Chronique du jour : Kiosque arabe
À chacun son Satan !
Par Ahmed Halli
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Le
quotidien londonien Al-Hayat s'est intéressé aux cas de trois femmes,
Sadjida Richaoui, Sodja Dlimi et Ala Akili, dont Daesh et consorts
réclament la libération en échange d'otages libanais, japonais, ou
jordanien. Sadjida est l'un des quatre membres du groupe de kamikazes
chargés des attentats contre des hôtels à Amman en 2005. Elle a survécu,
parce que sa ceinture d'explosifs n'a pas fonctionné, et elle a été
arrêtée, quelques jours plus tard, puis condamnée à mort. Jusqu'à ces
derniers jours, note le journal, Sadjida Richaoui était une prisonnière
oubliée, et tout le monde pensait que c'était une femme très ordinaire,
et même un peu naïve, puisqu'elle n'avait pas su déclencher sa ceinture
explosive. Et voilà que Daesh réclame sa remise en liberté, alors
qu'elle ne figurait même pas dans sa première liste de revendications.
Aujourd'hui, le sort de l'aviateur jordanien, Kassassibi, détenu en
Syrie par Daesh, est lié à celui de Sadjida. On peut dire la même chose
des soldats libanais, pris en otage par les milices islamistes en Syrie,
et dont la vie ou la mort dépendent du sort de Sodja Dlimi et Ala Akili.
Sodja est détenue par les autorités libanaises, alors qu'elle convoyait
des fonds importants (des centaines de milliers de dollars) destinés aux
combattants de Daesh, et du front Al-Nosra. Sodja a été mariée avec le
calife de Mossoul Al-Baghdadi, dont elle a eu une fille, mais bien
qu'elle n'ait été mariée avec lui que durant trois mois, elle était une
pièce maîtresse du réseau. Ala Akili n'est autre que l'épouse d'Abou
Anis, dit le Tchétchène, l'un des chefs d’Al-Nosra. La capture de ces
deux femmes a provoqué, dans un premier temps, l'exécution d'un soldat
libanais, Ali Albezzal, pris en otage lors des combats de l'été dernier
à Arsal, au Liban. Le quotidien saoudien souligne que les terroristes
islamistes choisissent ces femmes parce qu'elles ne suscitent pas de
soupçons, et ne subissent pas les mêmes fouilles que les hommes.
Quelles promesses peuvent bien faire les terroristes islamistes aux
femmes et aux jeunes filles pour les inciter, les encourager, à se faire
exploser dans une mosquée ou un hall d'hôtel ? Comment des femmes qui
voient les miliciens de Daesh et d’Al-Nosra, traiter leurs semblables
comme des esclaves sexuelles, voire du bétail, peuvent accepter de les
suivre, voire de mourir pour eux ? Ces femmes ne sont tout de même pas
crédules, au point de penser que les mêmes récompenses, réservées aux
mâles dans l'au-delà, les attendent en cas de sacrifice suprême. On leur
a appris pourtant, dès leur enfance, et même bien avant, qu'il y a des
félicités célestes, dévolues à la seule mâle engeance, et qu'elles sont
elles-mêmes un avant-goût terrestre de ces félicités.
Comme on ne tue plus ni ne se fait tuer par amour, du moins du côté
féminin, on est bien forcé d'admettre qu'il y a une énigme à élucider
quelque part. J'ai trop de respect pour l'intelligence et la lame
aiguisées des femmes pour penser que celles qui s'engagent sur cette
voie sans issue ne le font pas sans convictions profondes. Je sais en
même temps que ce n'est pas la foi en Dieu, puisque Dieu ne leur a pas
ordonné de tuer, et en conséquence, ne leur a rien promis. Faut-il
admettre alors, à l'instar des médias égyptiens, que toutes ces
organisations, de Daesh aux Frères musulmans, mobilisent des «adorateurs
du diable» ? Satan, le vrai, qui ne serait pas le chef hiérarchique du
«Grand Satan» qui siège à Washington, mais son concurrent direct, se
serait donc installé à demeure.
Il utiliserait, dans la «Maison de l'Islam», et en dehors, des «Versets
sataniques», ignorés ou négligés par Salman Rushdie, pour s'emparer des
cœurs des hommes, après avoir mis leurs cerveaux en jachère. L'écrivain
et journaliste saoudien, Hani Naqchabandi, s'est saisi de ce thème
récurrent, cher à Khomeiny, pour s'adresser au nouveau roi d'Arabie
Saoudite, Salman. Voyant le monde se poser des questions sur les
intentions du nouveau souverain wahhabite, il s'inquiète de la tournure
que prennent les relations avec l'Iran, et exhorte le roi à faire la
paix avec Téhéran. Selon Hani Naqchabandi, l'Arabie Saoudite ne devrait
pas faire le jeu du «Grand Satan», en faisant la guerre à l'Iran, même
si ce pays est l'incarnation du diable ou le diable lui-même. Il observe
qu'il ne serait pas de l'intérêt de l'Arabie Saoudite de maintenir les
hostilités avec les Iraniens, alors que l'Occident cherche à normaliser
ses relations avec eux. Aussi, le nouveau roi devrait s'attaquer à deux
chantiers, selon lui : négocier un accord avec l'Iran, pour éviter une
conflagration régionale, et lutter contre ses démons intérieurs, en
muselant les rigoristes du wahhabisme. Un vœu pieux si l'on en croit
notre confrère égyptien qui rappelle, qu'après la victoire de Khomeiny,
et au lieu de réformer, les monarchies du Golfe, et d'autres, ont choisi
de rivaliser avec lui sur le plan de la piété. «Ils ont fait comme s'il
s'agissait d'un match où chacun voulait montrer qu'il était le meilleur
dans l'interprétation et l'application des textes religieux. De leur
côté, les courants libéraux, laïques, ou de gauche, se sont repliés sur
eux-mêmes, et sont restés sur la défensive. Bien plus, nombre d'entre
eux se sont empressés de prendre en marche le train de l'Islam
politique, pensant que c'était le cheval gagnant.»
Comme pour nous démontrer qu'en matière d'intégrisme, sunnites et
chiites sont toujours en compétition, le magazine Elaph rapporte le cas
d'une tentative avortée de «Cadenas d'amour» dans la ville irakienne de
Bassorah. Karim, un jeune ingénieur de la ville, a voulu rééditer la
même expérience sur les rives du «Chatt al-Arab», en équipant un mur de
la ville, de cadres métalliques. Après avoir obtenu, bien sûr,
l'autorisation de la municipalité, il mit en place son système qui a
connu tout de suite un engouement extraordinaire. Las, en novembre
dernier, alors que l'opération suscitait de plus en plus d'adhésions,
des miliciens chiites ont démonté le système, et jeté cadenas et cadres
dans l'estuaire. Aujourd'hui, seules quelques personnes osent encore
graver leurs noms sur ce mur que tous les jeunes de Bassorah appellent,
depuis, «Mur de l'amour». Il me semble avoir entendu parler d'une
initiative similaire qui a connu le même sort, et pas loin d'ici.
A. H.
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