Chronique du jour : Kiosque arabe
Des kilomètres de preuves
Des kilomètres de preuvesPar Ahmed Halli
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Comment peut-on être pour et contre, dedans et dehors, seul et mal
accompagné, économiquement entreprenant et spirituellement frileux,
commercialement libéral et religieusement protectionniste et
isolationniste ? «Yes we can!» : la réponse jaillit, spontanée et
solidaire, de tous les bureaux capitonnés où se gèrent les carrières,
avec ou sans portefeuilles. Ils savent, y compris ceux qui ont renoncé à
nos rêves et piétiné les leurs, que tout est possible dans nos pays,
hormis l'impossible qui est d'être un citoyen normal que ses droits
civiques n'autorisent pas à mépriser ceux des autres. Ce mépris peut se
manifester de diverses manières, mais il est de bon ton et hautement
recommandable de lui faire porter barbe et gandoura. Le deuxième
accoutrement étant plus facile à acquérir et à gérer qu'un système
pileux, parfois réfractaire et obéissant à d'autres facteurs naturels
quasiment incontrôlables. D'où la difficulté qu'il y a de nos jours à
rencontrer des barbes réversibles, alors qu'une gandoura bien ajustée
peut servir à camoufler bien des infractions, en sus des bedaines
annonciatrices d'une aisance récente.
Une fois cette enseigne acquise, vous pourrez alors dénoncer les
démarches incertaines, faire la chasse à la différence et débusquer la
non-conformité. Bref, s'il vous prend l'envie de chercher des noises à
votre voisin, chez qui vous avez cru déceler une certaine «tiédeur
rituelle», assurez-vous de le faire sous le sceau de la piété
brutalement offensée. Sans le suivre pas à pas, il vous est facile de
constater qu'il ne prie dans aucune des six mosquées du quartier et
qu'il ne participe pas aux causeries, au coin de l'immeuble, sur la
licéité de la bière turque sans alcool. Avec un peu plus d'efforts, vous
pourriez constater qu'il viole la sacralité du Ramadhan tous les matins
en prenant son café. Vous pourriez en sentir l'arôme si vos obligations
religieuses ne vous astreignaient pas à vous lever tard, si tard, que
vous pouvez même rater le moment, plus long, où il dé-jeûne. N'ayez
aucun regret, toutefois, puisque le calendrier vous offre encore
beaucoup d'opportunités. Puisque le destin du père Noël est de finir
dans les bennes des éboueurs, rabattez-vous sur le réveillon de la
St-Sylvestre, et prenez soin de relever l'heure à laquelle «il» rentre,
tout en humant l'air autour de sa personne. Il y a des effluves qui ne
trompent pas, même si l'odorat en a perdu le souvenir.
Ah ! Il est rentré au moment de la prière du «Fedjr», et vous étiez à la
mosquée ? C'est fâcheux, mais rien n'est perdu puisqu'il nous reste, il
vous reste toujours Yennayer, et c'est dans six jours, le 12 janvier,
plus exactement, mais je crains qu'il vous faille du renfort. En effet,
grâce à la fatwa du cheikh Hadj-Aïssa, «ils» seront plus nombreux encore
à célébrer Yennayer, cette année, puisqu'il s'agit de mériter la
désapprobation des intégristes de tous poils. Chaque année, ces
moralisateurs, plus riches que riches de leurs stupidités plurielles,
nous gavent de sermons et de déclarations comminatoires. «Ne faites pas
ceci, ne faites pas cela !» ; du coup, il nous prend une envie
irrésistible de ne pas faire comme ils disent, d'agir contre leur guise,
juste pour leur signifier que nous ne sommes pas comme eux. Que nous ne
serons jamais comme eux ! Et comment pourrait-il en être autrement,
alors qu'ils nous apportent chaque jour que Dieu fait des preuves de
leur «ignorance sacrée», pour reprendre le regretté Arkoun, et de leur
intolérance. Des kilomètres de preuves, devrait-on l'entendre dire de la
bouche de ce «constructeur» d'autoroutes, pris la main dans le seau à
ablutions. Un «constructeur» d'autoroutes qui n'est pas encore sorti du
tunnel, le pauvre !
En parlant de l'autoroute Est-Ouest, celle du scandale kilométrique, on
évoque ces jours-ci le prolongement marocain de la branche ouest qui
paraît moins sujette à éboulements. Il est encore heureux que ce
prolongement n'ait pas lieu, parce ce que les nouvelles qui nous
parviennent du Maroc n'y encouragent pas. J'appréhende l'arrivée massive
de prédicateurs fondamentalistes, encore plus virulents que notre
production nationale, sans compter les ballots de hachich. Ce hachich
dont se servait abondamment jadis le sanguinaire Hassan Sabbagh pour
mobiliser et doper ses troupes d'assassins, dans sa forteresse d'Alamut.
Ali Haïdar, l'un des chroniqueurs attitrés du magazine Shaffaf (Middle
East Transparent), n'hésite pas d'ailleurs à comparer le leader du
Hezbollah au fondateur de la secte des «Hacchachines». Comme Hassan
Sabbagh, Nasrallah galvanise ses troupes avec des slogans et des textes
religieux, notamment pour susciter des vocations de martyrs. Ainsi,
dit-il, les quartiers chiites de Beyrouth sont placardés d'affiches
incitant au martyre, comme celle qui proclame que «les martyrs sont les
émirs du paradis». Alors que Hassan Sabbagh droguait ses recrues avec du
hachich, Nasrallah leur distribue des comprimés de «Keptagon»
(l'équivalent de notre «Madame Courage»), ajoute-t-il. Est-il nécessaire
d'ajouter que le «Keptagon» n'est pas prescrit exclusivement à la
jeunesse chiite ?
A. H.
Hommage
Haddad Oumessad nous a quittés vendredi dernier, dans sa 97e année,
entourée de l'affection des siens, auxquels elle n'a pas ménagé son
amour et ses attentions. Je me compte évidemment parmi les siens puisque
j'ai eu maintes occasions de partager la sollicitude maternelle de «Na
Messad», avec ses enfants. En particulier avec son cadet Mustapha, mon
vieil et très cher ami, que nous avons perdu, prématurément, il y a une
douzaine d'années. On ne quittait jamais la demeure de «Na Messad» le
ventre vide et l'âme en peine. Elle avait, en permanence, quelque chose
à offrir dans son garde-manger et des réserves infinies de mots qui
réconfortent. Elle se débrouillait toujours pour vous laisser repartir
repu et le cœur plus léger. C'était une grande dame, comme on n'en fait
plus, et c'est pour elle que je verse ici ces quelques larmes, moi qui
ne pleure pas souvent. J'ajouterai qu'à des personnes comme «Na Messad»,
il serait superflu de souhaiter une demeure qui leur est certainement
déjà acquise : le paradis.
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