Directeur de la rédaction et membre fondateur du journal, Maâmar Farah ne pouvait rester insensible face à ce génocide qui déroulait chaque jour les multiples facettes de la cruauté et la sauvagerie les plus abjectes devant les objectifs et les caméras de la presse mondiale présente en force sur le terrain. Prenant pour exemple le téléthon, organisé, en ce temps-là par France 2, il commença à gamberger autour d’un projet similaire en Algérie en partenariat avec l’ENTV. Pour lui, le travail réalisé par la chaîne française reste «l’un des mieux organisés au monde», ce qui pourrait constituer une référence et une base de travail pour la préparation d’un projet local. Maâmar Farah s’est alors posé la question déclic : «Pourquoi pas chez nous ?»
Une idée, une machine à écrire et un synopsis
Immédiatement après, un processus de maturation de cette idée se déclenche. Des semaines durant, il s’employa à donner forme à son projet, à cerner avec précision les contours d’une œuvre humanitaire de grande importance. Et puis, par une nuit hivernale, sur les hauteurs d’Alger, «j’ai pris ma machine à écrire et commencé la rédaction d’un plan de travail, un synopsis pour la télévision algérienne». La mémoire encore fraîche, il a réussi à dépoussiérer des souvenirs particulièrement précis de cette période lointaine. Il nous rappellera l’engagement exceptionnel du Soir d’Algérie durant cette guerre avec des pages entièrement consacrées à ce drame qui s’exécutait à des milliers de kilomètres de chez nous.
«C’est pour ce pays et ses enfants martyrs que nous devions nous mobiliser», nous dira encore le membre fondateur du premier quotidien indépendant. La concrétisation de ce projet passe inévitablement par l’implication de la chaîne unique et publique, l’ENTV, et la sensibilisation de son directeur général de l’époque, Abdou B. Notre interlocuteur nous livre des détails de cette seconde phase de réalisation de son projet. «J’ai appelé le DG de la télévision nationale pour lui présenter l’idée. Il en fut aussitôt emballé et m’organisa des rendez-vous avec le directeur de la production et un réalisateur versé dans le social, M. Eulmi.» Il faudra souligner ici le rôle joué par Abdou B, cet homme de culture et des médias dans l’émancipation de la télévision nationale, son ouverture sur la société algérienne et son adaptation aux nouvelles attentes des téléspectateurs.
L’acte fondateur du téléthon
L’ENTV avait, alors, enregistré des avancées professionnelles remarquables avec des niveaux d’audience historiques. C’est dans ce contexte d’ouverture inédit, que le partenariat entre Le Soir et l’ENTV a été initié. Une première réunion de travail a eu lieu dans la villa mauresque mitoyenne au siège de la télévision en présence du directeur de la production et Saïd Eulmi et durant laquelle l’engagement a été fait à Maâmar Farah que «tous les moyens techniques et humains seront mobilisés et mis à la disposition de ce téléthon». C’était, en quelque sorte, l’acte fondateur de cette manifestation qui prendra désormais la dénomination officielle de «Téléthon 91». Les réunions se multiplieront et se suivront à un rythme soutenu au siège du journal sous la présidence de Maâmar Farah et en présence du directeur de la CAAR, du secrétaire général de l’Union des médecins algériens (UMA), Djamel Ould Abbès, et du réalisateur, Saïd Eulmi. En leur qualité de sponsors de l’événement, ces partenaires apporteront leur contribution à la réussite de cette manifestation. Toutes les dispositions seront prises pour permettre une préparation sans faille de ce premier téléthon en Algérie.
Au même moment, Allaoua Aït Mebarek, journaliste, responsable de la rubrique télé au journal, sera chargé par le directeur de la rédaction d’assurer la couverture de l’événement et d’entamer la publication des avant-papiers. Il sera «un excellent porte-voix de cette grandiose œuvre humanitaire et se distinguera par une proximité et une complicité avec les techniciens et les journalistes de l’ENTV qui lui permettront d’accomplir avec efficacité sa mission», témoignera M. Farah.
Un tour cycliste 24h non-stop
Le «Téléthon 91» aura lieu les 12 et 13 mars 1991 et offrira, tout au long d’un programme non-stop de 24 heures, aux Algériens l’opportunité de manifester leur solidarité avec le peuple irakien. Le jour J, le coup de starter fut donné à minuit à la forêt de Baïnem avec le départ de l’une des activités du téléthon, à savoir un tour cycliste de 24 h non-stop à travers les artères de la capitale. Et parallèlement au lancement du programme sur les écrans, un autre grand chantier a été inauguré à l’initiative de Maâmar Farah, consistant en la réalisation d’une fresque géante célébrant l’événement et qui mobiliserait durant 24 heures des peintres débutants et des grands noms du pinceau.
Ce «Téléthon 91» a été organisé pour la première fois dans des normes reconnues mondialement et nécessitant des moyens tout aussi exceptionnels. Habiller pendant 24 heures les différentes retransmissions, envelopper les contours de chaque image sans en cacher les reliefs, connecter, se mettre en direct et faire vivre chaque minute derrière l’écran pour susciter le regard et la passion, la sensibilité et l’adhésion autour du thème de la solidarité et des dons, tels étaient quelques-uns des défis que s’étaient lancés les animateurs et toutes les équipes techniques pour le succès de ce programme.
Une journée historique
Pendant cette retransmission en direct et en continu, les émissions se suivaient mais ne se ressemblaient pas. Débats avec des invités parmi les spécialistes des sujets de politique internationale, de géopolitique, des questions arabes, de guerre et d’armement ; des témoignages de journalistes de retour de la zone de guerre, dont l’envoyé du Soir, et qui apportaient un éclairage vivant de l’intensité du drame vécu par les Irakiens. Au chapitre des variétés, un programme spécial était concocté sous la direction de la célèbre animatrice Leïla. Maâmar Farah se souvient encore de la visite de cette célébrité de la télévision nationale au siège du Soir.
«Dans le cadre des préparatifs, elle était venue nous voir accompagnée, ce jour-là, d’un jeune homme qui venait juste de débuter la présentation du journal télévisé et qu’elle nous a présenté tout en le couvrant d’éloges. Il s’appelait Hamraoui Habib Chawki.»
Et au-delà du volet animation, il y avait un autre volet, tout aussi important pour un téléthon, l’organisation des centres d’appel pour la collecte des promesses de dons. On en dénombrait des dizaines, dont l’un situé dans la salle de rédaction du Soir et le reste disséminé à travers les agences de la CAAR dans toutes les wilayas. Pour cela, les stations régionales de l’ENTV ont toutes été mobilisées pour retransmettre de belles images de la solidarité des Algériens avec leurs frères irakiens.
En 24 heures de mobilisation historique, le peuple algérien a démontré sa solidarité avec l’Irak, les dons affluaient de partout et surtout des couches défavorisées. De vieilles dames se présentaient pour offrir leurs bijoux.
La somme de 5 milliards de centimes a pu être rassemblée au terme de cette manifestation. Le succès de ce «Téléthon 91» avait dépassé les frontières du pays. Chez les voisins où l’ouverture de l’ENTV et son professionnalisme étaient beaucoup appréciés, cet événement a vite constitué un sujet à débat et un exemple à suivre. Par sa portée humanitaire, par les valeurs de solidarité et de générosité qu’il a réussi à véhiculer, par l’importance des moyens mobilisés, par le niveau de professionnalisme atteint par ce partenariat inédit, le «Téléthon 91» demeure, 29 années après, une des œuvres majeures à inscrire dans les palmarès du Soir d’Algérie et de l’ENTV.
B. Bellil
Saddam Hussein demande une copie du programme
Ayant appris le succès remporté par le «Téléthon 91» organisé par Le
Soir d’Algérie et l’ENTV et la dimension prise par les geste de
solidarité des Algériens en faveur du peuple frère irakien, le Président
Saddam Hussein avait demandé une copie de l’intégralité du programme
diffusé durant 24 heures non-stop. Les cassettes contenant toutes les
scènes filmées ainsi que le chèque représentant l’argent récolté lors de
cette journée historique seront remis aux autorités irakiennes.
B. B.
Le soutien en direct de Chadli Bendjedid
Le point d’orgue du «Téléthon 91» aura été sans aucun doute le
déplacement, au siège de la télévision nationale, du Président Chadli
Bendjedid, accompagné de son Premier ministre, Sid-Ahmed Ghozali, pour
exprimer sa satisfaction pour la réussite de l’événement et manifester
sa solidarité à l’égard du peuple irakien en remettant un chèque.
Ghozali en fera de même. Un moment fort du téléthon et un facteur dopant
pour l’évolution du chiffre global des dons consentis par les Algériens.
B. B.
Édito du Soir en date du 5 mars 1991
Le peuple algérien n’a pas marchandé sa solidarité
«Avec la télévision algérienne et une douzaine d’institutions et
d’entreprises, nous avons décidé d’organiser un téléthon national de
solidarité avec le peuple irakien pour l’aider dans l’immense tâche qui
l’attend : la reconstruction de notre cher Irak souillé par les forces
d’agression qui ont tout détruit : les infrastructures économiques,
sociales et culturelles, les lieux de culte, les vestiges historiques
d’une civilisation millénaire et jusqu’aux installations indispensables
à la vie humaine. Le peuple irakien a fait face avec courage et
détermination à cette barbarie. Nous sommes fiers d’avoir été à ses
côtés durant cette pénible épreuve. Le peuple algérien n’a pas marchandé
sa solidarité.
Durant ces moments éprouvants, les manifestations, les marches, les
collectes de fonds et de dons en nature, les diverses activités de
soutien auront été autant de gerbes de fleurs dédiées en hommage à la
volonté inébranlable des Irakiens qui plient mais ne rompent pas.
En tant que journalistes, nous avons été interpellés par nos consciences
et face au déferlement massif d’informations manipulées, nous avons
essayé de faire face à la plus gigantesque et la plus sophistiquée des
campagnes de désinformation qu’a connues l’histoire. Quotidiens,
hebdomadaires, presse parlée et télévisée ont joué leur rôle, malgré les
modestes moyens mis à leur disposition. Mais l’exemple de nos valeureux
moudjahidine qui ont ébranlé les assises du colonialisme et fait face
aux armes de l’OTAN avec des fusils de chasse aura été présent dans nos
mémoires tout au long de cette guerre.
Aujourd’hui que la paix est revenue dans la région, nous nous proposons
de continuer notre combat et nous répondrons encore une fois présents
pour venir en aide aux mères et aux enfants irakiens. Le Soir d’Algérie
et l’ENTV et de nombreuses entreprises nationales proposeront aux
téléspectateurs algériens un programme non-stop de 24 heures, les
mercredi et jeudi 13 et 14 mars courant, en vue de les sensibiliser
autour de l’opération «reconstruction de l’Irak».
Des femmes et des hommes, des sportifs, des artistes, des écoliers et
des lycéens vont réaliser durant ces 24 heures des exploits et des
prouesses qui constitueront autant de têtes d’affiche d’un programme qui
retiendra l’attention des téléspectateurs. Ce sera un moment privilégié
de la vie nationale que nous espérons porteur de promesses, non
seulement dans le cadre de cette opération, mais aussi et surtout pour
amener nos responsables, nos hommes politiques, nos partis à resserrer
les rangs autour des tâches d’édification nationale pour que l’Algérie
sorte plus unie, plus fraternelle, plus solidaire pour affronter les
dures réalités de notre époque. Avec l’aide de Dieu, nous gagnerons !»
Maâmar Farah