Placeholder

Rubrique Actualités

Entretien avec Ali Kahlane, consultant en transformation et maturation numérique : «L’Algérie a pourtant investi des milliards de dollars dans les TIC»

Entretien réalisé par Mokhtar Benzaki
Malgré un investissement colossal ces vingt dernières années, le secteur des TIC en Algérie n’arrive toujours pas à émerger. Pire encore, avec une vitesse internet des moins rapides au monde, l’Algérie se classe à la 182e place sur 207 pays, selon le magazine économique américain CEO World. Ali Kahlane, consultant en transformation et maturation numérique et vice-président du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care) nous explique, ci-après, les raisons de ce paradoxe.


Le Soir d’Algérie : En termes de vitesse d’internet, l’Algérie se classe à la 182e place sur 207 pays, selon le magazine économique américain CEO World. Que vous inspire cette information ?
Ali Kahlane :
Il faut d’abord préciser que ce classement mondial est effectué tous les ans, depuis 2008, par le Measurement Laboratories (M-Labs), ce magazine n’a fait que le relayer comme le reste de la presse mondiale et algérienne d’ailleurs. Un test, développé en «open source» et créé par Vint Cerf, l’un des pères de l'internet, avec des contributeurs du monde professionnel et scientifique. Ces tests sont effectués d’une manière automatique et aléatoire à travers le monde entier. Ce classement montre clairement que l’internet mondial est en très bonne santé. Les vitesses moyennes sont en hausse de 20,65% par rapport à l'année dernière.
Ce sont les pays dont les débits sont les plus rapides qui élèvent cette moyenne. Ces derniers s’éloignent de plus en plus du lot de ceux avec les plus bas débits.
Parmi ceux-là, les meilleurs stagnent alors que le reste recule. C’est ainsi que l’année dernière, les cinq plus lents pays l’étaient 90 fois plus que les cinq plus rapides.
Cela a empiré cette année, pour être 125 fois plus lents ! C’est dire l’importance de l’écart qui se creuse d’année en année entre ces catégories.
L’Algérie fait, malheureusement, partie de ce dernier lot. Elle perd 7 places par rapport à 2018, le dernier test date de décembre 2019. Une bonne nouvelle, pourtant, nous améliorons notre score d’année en année. Il passe de 1.11 Mbps en 2017 (161e) à 1.25 Mbps en 2018 (175e). Il est vrai au prix d’une perte de places dans le classement général avec un débit de téléchargement moyen de 1.37 Mbps (182e) et 8h19 mn pour télécharger le fichier-test de 5Go.

Comment se font ces tests ?
En ce qui concerne notre pays, il a fallu accéder plus de 59 000 adresses IP à partir desquelles un fichier de 5Go avait été téléchargé. Cela a été fait plus de 105 000 fois à différents moments de l’année pour obtenir cette moyenne de notre débit internet national. À titre de comparaison, la Tunisie a été classée 115e avec un débit moyen de 4.64 Mbps et un temps de téléchargement de 2h27 du fichier test. Il a fallu accéder à plus de 225 000 adresses IP, plus de 507 000 fois. Le Maroc a été classé 101e avec un débit de 5.48 Mbps et un temps de téléchargement de 2h 04 mn. Cela a pu se faire à partir de 324 000 adresses IP qui ont pu être accédées plus de 655 000 fois. Ces chiffres montrent qu’il serait 5 fois plus facile d’accéder les adresses IP tunisiennes et 6 fois plus facile pour les marocaines que celles situées en Algérie. Pourquoi ? Serait-ce dû à une faiblesse ou une instabilité de la connexion internet en Algérie, ou à une forte asymétrie de la bande passante en montée, qui est de moins de 5% au lieu des 10% standard par rapport à la bande passante descendante? C’est justement la bande passante montante qui permet de simuler le téléchargement du fichier-test de 5Go, car d’Algérie, notre flux montant devient leur descendant. Le «bridage» du flux montant, de pratiquement de moitié, de la bande passante de l’abonné, pénaliserait-il, artificiellement notre classement à l’échelle mondiale ?

Quel est notre potentiel dans le domaine de l’internet ?
L’Algérie a investi des dizaines de milliards de dollars dans le secteur des TIC durant les 20 dernières années. Nous avons le plus grand réseau de fibre optique du continent, avec plus de 172 000 km. Nous disposons d’une télédensité mobile de plus 103% et une pénétration internet proche de plus de 90% (fixe-mobile). Nous avons lancé un projet d’un million d’abonnés en fibre optique pouvant bénéficier d’une connexion au-delà de 100 Mbps. Nous jouissons d’une capacité de bande passante internationale de plus de 1,5 Tbps, pouvant être augmentée jusqu’à près de 6 Tbps. Algérie Télécom clôture un exercice avec un chiffre d’affaires de près de 100 milliards de DA, même si sa masse salariale est de 40% comparé aux standards, de l’ordre de 7%. (Sources : Algérie Télécom, ARPCE et MPTTN).
Avant d’essayer de comprendre pourquoi ce mauvais classement qui perdure année après année, il y aurait deux choses à expliciter. Les autres classements mondiaux, tels que ceux de l’IUT, de la Banque mondiale, le WEF, etc., basent toutes leurs mesures et calculs d’indicateurs sur l’utilisation et l’appropriation de l’internet fixe (xDSL ou/et FTTH). Ces organisations partent du principe que seule la démocratisation de l’internet permet au citoyen, quelle que soit sa condition, de pouvoir s’informer et d’accéder aux services en ligne, tout en permettant aux TPE/PME/PMI d’évoluer et de réussir leur transformation ou transition numérique, à moindre coût, en utilisant l’internet fixe. L’internet est le levier de croissance par excellence de toute économie, depuis plus de 10 ans. C’est dire son importance pour le programme de relance économique que le gouvernement vient de finaliser.
L’internet, lorsqu’il est fixe, il est illimité et abordable, quand il n’est pas tout simplement gratuit quand il est associé à des services à valeur ajoutée comme le multiple play. Il est actuellement très difficile de trouver des fournisseurs de services internet, de par le monde, qui fassent payer la connexion seule. Ils ne font, en fait, facturer que les services à valeur ajoutée tels que le téléphone, la TV, la VoD, le Cloud, l’hébergement, etc.

Tout compte fait, d’où provient un si mauvais classement de notre pays ?
D’après les derniers chiffres du ministère de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique communiqués par l’ARPCE, sur les 2,4 millions d’abonnés à l’ADSL, 2 millions le sont avec un débit de 2 Mbps. Tout le monde se rappelle lorsque le 31 décembre 2018, la ministre de l’époque avait décidé de passer tous les abonnés de moins de 2 Mbps à 2 Mbps plein, sans changement de tarif. Elle rappelle une autre opération similaire effectuée par un autre ministre en 2008.
Suite à cela, les tarifs de la connexion internet ont été brusquement réduits de 50%. Unilatéralement, sans consulter les principaux intéressés et, à l’époque, il y en avait beaucoup, car en plus d’Algérie Télécom, il y avait encore, à ce moment, des fournisseurs d’accès à internet privés tels que l’Eepad, par exemple. Aucun des FAI privés ou publics ne pouvait sérieusement résister à un tel changement des paramètres de base de business plan. Deux ans plus tard, en 2009, soutenue par l’État, Algérie Télécom, en plus de la téléphonie fixe que l’opérateur à capitaux égyptiens Lacom, en faillite, venait de quitter, hérite d’un autre monopole, l’internet grand public, après la disparition du dernier ISP ADSL privé, l’Eepad.
Autrement dit, M-Labs a effectué ses tests, durant l’année 2019, sur des abonnés algériens dont 85,5% étaient connectés ou en passe de l’être, avec au mieux 2 Mbps, qu’Algérie Télécom avait commencé à octroyer, comme autant de cadeaux de fin d’année à ses abonnés de moins de 2 Mbps, dès le 1er janvier 2019. Sachant comment ce test se faisait et au vu de la vétusté du réseau, notamment le «dernier kilomètre» en câble de cuivre, les vols récurrents de câbles additionnés à la saturation des unités de MSAN qui ne permettent pas à certains abonnés d’avoir même les 2 Mbps promis, du coup le débit de 1.37 Mbps est, tout compte fait, un très bon résultat. Finalement, le passage de 2 à 4 Mbps et même vers les 8 Mbps de nombreux abonnés durant l’année écoulée, et grâce aussi à un marketing agressif de l'opérateur historique pour les y aider, a aussi impacté positivement ce résultat, somme toute honorable, vu les circonstances.

Que devrait faire Algérie Télécom pour améliorer ses débits ?
C’est peut-être le moment pour Algérie Télécom de mettre en place une qualité de service mesurable pour ses clients. Vu que la connexion est mutualisée entre plusieurs abonnés, la pratique des FAI à l’échelle internationale est d’assurer au moins à 80% de la bande passante nominale en descente, soit 1,6 Mbps alors que la montée devrait être de 10%, soit 200 Kbps pour les 2 Mbps payés. Un des P-dg d’Algérie Télécom a dernièrement annoncé et promis que ses abonnés auront la possibilité d’acquérir jusqu’à 20 Mbps au courant du second semestre 2020.
En fait, les normes internationales conseillent un minimum de 10 Mbps. C’est ce qui est normalement requis pour une utilisation familiale, ainsi que pour une petite entreprise, en 2020.

Malgré ce mauvais classement, d’autres chiffres nous classent parmi les plus gros consommateurs d'internet dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient, comment cela se fait-il ?
La lenteur dans le développement de la téléphonie et de l'internet fixe en Algérie et l’incapacité de fournir en temps et en heure des services à large bande ont fait basculer le plus gros de la demande vers une utilisation mobile de l'internet. Plus de 37 millions s’y connectent au moyen de la 3G/4G, soit plus de 80% de tout le parc des 3 opérateurs du mobile réunis. Dans la connexion sans fil, il faut ajouter les 1.65 millions qui s’y connectent à travers la 4G LTE sans fil d’Algérie Télécom. Dans la plupart des cas, le débit fourni n’est guère mieux, surtout dans les zones fortement urbanisées. C’est valable pour les 3 opérateurs ainsi que pour les liens 4G LTE en général car, à la saturation de la bande passante fournie par le fournisseur commun qui est Algérie Télécom, s’ajoutent la saturation des fréquences utilisées et celle des stations de base. En plus des effets induits par la pandémie, l’utilisation de l'internet mobile a explosé en nombre d’utilisateurs, comme le montrent tous les chiffres de consommation de données des opérateurs mobiles et qu’atteste la réalité de jour en jour, aussi bien par le nombre de téléphones intelligents fabriqués et vendus en Algérie que par le nombre croissant d’applications téléchargées, quelques-unes algériennes, pour les plus populaires d’entre elles.

L’ex-PDG d’Algérie Télécom, Mohamed Anouar Benabdelouahad, s’est engagé à augmenter conséquemment (à partir de 20 Mégaoctets/seconde) le débit internet pour le résidentiel durant le 2e semestre de 2020. Est-ce possible ou est-ce un autre effet d’annonce ?
Au début des années 2000, en Algérie, grâce au miracle de l’ADSL, le débit internet moyen était passé de 56 Kbps (0.056 Mbps) à 1 Mbps, et pouvait même aller jusqu’à 2 Mbps pour certaines lignes téléphoniques de bonne qualité et proches d’un centre de raccordement. Dix années plus tard, en 2010, l’installation des MSAN a permis à plus d’Algériens de se connecter relativement plus facilement et plus rapidement, avec le débit moyen de 1 Mbps. Rappelons que le débit théorique maximum de ces équipements (MSAN) était de 24 Mbps. Une décennie après, à fin 2019, nous constatons que la grande majorité des Algériens (voir détails ci-dessus) vient tout juste de se détacher du fatidique 1 Mbps, devenu presque un seuil psychologique et accéder au 2 Mbps. A la lumière des données fournies par le test de M-Labs, nous constatons que le passage de 2 millions d’abonnés algériens, de 1 à 2 Mbps, n’a donné qu’un débit moyen de 1.37 Mbps.
Sinon comment entrevoir la possibilité de faire migrer 2 millions d’abonnés vers 20 Mbps ? Nous nous rappelons tous, la promesse toujours vive, d’installer un million d’abonnés résidentiels en FFTH (Fiber To The Home) avec 100 Mbps ou même plusieurs Gbps qui devaient être livrés au plus tard le 31 décembre 2017. À la fin 2019, Algérie Télécom annonce avoir connecté... 1 000 abonnés à la fibre optique sur le million promis !
Mais bon, à l’impossible nul n’est tenu. Pourquoi Algérie Télécom ne s’attaquerait-elle pas tout de suite au chantier de mise à niveau de son réseau de transport et de distribution de l’internet ? Elle pourrait essayer d’au moins fournir, assurer et surtout garantir la stabilité des débits que ses clients, majoritairement insatisfaits, lui paient actuellement. Dans un premier temps, avoir comme objectif la normalisation des débits pour les rendre compatibles avec les minima internationaux de consommation de l’internet. Cela est possible en assurant 80% du débit descendant (téléchargement) et 10% pour le montant.
Il serait alors même permis de rêver, car pour peu que le pic gaussien des débits choisis par les Algériens se retrouve entre 4 et 8 Mbps et qu’Algérie Télécom les fournisse en temps, en heure et en qualité, cela nous donnerait une moyenne nationale de 5,5 Mbps. Nous pourrions alors gagner 82 places d’un coup, et nous classer premiers au Maghreb dans le prochain CES World. Que dire, si en plus les 20 Mbps sont de la partie, nous serions alors premiers en Afrique ? Allez, chiche !
M. B.

 

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. Affaire USM Alger - RS Berkane La décision de la CAF tombe !

  2. Coupe du monde de gymnastique L'Algérienne Kaylia Nemour s'offre l'or à Doha

  3. Demi-finale aller de la Coupe de la CAF Le match USM Alger - RS Berkane compromis, Lekdjaâ principal instigateur

  4. Le stade Hocine-Aït-Ahmed de Tizi-Ouzou pourrait abriter le rendez-vous La finale se jouera le 4 mai

  5. Coupe de la CAF, le match USMA-RS Berkane ne s’est pas joué Les Usmistes n’ont pas cédé au chantage

  6. Temps d’arrêt Lekdjaâ, la provocation de trop !

Placeholder