Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Crise du monde arabe, l’Algérie est-elle à l’abri ?
Par Hassane Zerrouky
Le
Grand-Moyen-Orient (GMO), ce projet cher à George Bush, mis au point par
les néoconservateurs américains pour détruire les Etats-nations sous
prétexte de démocratisation des sociétés arabes, est-il en train de se
réaliser sous nos yeux ? Si l’on en juge par ce qui se passe en Syrie,
en Irak, en Egypte, en Libye, on serait tenté d’y répondre par oui. Mais
la réalité est tout autre.
Quand en Tunisie et ailleurs, des centaines de milliers de personnes,
parmi lesquelles un nombre important de femmes, sont descendues dans la
rue pour crier leur colère, elles étaient mues par une soif de liberté
et de demande de dignité face à des pouvoirs autoritaires et corrompus,
et ce, dans un contexte d’aggravation des conditions socio-économiques
où le chômage des jeunes, notamment des diplômés, se situait selon les
pays entre 30 et 40%, et de corruption endémique.
Par conséquent, les révoltes populaires ayant emporté Moubarak, Ben Ali
– Kadhafi est un cas différent — ne participaient pas d’un complot ourdi
par un Occident impérialiste qui, il ne faut pas l’oublier, avait été
pris de court par les évènements. Barack Obama, par exemple, a bien
tenté dans un premier temps de sauver le pouvoir de Moubarak avant de se
résoudre à le sacrifier. Il en a été de même de Nicolas Sarkozy, surpris
par la chute de Ben Ali dont le pays devait assurer le secrétariat de
l’Union pour la Méditerranée (UPM).
Ce n’est qu’ensuite que les Etats-Unis et leurs alliés ont décidé
d’accompagner ce mouvement de révolte sans précédent pour lui imprimer
un cours conforme à leurs intérêts géostratégiques. De ce fait,
l’intervention de l’Otan en Libye participait de la volonté des
puissances occidentales et de leurs alliés arabes du Golfe de ne pas
laisser s’instaurer une situation pouvant leur échapper, quitte pour ce
faire à propulser au-devant de la scène des groupes islamistes, en les
armant et en les encadrant. En Egypte, le choix s’était porté sur les
Frères musulmans, qui avaient pourtant pris le train de la révolte en
marche. Mohamed Morsi, devenu chef d’Etat, avait étudié aux Etats-Unis.
La CIA se félicitait même de bien le connaître ! Même cas de figure en
Tunisie où Ennahdha s’était engagé en faveur d’une «alliance
stratégique» entre la Tunisie et les Etats-Unis. Quant à la Syrie, les
prévisions de Washington et de ses alliés saoudiens et qataris, qui
pensaient rééditer le scénario libyen en poussant l’opposition syrienne
à radicaliser ses positions, ne se sont pas réalisées comme escomptées.
Le pays a vite plongé dans la guerre civile et les islamistes, dont le
poids avait été volontairement sous-estimé afin de ne pas faire peur à
l’opinion occidentale, sont aujourd’hui la principale force d’opposition
armée à Bachar. Trois ans après, ce qui au départ était plus une révolte
populaire qu’une révolution – ce dernier terme mériterait une analyse
approfondie – est en train de tourner à un conflit régional. La crise
syrienne a débordé au Liban, puis en Irak, où elle a ravivé les tensions
entre sunnites et chiites déjà exacerbées par l’intervention américaine
en 2003. Et avec la chute de Fallouja, ancien bastion de la résistance
irakienne à l’occupation US, désormais aux mains de l’Etat islamique en
Irak et au Levant (EIIL, affilié à Al Qaïda), l’Iran serait tenté
d’intervenir pour éloigner le feu qui se rapproche de ses frontières. La
Jordanie, où se trouvent des centaines de milliers de réfugiés syriens,
risque à son tour d’être emportée : les islamistes de toutes obédiences
menacent ouvertement cette monarchie alliée des Etats-Unis. Autre acteur
régional, qui risque également d’être entraîné dans la tourmente, la
Turquie dont le territoire sert de base arrière aux insurgés islamistes.
Et ce, sans compter l’Egypte où la violence gagne de plus en plus de
terrain et la Tunisie où les djihadistes d’Ansar Chariâa font peser de
sérieuses menaces sur le pays. Même les pays du Golfe seront tôt ou tard
rattrapés par le feu qu’ils n’ont eu de cesse d’attiser. Quant au
règlement de la crise palestinienne … Et l’Algérie ? A vrai dire les
tensions à ses frontières Est (Libye et Tunisie), Sud (Mali) et Ouest
(Sahara occidental) conjuguées aux tensions internes sociales et
identitaires, pèsent de plus en plus sur une Algérie souffrant de
surcroît d’un réel déficit démocratique. D’autant que certains pays
occidentaux trouvent le pays trop grand pour ses habitants.
H. Z.
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