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Ali Brahimi, ancien détenu de 80, au Soir d’Algérie : «Le prix payé pour tamazight a été exorbitant»

Entretien réalisé par Karim Aimeur 

Le Soir d’Algérie : Vous étiez parmi les 24 détenus du Printemps berbère de 1980 et vous n’avez jamais interrompu la lutte pour la cause amazighe. 39 ans après ce moment historique, quel bilan faites-vous sur ce long combat et ses acquis ?
Ali Brahimi : Si l’on examine la question sous l’angle du temps historique, je vous dirai que le bilan du combat pour la langue et la culture amazighes est extraordinaire en ce sens que notre langue a été minorée par les siens y compris au temps de Massinissa et autres monarques berbères qui lui accolaient le latin et le grec. Dès la fin du 19e siècle, les peuples nord-africains ont vu leurs élites inscrire leur émancipation anticoloniale dans une mythique nation arabe et une mystique nahdha de la Oumma musulmane, sur fond de large avancement du processus d’arabisation des populations à l’ombre du capitalisme colonial. Après les indépendances, les dirigeants qui avaient repris tel quel l’appareil d’Etat colonial jacobin avaient tous mis en œuvre une politique culturelle volontariste visant à l’effacement pur et simple des langues et culture autochtones au profit d’un arabe scolastique et d’un révisionnisme historiographique négateur du fait berbère pourtant très présent encore. Ils nous engageaient dans une aventure identitaire artificielle et hégémonique faite d’aliénations multiples et de fractures socioculturelles profondes et durables.
C’est dire que nous revenons de loin ! Surtout lorsque l’on se rappelle la solitude des militants de l’amazighité si peu nombreux y compris en Kabylie, et de la Kabylie, si petite, dans l’immensité du sous-continent engagé dans l’aliénation arabiste militante, oppressive et répressive. Trente-neuf ans après le Printemps 80, les langue et culture amazighes sont institutionnalisées, constitutionnalisées, enseignées... L’amazighité -identité, culture et langue — est revendiquée des confins ouest de l’Égypte jusqu’au peuple des Canaries qui exigent son indépendance. En Libye, le drapeau symbole de notre identité flotte dans les rangs d’une armée de 12 000 hommes décidés à faire en sorte que la paix souhaitée par tous consacre le fait amazigh dans l’avenir de ce pays frère. Très au Sud, l’azawad n’a pas encore dit son dernier mot. Tout ça, ce sont les répliques sismiques d’Avril 1980 qui ne s’apaiseront que lorsque l’Afrique du Nord aura retrouvé son nord sur tout le territoire de tamazight.

Ça, c’est une évidence que l’Histoire veillera à concrétiser. Mais quel bilan, concrètement, faites-vous du long combat pour l’amazighité ?
A l’aune du temps biologique qui est celui de l’homme militant, je suis profondément marqué et révolté par l’ampleur et la gravité des sacrifices que nous avons consentis pour des droits élémentaires qui se résument au droit d’être soi-même sur son propre territoire historique incontestable. C’est terrible d’être nié chez soi alors même que l’on a chassé l’occupant colonialiste. Le prix payé a été exorbitant ! Les prisons, les tortures, la misère, le sang, les larmes et la mort ont été le lot des militants en particulier ceux de Kabylie. Les 127 citoyens de Kabylie assassinés froidement en 2001 par des gendarmes en activité crient toujours justice. Le combat pour la cause berbère s’est décliné sur tous les terrains de lutte politiques – des droits de l’Homme jusqu’à celui de l’Histoire en passant par l’exigence de l’Etat civil contre la théocratie et la dictature militaire- pour pouvoir aboutir. Parti d’Afrique noire aux USA, durant l’enfance, Obama a pu devenir Président de la première puissance mondiale à l’aube de son cinquantenaire ; alors que nous, nous avons encore à déblayer les scories des Atmane Saâdi, Hadjar, Abassi Madani, Bouteflika et autres généraux Larbi Belkheir, Toufik et Gaïd Salah…. Pour ne citer que ces dos-d’ânes néocoloniaux dressés contre l’avenir de nos petits-enfants. En ces 57 ans depuis l’indépendance ou ces 39 ans depuis Avril 80, nous aurions pu réaliser et bâtir tellement d’autres choses avec tant d’énergie. La Corée produit des réacteurs d’avion, des peuples travaillent à coloniser l’espace… alors que nous, nous en sommes encore à nous battre contre l’aliénation identitaire et la prédation de nos ressources par les puissants…

La question amazighe, après un long déni, n’est plus cette question qui divise et qui suscite des craintes sur l’unité nationale. Comment a-t-on pu passer, et surtout grâce à qui et à quoi, cette cause n’est plus un tabou ?
A l’évidence, la problématique identitaire amazighe s’est propagée et a gagné les consciences de beaucoup de citoyens algériens à travers toutes les régions et aussi bien chez des berbérophones jusque-là ensommeillés que chez des arabophones. L’endurance et la ténacité de la militance amazighe de Kabylie, des Aurès, du M’zab et d’autres régions moins marquantes ont fini par payer. Les prises de position positives – même mitigées, sincères ou forcées — des dirigeants ont beaucoup aidé à apaiser ce que leurs auteurs ont miné et fracturé par le passé. Les statuts juridiques national et officiel attribués à la langue amazighe — aussi ambigus soient-ils — ont, durant ces deux dernières décades, beaucoup dédramatisé la problématique identitaire, culturelle et linguistique algérienne. La consécration officielle de la fête de Yennayer et donc du calendrier amazigh a provoqué une prise de conscience extraordinaire chez les masses arabophones malgré les imprécations des gardiens du temple islamiste. Les évolutions connues par la cause au Maroc et dans d’autres pays nord-africains ont influé aussi tout comme elles ont bénéficié des avancées algériennes. La décrépitude et la décomposition du régime corrompu aidant, les citoyens ont fini par comprendre que la division de leurs rangs en Arabes, Kabyles, Chaouis, Mozabites, Targuis…. est une politique voulue pour les diviser et les soumettre à l’Etat policier et au vol de leurs ressources. Ils ont compris que la meilleure préservation de l’unité nationale est d’admettre les diversités linguistiques du peuple et non de les exclure au risque de plonger le pays dans le désordre et la partition.

En 1980, avez-vous imaginé que tamazight allait s’imposer au niveau national ?
Dès les années soixante et soixante-dix, notre combat se déclinait et se projetait sur et pour toute l’Afrique du Nord, de Siwa jusqu’au Maroc, exactement comme lorsque les pères de l’Etoile nord-africaine envisageaient le combat anticolonial. Au plan de la conviction personnelle, les militants véritables de la cause amazighe n’ont jamais douté de l’issue juste du combat engagé lequel est -faut-il le souligner- adossé à un lourd fait culturel et linguistique.

Depuis le 22 février, début du mouvement populaire contre le système, le drapeau amazigh flotte à côté de l’emblème national dans les marches à Alger et dans d’autres villes du pays, sans parler de la Kabylie. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Il faut souligner qu’il flotte malgré les chantages à la division venant du pouvoir et de ses relais islamistes. Son acceptation et son adoption relative par les citoyens non berbérophones qui l’appellent — à juste titre — « drapeau de l’identité » témoignent des évolutions que j’ai évoquées dans ma réponse précédente. La dimension et l’adoption transnationale nord-africaine de notre étendard forcent l’adhésion.
Son accueil favorable ou même indifférent dans presque toutes les localités du pays témoigne aussi du refus de se laisser diviser sur la base de nos riches diversités. Tamazight commence à être perçue comme un facteur de cohésion même si çà et là réapparaissent parfois des chancres arabistes sectaires et antikabyles. Le peuple en insurrection pour la démocratie et contre la corruption a aussi compris que rien de valable ne peut être reconstruit s’il reconduit les mêmes exclusions que le système du passé.

Tamazight n’a pourtant pas recouvré ses droits. Que reste-t-il à faire dans ce sens ?
Pour ce qui est de l’aboutissement total de notre cause, il y a loin de la coupe aux lèvres. Notre langue subit le statut de langue dominée depuis des siècles. Le rétablissement de son statut social et, partant, de son prestige est une question complexe qui engage tous les domaines des sciences, de la politique et de l’Etat. Le plus grand écueil, celui qui mènera sans doute à la disparition de notre langue, est celui de la persistance du modèle d’Etat centralisé hérité et savamment copié de la France coloniale. Ce modèle jacobin vise par destination à fabriquer un citoyen uniforme et une Nation faite de l’addition d’individus strictement identiques au plan culturel et linguistique. Autrement dit, à niveler et effacer toutes les diversités. Le peuple français en a pâti comme vous pouvez le vérifier chez les Bretons et les Basques par exemple. Dans tous les pays où la diversité linguistique a été abordée sous l’angle des droits de l’Homme et de l’adhésion à la diversité culturelle, la problématique a été réglée autrement. Sur la base des principes de territorialité et personnalités linguistiques. Pour vivre dans l’apaisement et la prospérité sa richesse culturelle et sa diversité linguistique, l’Algérie a besoin d’abandonner l’Etat centralisé générateur de corruption, d’abus d’autorité et de régionalisme pour refonder son Etat sur la base de grandes régions linguistiquement et culturellement homogènes tout en accordant à chaque citoyen le droit à sa langue maternelle quel que soit le lieu de vie qu’il s’est choisi. Le meilleur aboutissement de la révolution citoyenne en cours est de consacrer la sortie du système policier centralisé et prédateur par l’adoption de l’Etat unitaire des régions générateur de démocratie participative et de juste distribution des ressources nationales.
K. A.

 

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