production que nous a communiquée le directeur général de la pêche et de l’aquaculture (DGPA). Tahar Hamouche, ne donne que des miettes. Selon lui, 25 projets produisent présentement 12 000 tonnes.
En outre, à fin 2017, toujours d’après le DGPA, 50 projets sont en construction pour une production estimée à 24 000 tonnes. Les chiffres les plus optimistes placeraient la production de la filière de l’aquaculture algérienne à fin 2020 à 36 000 tonnes. On est très loin du compte. Cette quantité sera-t-elle atteinte ? Pas sûr à cause des difficultés que rencontrent les investisseurs. Nous y reviendrons.
Il y a lieu de rappeler que ce «Plan horizon 2020» est quasiment la copie conforme du plan quinquennal 2001-2005 dont les autorités tentent d’occulter l’existence à l’opinion publique parce qu’il a complétement échoué. Dans ce plan (2001-2005), ses concepteurs préconisaient un certain nombre de réalisations notamment la production annuelle de 36 000 tonnes, la création de 10 000 emplois directs et 60 000 autres indirects et surtout, de booster la consommation des Algériens pour la porter à 6,2 kg par personne et par année. A ces ratés, on peut y ajouter d’autres comme les dépenses en dizaines de milliards pour construire des infrastructures (les halles à marées par exemple) qui ne serviront à rien. L’échec est n’est plus à démontrer.
Par ailleurs, la croissance mondiale dans cette filière (aquaculture) est estimée à 8% alors que dans notre pays elle est carrément invisible. Mais alors qui est responsable de cet échec ? Car il est évident que c’en est un ? Qui se joue de la sécurité alimentaire du pays ? Est-ce les lobbyistes importateurs ? Est-ce des banquiers qui privent des promoteurs de financements de projets ? Est-ce l’inertie et les blocages de certains responsables locaux ?

Les promoteurs : «il y a une liste secrète de noms à écarter des crédits»
C’est la colère et la désillusion chez certains promoteurs dans le secteur de l’aquaculture avec qui nous avons discuté. Ils fustigent, en premier lieu, la Badr (Banque algérienne du développement rural) qui, selon leurs griefs, ne répond pas à leurs demandes de financement. Effectivement nous avions eu à lire dans un accusé de réception du dépôt d’une demande de crédit datée de 2016, que la réponse sera faite dans 45 jours. A ce jour, ce demandeur, et d’autres, n’a reçu aucune réponse. «Après 5 ans de bataille, j’ai pu avoir une concession. J’ai déposé une demande de crédit d’investissement il y a 3 ans. Depuis 15 mois j’attends toujours la lettre de crédit pour importer les équipements. J’avais prévu une production de 600 tonnes/an de loup et dorade, mais avec ce retard et l’augmentation des coûts des équipements, je suis obligé de revoir à la baisse la quantité de production», nous a révélé au téléphone Saïd Nacer Cherif, gérant de la Sarl Aquacape implantée dans la wilaya de Béjaïa. Par la suite, il nous a relaté les conditions draconiennes, financières notamment, que lui a imposées la BADR avant de donner son accord de principe (il n’a pas encore eu son crédit d’investissement.) D’après lui, les conditions imposées par cette banque mettront en rade la majorité des investisseurs qui l’ont sollicitée ; une trentaine, selon l’adjoint du P-dg de la Badr, Sid Ali Benyamina, chargé du financement. «Je pense que pas plus de sept demandeurs auront leurs crédits», assène le gérant de la Sarl citée plus haut.
C’est le cas de Djahid Derradj, créateur d’une entreprise d’aquaculture. «J’ai mis tous mes moyens et toute mon énergie dans la réussite de cet investissement, hélas la Badr en a voulu autrement», nous a confié amèrement à Seghirat dans la wilaya de Boumerdès où il s’est installé pour créer une ferme d’élevage de mollusques. Il a bénéficié d’une concession en 2010 pour un projet qu’il avait entamé en 2008. Nous avons constaté qu’il a ouvert une piste d’accès, procédé aux terrassements pour la construction de hangars et une chambre froide et surtout érigé, sur plusieurs centaines de mètres carrés en béton, les bassins d’élevage. Selon lui, un expert qualifié a estimé ces travaux réalisés à 71 millions de dinars. Ce qui, d’après lui, représente 40% de l’apport personnel alors que les conditions de prêt n’en exigent que 30%.
De plus, le comptable lui a calculé les bilans négatifs pour les exercices 2016 et 2017 à 4 163 151 dinars. Sa demande initiale de crédit de 166 MDA date du 29 novembre 2016.
«Pour ne pas être accusé de retard, j’ai remis à la Badr 7 variantes. J’ai effectué une première révision pour ramener le montant du crédit à 93 MDA. Par la suite, j’ai demandé aux responsables de cette banque seulement 62 MDA, juste pour ramener les équipements afin de lancer mon projet et de le rentabiliser rapidement.» Il y a deux jours, il a reçu officiellement le refus.
Juste avant cette notification négative, il nous a avoué : «Je ne crois pas à l’octroi du crédit sollicité auprès de cette banque, étant sur la liste noire sur laquelle sont portés les noms de ceux qui dénoncent les retards injustifiés et des agissements non réglementaires. Mon cas n’est pas isolé.»
Effectivement, d’autres promoteurs nous ont fait part des retards considérables restés sans réponses au sujet de leurs demandes de crédits.

Le DGPA/MADRP : «l’aquaculture est un secteur vraiment porteur»
Pour Tahar Hamouche, le directeur général de la pêche et l’aquaculture (DGPA), l’aquaculture est un secteur vraiment porteur «au bout de la première saison d’engraissement (18, 24 ou 30 mois ndlr) l’argent commence à rentrer. De plus, il y a un grand marché en Algérie qui garantit le développement durable de la filière». La Badr ne bloque-t-elle pas la politique du gouvernement qui veut le développement de l’aquaculture qui est un secteur devenu, pour plusieurs raisons, stratégique et surtout qui est porteur ? «Je crois qu’il y a un travail à faire en direction des investisseurs pour leur expliquer les règles. Comme ça quand ils les connaissent ils se préparent avant d’introduire leurs dossiers. Ils sont en droit d’avoir une réponse aux demandes de crédits qu’ils ont introduites. Le ministère sollicite très souvent la banque quand nous sommes informés de blocages à certains dossiers où les investisseurs jugent qu’il y a des blocages.»
Selon le DGPA, le ministère intervient également lorsque les investisseurs se voient refuser des simples domiciliations juste pour importer des équipements.

Le DGA chargé du financement de la Badr : «sécuriser et rentabiliser nos fonds»
«L’aquaculture est un secteur comme un autre. La pêche et l’aquaculture ne sont pas les secteurs les plus importants dans notre portefeuille d’investissement. Bien évidemment elles figurent dans notre nomenclature d’investissement et nous finançons les projets qui présentent plus de garanties conformément aux analyses bancaires.» C’est ce que nous a affirmé le directeur général adjoint (DGA) chargé du financement auprès de la Badr, Sid Ali Benyamina, lequel, il faut le souligner, n’a montré aucune réticence à répondre à toutes nos questions.

Le retard pour la réponse à la demande de crédit
Nous abordons avec lui le problème des retards que soulèvent tous les investisseurs dans l’aquaculture. Voici sa réponse. «Ce n’est pas spécifique à l’aquaculture. Cela nous renvoit à une caractéristique que nous constatons, et tous les banquiers vous le diront, il s’agit de l’insuffisance dans les dossiers déposés.
On a besoin de recourir à un supplément d’informations, d’actualiser les données et un certain nombre de choses. Sinon, il y a des promoteurs qui vous diront qu’ils ont eu des réponses avant le délai arrêté sur l’accusé de réception délivré au dépôt du dossier. Cela ne se voit pas mais cela existe.» Il précisera que la Badr traite entre 15 et 16 000 dossiers de crédits à chaque saison agricole.

Réévaluation des crédits
Les retards impliquent l’évolution vers la hausse des coûts de réalisation donc des crédits. «Pour être à jour des décisions, il y a une actualisation avant que le dossier ne soit présenté au comité de crédits. Parfois sans que le promoteur le demande.
On évalue s’il y a une fluctuation sur la devise. Cette réévaluation conséquente de la fluctuation de la devise est systématique. La réévaluation se fait au moment de mise en pratique effective du crédit voire même au moment des payements des équipements. Donc le montant du crédit est automatiquement augmenté. Maintenant si les fournisseurs changent eux-mêmes les prix des équipements, c’est un autre problème. Ce sont des informations que nous ne pouvons capter. Ce sont d’ailleurs des cas vraiment isolés. Le crédit est calculé sur la valeur actualisée du dinar.»

La bonfication des crédits
S’agissant de la bonification totale des crédits d’exploitation et pas celle d’investissements voici sa réponse : «C’est une information qui n’a pas bien fonctionné. Les crédits à l’investissement sont bonifiés comme le sont tous les crédits. Ce sont les dispositions de la loi de finances qui veut que tous les secteurs de production de biens ou de services soient bonifiés à des degrés différents et selon les régions (le Sud et les Hauts-Plateaux sont privilégiés ndlr). Les taux d’intérêt sont bonifiés à moins 2% sur une période de 5 ans dans les wilayas du Nord. La bonification pour deux cycles de production est à 100% pour un plafond de 170 MDA pour une production estimée à 300 tonnes/an. C’est le ministère qui a décidé de ces dispositifs.
La bonification de l’investissement est commune à toutes les autres activités, pour l’exploitation c’est spécifique à l’aquaculture.
On a une trentaine de dossiers dont les montants varient entre 200 millions et 1 milliard de dinars. Nous sommes signataires d’une convention qui place cette activité au cœur de la nomenclature du secteur qu’on finance mais la banque est devant une condition lancinante, elle a, en effet, un besoin de sécuriser et de rentabiliser les fonds. Si maintenant les dossiers entrent dans ce cadre et présentent des conditions de faisabilité, ils sont les bienvenus.»
Pour lui, il est anormal que l’on continue à poser des questions qui restent d’ordinaire dans les rouages du financement des activités industrielles. «Sans commentaire.» C’est sa réponse à l’assertion de certains investisseurs sur l’existence d’une liste noire de promoteurs à exclure des crédits.
A. L. 
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